vendredi 9 octobre 2020

L’éco-libéralisme selon Pascal Salin

 "S'il est un domaine où il semble impossible de laisser jouer les simples intérêts privés et les motivations individuelles, n'est-ce-pas celui de l'environnement puisqu'il s'agit par définition de problèmes globaux et non de problèmes individuels ? Comment par conséquent des individus séparés pourraient-ils agir de manière à protéger l'environnement ou à en améliorer la qualité ? Ce serait le cas, en particulier, pour les problèmes d'environnement global (lutte contre l'effet de serre, défense de la couche d'ozone, maintien de la bio-diversité, etc.). En effet, si chaque "citoyen du monde" profite des actions visant à maintenir ou à améliorer la qualité de l'environnement, chacun, individuellement, est incapable de les prendre en charge. En d'autres termes, aucun individu n'est incité à supporter les coûts qu'impliquent de telles actions, puisqu'il sait bien que ses actes sont de trop faible importance pour avoir une influence quelconque sur l'environnement. Si la plupart des hommes pensent ainsi -en dehors de quelques militants de l'écologie particulièrement motivés- il en résulte que l'environnement risque de se dégrader continuellement.

En d'autres termes encore, les ressources globales -l'air pur, l'eau, l'atmosphère- ne pouvant pas être appropriées et étant considérées par nature comme "collectives", elles devraient nécessairement faire l'objet de procédures de gestion publiques. Faute de quoi, chacun aurait intérêt à utiliser ces ressources, à les polluer, mais pas à les reconstituer et à les améliorer.
C'est cette idée qui a été à l'origine même de la conférence de Rio de Janeiro en juin 1992. Étant donné que certains problèmes concernent l'ensemble de l'humanité ou la totalité de la planète, l'action publique d'un seul Etat serait même considérée comme insuffisante. Il faudrait donc, non seulement des politiques publiques, mais même des politiques publiques coordonnées.
Dans ces conditions, les plus farouches défenseurs des droits individuels ne devraient-ils pas alors concéder ce terrain aux étatistes ? […] Pourtant, dans ce domaine comme dans les autres, l'exercice de la raison doit se substituer aux réactions instinctives et conduire à reconnaître que les seules et vraies solutions sont individuelles et qu'elles reposent sur les droits de propriété
." (pp.381-382)

"Si, jusqu'à une date récente, les éléphants d'Afrique étaient en voie de disparition, c'est précisément parce qu'ils constituaient un "patrimoine de l'humanité", c'est-à-dire qu'ils n'appartenaient à personne parce qu'ils appartenaient à tout le monde. Dans ces conditions, c'est évidemment l'intérêt de chacun d'essayer de s'approprier les richesses correspondantes, mais pas de les reconstituer: les gains sont privés, mais les coûts sont collectifs, alors que dans une économie capitaliste, c'est-à-dire une économie de droits de propriété, les gains et les coûts correspondants sont privés. Lorsque les éléphants constituent un "bien collectif", chacun a intérêt à les tuer pour en utiliser l'ivoire ou la viande, mais personne n'a intérêt à les protéger. Certes, les Etats peuvent s'efforcer de réglementer, d'interdire et de sanctionner, mais ceux qui doivent faire respecter ces réglementations, ces interdictions ou ces sanctions, s'ils peuvent être de bonne volonté, peuvent aussi être indifférents, dans la mesure où ils n'ont aucun bénéfice particulier à tirer de leurs actions de protection, et ils risquent même de devenir complices des braconniers qui tuent les éléphants: comme toujours, la corruption est fille de la réglementation.
La prise en charge de la réglementation par la "communauté internationale" (c'est-à-dire par ceux qui s'en proclament les représentants) n'arrange rien et induit au contraire ce que l'on appelle des "effets pervers" faute d'avoir compris que ces effets sont malheureusement "normaux" et prévisibles dès lors que l'on s'interroge sur les motivations effectives des actions humaines. Ainsi, la Convention internationale sur les espèces menacées a interdit le commerce de l'ivoire en pensant que cela conduirait à la diminution ou à la disparition des actes illégaux de braconnage, devenus non rentables. Mais, dans la mesure où la demande d'ivoire persiste, un marché noir s'instaure nécessairement. Le prix qui s'établit sur un tel marché est bien supérieur à ce qu'aurait été le prix sur un marché libre car il incorpore une prime de risque importante sans laquelle les braconniers hésiteraient à se lancer dans des actes illégaux. Le prix devient alors suffisamment rémunérateur pour inciter les plus aventureux à se lancer dans les activités illégales. Dans la mesure où ils s'approprient des ressources qui ne leur appartiennent pas, ils ne respectent évidemment pas les règles de base d'une véritable société libérale. Ils sont certes inspirés par l'esprit de lucre, mais celui-ci est la "chose du monde la mieux partagé" et il ne caractérise en rien le fonctionnement d'une économie libérale. Bien au contraire, celle-ci, dans la mesure où elle repose sur le respect des droits d'autrui, consiste essentiellement à établir des barrières devant l'exercice illimité de l'esprit de lucre
." (pp.382-383)

"Comment, alors, protéger les éléphants et, avec eux, toutes les espèces menacées ? Tout simplement en les privatisant. A partir du moment où les éléphants appartiennent à des individus ou des groupes d'individus bien spécifiés, ces derniers ont intérêt non seulement à exploiter les éléphants, mais à les "créer", c'est-à-dire à favoriser les naissances et à protéger leur croissance, puisque la possession d'un droit de propriété permet d'exclure autrui de l'usage d'une ressource: le propriétaire d'un éléphant et lui seul peut décider de l'abattre, de vendre son ivoire et sa viande. Il a donc tout intérêt à empêcher les autres de tuer ses éléphants et à en faire apparaître de nouveaux. Il en va de l'éléphant comme de n'importe quelle autre ressource: si les vaches, les bœufs et les taureaux avaient été considérés comme des "biens collectifs", à l'instar des éléphants, il y a longtemps sans doute qu'ils auraient disparu ou qu'ils auraient été déclarés membres d'une espèce en voie de disparition… Et un quelconque "accord international sur l'interdiction du commerce de la viande de bœuf" n'aurait évidemment pas pu enrayer le processus.
Or la privatisation des éléphants n'est pas qu'une vue de l'esprit. Si elle est en fait réalisé depuis longtemps, par exemple, dans les parcs nationaux, en particulier en Afrique du Sud, elle est devenue la pratique légale normale d'un pays comme le Zimbabwe depuis quelques années. A vrai dire, il ne s'agit pas exactement de la création de droits individuels, les éléphants étant plutôt devenus la propriété de communautés villageoises ou de familles élargies. Mais il n'en reste pas moins vrai que cette modification juridique a transformé le sort des éléphants. Désormais, les villageois, au lieu d'être des spectateurs indifférents ou des acteurs conscients des massacres d'éléphants, sont devenus les gestionnaires rationnels d'une exploitation optimale des troupeaux d'éléphants. Le capitalisme pastoral a remplacé le collectivisme, pour le plus grand bienfait des populations et des éléphants… Dès lors, les villageois considèrent les éléphants comme des ressources non seulement renouvelables, mais à renouveler. Et si les troupeaux deviennent trop importants par rapport à ce que l'environnement permet de supporter, on adapte leur dimension en en tirant des ressources. Les résultats de cette privatisation sont tellement spectaculaires qu'en une quinzaine d'années, on est passé d'une situation où les éléphants étaient en voie d'extinction à une situation où ils sont au contraire surabondants, au point qu'il est nécessaire d'organiser régulièrement des ventes aux enchères au cours desquelles les résidents du pays ou d'autres pays voisins peuvent acheter des animaux -non seulement des éléphants, mais aussi des girafes, des buffles ou des impalas- qui permettront de reconstituer leurs propres troupeaux ou de se lancer à leur tour dans l'élevage.
A titre d'exemple, les villages du district de Nyaminyami ont perçu 467 000 dollars en trois ans grâce à la vente de permis de chasse, à l'organisation de safaris-photos ou à la vente de viande. On constate simultanément une très forte diminution du braconnage. La privatisation des éléphants permet donc à la fois de fournir des ressources non négligeables à des populations pauvres et de sauvegarder des espèces que l'on croyait en danger. Le Zimbabwe compte maintenant parmi les pays qui réclament la fin de l'embargo sur le commerce de l'ivoire et on peut régulièrement lire dans la presse française des cris d'indignation unanimes contre cette horrible pression mercantiliste qui s'exercerait aux dépens de pauvres animaux innocents. Mais la "communauté internationale" n'en a pas moins été forcée de battre en retraite et d'accepter une libéralisation limitée, puisque le commerce de l'ivoire en provenance d'un petit nombre de pays d'Afrique et -curieusement- uniquement à destination du Japon a été récemment autorisé.
Les tortues marines n'ont pas eu la même chance que les éléphants. En effet, il existait il y a quelques années deux fermes à tortues, l'une aux îles Caïmans, l'autre à Tahiti. L'intérêt de leurs propriétaires était évidemment de tout faire pour perpétuer l'espèce, en particulier en protégeant les œufs contre les rapaces -qui suppriment environ 90% de la ponte- ou contre les humains, et en assurant le développement régulier et le renouvellement des tortues. Mais, hélas, les écologistes sont passés par là et ils ont fait interdire le commerce de l'écaille de tortue. Les fermes à tortues ont donc dû fermer, faute de débouchés. Mais cela n'empêche évidemment pas la capture illégale des rares spécimens qui subsistent. Il est maintenant presque certain, grâce à la réglementation internationale sur la protection des tortues, que celles-ci vont disparaître.
On peut multiplier les exemples, ils aboutissent tous à la même conclusion: seules l'instauration du capitalisme, c'est-à-dire d'un régime de droits de propriétés privés, et la suppression du collectivisme permettent de défendre les espèces animales menacées et l'environnement. Et ce que l'on constate pour les espèces animales est également vrai, bien évidemment, pour les espèces végétales.
" (pp.383-386)

"Ainsi, il est constant de dénoncer la destruction des forêts tropicales par les grandes sociétés multinationales, symboles d'un capitalisme apatride et destructeur. Uniquement mues par le souci de maximiser leurs propres profits, elles coupent des arbres centenaires, pratiquent de larges saignées dans les forêts et, ce faisant, portent atteinte à ce "poumon de l'humanité" que seraient les forêts tropicales, en particulier la forêt amazonienne. Dans la description de ce carnage, on oublie cependant de préciser une chose, à savoir que ces grandes sociétés ne sont pas propriétaires de la forêt, mais qu'elles bénéficient seulement d'une concession accordée par le véritable propriétaire, l'Etat. De là vient tout le mal. En effet, un régime de concession n'accorde au bénéficiaire que deux attributs du droit de propriété, l'usus et le fructus, mais pas l'élément essentiel, l'abusus, qui reste aux mains de l'Etat.
Si des entreprises privées, véritablement capitalistes, pouvaient se porter acquéreurs de droits de propriété intégraux sur les forêts tropicales, les conséquences en seraient considérables. Elles seraient incitées à reconstituer et même à développer les plantations car la valeur de leurs terrains dépendrait évidemment de la valeur des arbres susceptibles d'y être coupés dans le futur. Il en irait ainsi même si les arbres mettent cent ans à pousser. En effet, le raisonnement rationnel d'un propriétaire -c'est-à-dire d'un titulaire de l'abusus- consiste à envisager la valeur de ses terres à différentes dates du futur. Or, la valeur des terrains dans trente ans, par exemple, est elle-même déterminée non pas seulement par la valeur des arbres que l'on pourra couper à cette époque (peut-être nulle), mais également par la valeur des arbres que l'on pourra couper soixante-dix ans plus tard. Autrement dit, même si l'on envisage de vendre dans trente ans un terrain dont on a coupé les arbres aujourd'hui et sur lequel les nouveaux arbres mettront cent ans à pousser, la valeur future de ce terrain sera d'autant plus grande que l'on aura planté plus d'arbres aujourd'hui et que l'on s'approchera plus de la date à laquelle la forêt deviendra exploitable. Le droit de propriété permet de capitaliser les actions futures, de transporter les valeurs dans le temps.
Dans un régime de concession, au contraire, l'intérêt du concessionnaire consiste évidemment à exploiter la ressource au maximum, mais pas à la reconstituer, puisque le rendement futur des sacrifices effectués aujourd'hui ne sera pas perçu par lui. Il y a donc incitation à détruire et non à créer. Le véritable coupable de la destruction des forêts tropicales n'est donc pas le forestier -qui ne fait que s'adapter au régime juridique qu'on lui propose- mais l'Etat: utilisant son monopole de la contrainte légale, il a pris possession des forêts et, au lieu de les vendre, il n'accorde que des droits de concession. Ce faisant, il néglige par ailleurs allégrement les "droits de premiers occupants" des populations installées dans ces forêts. Bien entendu, on imagine facilement que cette particularité juridique conduise les entreprises bénéficiaires de concessions à se comporter en nomenklaturistes et non en entrepreneurs innovateurs. Et pour obtenir une concession, la corruption facilite bien les choses. Une insuffisance de droits de propriétés privés conduit donc à la collusion entre le pouvoir étatique et les rentiers nomemklaturistes. Nous sommes aux antipodes du capitalisme. Si les écologistes du monde entier comprenaient les mécanismes institutionnels -ce qui ne devrait pas demander un effort intellectuel trop important- ils seraient les plus fervents défenseurs d'un véritable capitalisme mondial. Ainsi, seul le régime de la propriété privé -inhérent au capitalisme- permettrait à la fois de reconnaître les droits ancestraux des Indiens d'Amazonie et de renouveler les ressources forestières.
Quand on regarde une carte de l'évolution des forêts au cours des décennies récentes, il est frappant de constater que leur superficie a augmenté de manière significative dans certaines zones du monde et diminué fortement dans d'autres. Or cette évolution est fortement corrélée au régime juridique: la forêt a progressé là où elle est majoritairement privée, par exemple en Europe ; elle a diminué là où elle fait l'objet d'une propriété étatique, par exemple en Afrique et en Asie.
Et puisque nous parlons des forêts, pourquoi ne pas s'intéresser à des forêts plus proches de nous, par exemple les forêts méditerranéennes ? Celles-ci sont régulièrement la proie des flammes et la réaction constante lors de ces événements consiste à réclamer la création d'un "conservatoire de la forêt", c'est-à-dire d'un patrimoine collectif. La nationalisation des terres serait donc considérée comme la solution au problème des incendies, comme si le feu avait la bonne habitude d'éviter les terres publiques, mais pas les terres privées.
Pourquoi, en effet, les propriétaires privés de forêts seraient-ils plus indifférents au risque d'incendie que les propriétaires publics ? Existerait-il dans ce cas une exception au principe général selon lequel la propriété privée est le moyen le plus sûr de rendre les gestionnaires responsables ? Ne faut-il pas penser plutôt que, si le conservatoire des forêts méditerranéennes voyait le jour, on devrait affronter dans quelques années les risques nés du mauvais entretien de ses forêts, laissées à l'abandon faute de moyens, mais surtout faute de responsables ?
En réalité, si les propriétaires privés semblent actuellement dans l'incapacité de préserver leurs biens, en particulier grâce au débroussaillement, c'est parce que les atteintes au droit de propriété sont déjà extraordinairement profondes, de telle sorte que les terres ne sont pas suffisamment rentables. Comme dans tous les autres domaines de l'activité humaine, une véritable politique libérale consiste à restaurer la propriété individuelle. Pour le moment, en effet, l'administration, méfiante à l'égard de la propriété privée, empêches-en maints endroits la construction d'habitants individuelles et préfère promouvoir des ZAC et autres zones au nom barbare sur lesquelles on impose des concentrations humaines. Or, des propriétaires de maisons en zone forestière (éventuellement construites sur des terrains de plusieurs hectares préservant largement la nature) seraient beaucoup plus incités à protéger leur environnement, car la valeur de leurs biens en serait considérablement accrue. Et bien évidemment la rentabilité accrue d'une forêt qui ne rapporte à peu près rien pour le moment rendrait l'entretien plus facile à assumer. On pourrait d'ailleurs considérer comme légitime de déduire les frais de débroussaillement de l'assiette de l'impôt sur le revenu, tout au moins si l'on acceptait de manière générale la déductibilité générale de l'épargne: les dépenses en question consistent en effet non pas à obtenir des satisfactions immédiates, mais à maintenir la valeur d'un capital.
Il faut d'ailleurs se méfier de la notion de "conservation" et de "conservatoire". Si les hommes avaient été soumis, depuis l'origine des temps, à des gouvernements désireux de créer des "conservatoires" de la nature, les paysages de Toscane ou les jardins japonais n'existeraient pas. Les hommes -pas seulement et même surtout pas les gouvernants et leurs administrations- sont capables d'inventer de la beauté et d'améliorer leur environnement, pourvu qu'on les laisse libres de le faire. Quel intérêt peut-on trouver à "conserver" un littoral ou une forêt, au moyen des "conservatoires" correspondants, si ceux-ci ne constituent que des aires sauvages, inaccessibles et sans beauté, faute d'entretien et d'imagination, risquant d'ailleurs même de devenir la proie des flammes ?
" (pp.386-388)

"En fait, le vrai débat ne concerne pas le choix entre l'impôt et la réglementation ; il concerne l'intervention étatique dans le domaine de la lutte contre la pollution. Quant aux taxes écologiques, des raisons de principe très générales et très importantes conduisent en fait à les condamner radicalement.
Comment, tout d'abord, déterminer ce que les pollueurs doivent payer ? S'il est difficile d'apprécier le tort causé à autrui par la pollution, comment peut-on déterminer le montant de la taxe ? On prétend en effet que les auteurs de nuisances - "d'externalités négatives" - doivent en supporter le coût pour qu'ils soient incités à intégrer dans leurs calculs le poids réel de ce qu'ils font subir à autrui, par exemple sous forme de dégradation de l'environnement. En fait, ces externalités apparaissent parce que les droits de propriété sur l'environnement ne sont pas définis: si chaque citoyen disposait de droits bien définis sur l'environnement, on pourrait déterminer et mesurer les atteintes à leurs droits dues à la pollution. Mais cette absence de définition des droits sur l'environnement peut tenir à deux raisons différentes:
-ou bien les institutions existantes ne permettent pas de définir ces droits de propriété ;
-ou bien on ne peut pas définir les droits de propriété d'une manière qui en vaille la peine, c'est-à-dire au fond qu'on ne veut pas les définir: le coût de définition est trop élevé par rapport au gain qu'on en retire.
Dans le premier cas, il faut modifier le Droit (éventuellement en supprimant tout ce qui contribue à l'étatisation des ressources et qui donne le sentiment qu'elles constituent des "biens publics"). Dans le deuxième cas, celui où les coûts de définition des droits de propriété sont trop élevés, on n'a précisément aucune base pour juger des torts qui sont faits aux individus, par exemple par la pollution. Le fait de recourir à des taxes ne change rien au problème. Il ne résout ni le problème de définition des droits de propriété ni le problème de l'information. Le montant "optimal" de la taxe est, pour sa part, totalement incalculable ! […]
Au moyen des taxes écologiques, les hommes de l'Etat annoncent un "prix" de la pollution, de manière forcément arbitraire, et on prétend que ce système est libéral ! De même, dans le système de planification centralisée soviétique, il y avait des prix (parfois décidés à partir des catalogues de vente par correspondance occidentaux). Mais ce système n'était pas pour autant un système de liberté économique. Recourir aux taxes écologiques c'est revenir au système de décision centralisée dont la faillite est maintenant reconnue par ailleurs.
En créant a priori des taxes on suppose au fond implicitement que l'Etat est propriétaire de l'environnement. Et comme tout homme se trouve situé dans un environnement, l'idée que l'on doit payer des taxes à l'Etat pour maintenir l'environnement implique donc l'étatisation potentielle de tout l'univers.
Compte tenu du caractère arbitraire et dangereux des interventions étatiques pour résoudre les problèmes d'environnement, il faut se demander si des solutions individuelles ne pourraient pas être trouvées. A première vue, il semble contradictoire de vouloir résoudre un problème global par des solutions individuelles. En fait il n'en est rien si l'on recourt à des moyens juridiques plutôt qu'à l'interventionnisme fiscal.
Prenons l'exemple du "trou dans la couche d'ozone" et supposons qu'il existe effectivement une tendance à l'augmentation continue de ce trou, ce qui ne semble pas absolument prouvé. Supposons aussi que l'on puisse considérer que les chlorofluorocarbones (CFC) en sont les principaux responsables, ce qui donne également lieu à discussion. Supposons enfin que cette situation risque de provoquer des conséquences dommageables sur la santé des hommes, selon des modalités à préciser. Il existe donc une chaîne causale dont tous les éléments ne sont pas parfaitement connus, mais dont l'aboutissement ultime est la dégradation concrète de la santé de certains individus.
La solution étatiste consiste soit à réglementer la production -et donc l'usage- des CFC, ce qui ne peut impliquer leur interdiction, soit à leur imposer des taxes écologiques. L'autre solution consiste à s'en remettre au Droit de la responsabilité. S'il fonctionne de manière satisfaisante, une personne qui estime être ainsi victime du "trou d'ozone", de manière concrète, pour des dommages vérifiables et spécifiques, va rechercher les responsables -par exemple les producteurs de CFC- et essayer d'en obtenir réparation. Poser le problème en ces termes, c'est souligner qu'il ne constitue pas en réalité un problème global, mais un problème dont l'incidence est différente selon les individus: aussi longtemps qu'il n'y a pas de victimes concrètes, le problème du dommage est purement mythique.
On objectera alors certainement qu'un système de responsabilité individualisée ne peut pas être efficient, parce qu'un individu isolé est largement désarmé devant la nécessité d'engager des procès à l'encontre d'un grand nombre de producteurs dont chacun dispose de moyens considérablement supérieurs aux siens, et alors même qu'un grand nombre de personnes sont dans le même cas. Autrement dit, aucun individu n'aurait intérêt, individuellement, à lutter contre ceux qui détruisent la couche d'ozone, à titre préventif, et même au titre des réparations dues. N'est-il pas plus simple qu'un petit nombre de gouvernements, aidés par quelques experts, déterminent les conditions de santé idéales et agissent en conséquence ? Ils sont chargés de ce que l'on appelle la "santé publique" qui constituerait donc un bien public. Le problème de la taxe écologique est au fond celui-là: on prétend qu'il faut trouver un substitut étatique à l'action individuelle, parce que celle-ci n'est pas possible. En fait, nous retrouvons le problème typique de bien public que nous avons déjà évoqué: ce serait l'intérêt de tous qu'on limite les émissions de CFC, mais personne individuellement n'aurait intérêt à agir.
Nous pensons pour notre part que les biens publics n'existent pas et les problèmes d'environnement global en donnent une bonne illustration. Il n'est pas du tout évident, en effet, que l'individu soit désarmé juridiquement par rapport aux producteurs de CFC, et cela surtout si l'on se trouve dans un système économique non réglementé. Il n'est certainement pas vrai, par ailleurs, que l'individu n'a pas intérêt à agir, puisque c'est sa propre santé qui est en cause.
Remarquons d'abord ceci: s'il est facile de prouver le lien de causalité "émission de CFC -trou dans la couche d'ozone- atteintes à la santé", le coût de l'acte juridique en est diminué d'autant pour le plaignant. Et si la causalité n'est pas facilement démontrable, pourquoi les gouvernements imposeraient-ils des taxes pour empêcher un phénomène dont on n'a pas pu démontrer l'existence et/ou l'incidence ?
Quoi qu'il en soit, il reste un fait, à savoir qu'un plaignant particulier devrait éventuellement s'attaquer à un grand nombre de pollueurs. Est-il pour autant démuni ? En réalité, toutes sortes de solutions sont envisageables et, même si nous ne pouvons pas toutes les imaginer, la pratique en ferait certainement apparaître plusieurs, dont certaines pourraient être particulièrement efficaces.
Tout d'abord une association des victimes de la pollution peut se créer et attaquer en justice les coupables. L'avantage de cette solution c'est que l'association est composée de victimes concrètes qui subissent un tort véritable et vérifiable. Et la simple menace d'une action juridique future de la part de futures victimes doit évidemment modifier le comportement des pollueurs, s'ils estiment que la chaîne causale existe effectivement et qu'ils risquent donc d'être condamnés dans le futur.
Si, par exemple, les gouvernements refusaient d'agir dans le domaine de l'émission des CFC et s'il apparaissait, d'une part, que la preuve de leur nocivité était de plus en plus facile à faire et que, d'autre part, des conséquences concrètes sur la santé devenaient de plus en plus probables, ceux qui se sentiraient victimes commenceraient à constituer des associations de ce type. L'appréciation des risques effectifs et la recherche de solutions se feraient ainsi graduellement et sans bouleverser l'équilibre complexe des décisions humaines. On peut dire que l'information scientifique serait ainsi produite à un rythme optimal, en fonction des besoins concrets des personnes concernées.
Imaginons même qu'un individu puisse obtenir une décision de justice qui lui soit favorable à l'encontre d'un pollueur quelconque. Des cabinets de Droit pourraient alors avoir intérêt à investir dans cette activité risquée qui consiste à obtenir une jurisprudence contre des pollueurs et à rentabiliser l'investissement juridique initial en se spécialisant dans la défense de cas similaires.
Mais il faut aussi admettre, plus simplement, qu'il est toujours possible pour une victime potentielle de s'assurer contre les risques dus à la pollution globale et que les procès contre les pollueurs seraient alors pris en charge par les assureurs et non pas directement par les victimes, ce qui transformerait totalement le caractère apparemment asymétrique des relations entre les victimes et les coupables. Les techniques de réassurance rendraient d'ailleurs d'autant plus faciles des actions judiciaires contre un grand nombre de pollueurs dispersés sur la planète.
Symétriquement, dans le cadre d'une solution purement juridique aux problèmes de pollution, un pollueur potentiel pourrait s'assurer contre le risque d'être condamné à réparation, de telle sorte que les compagnies d'assurance exerceraient une fonction de régulation de la pollution, puisqu'il serait de leur intérêt d'atténuer les risques, en contrôlant les pollueurs et en leur demandant des primes d'assurance d'autant plus élevées que les risques apparaîtraient plus importants. Le pollueur pourrait même s'assurer contre le risque d'être considéré comme le pollueur unique, alors qu'il en existe d'autres, et sa compagnie d'assurances aurait donc à se retourner contre ces derniers. Il suffirait alors à une victime de la pollution d'attaquer un pollueur quelconque pour que l'ensemble des pollueurs soient mis en cause. Par ces mécanismes contractuels complexes, l'action judiciaire se poursuivrait donc jusqu'au pollueur marginal dont la contribution à la pollution serait trop faible pour qu'il vaille la peine de l'attaquer. Par ailleurs, l'émergence de cette structure de défense des droits individuels exercerait un effet dissuasif sur les pollueurs potentiels. Mais cette solution fonctionnerait d'autant mieux que l'activité d'assurance serait moins réglementée.
Sans pouvoir être parfaite, elle serait en tout cas très supérieure à la solution collectiviste généralement à l'honneur. En effet, la taxation des sources de pollution ne peut évidemment pas conduire à une efficacité totale. Il restera toujours des victimes de l'environnement, c'est-à-dire des victimes des actes d'autrui. Mais lorsque l'environnement est étatisé, tout mal provenant de l'environnement est considéré comme une fatalité: il n'y a pas de responsable contre lequel se retourner. Les victimes futures des atteintes à l'environnement n'obtiendront donc pas réparation, alors que des sommes considérables entreront dans les caisses étatiques au moyen des taxes écologistes.
" (pp.391-397)


-Pascal Salin, "La défense de l'environnement: bien public ou bien privé ?" chapitre 16 in Libéralisme, éditions Odile Jacob, 2000, 506 pages, pp.381-399.

6 commentaires:

  1. 1/5 Cette lecture est intéressante et stimulante. Mais à mon sens, elle contient quelques erreurs ou confusions fondamentales qui neutralisent l'essentiel des bonnes idées que l'auteur a pu penser avoir. Il s'agit d'une part d'une confusion trompeuse entre les intérêts du propriétaire et ceux des écosystèmes (I.) et d'autre part d'une sous-estimation du chantier juridique à mener pour mettre en oeuvre une véritable responsabilité écologique sur la base des mécanismes classiques de la responsabilité civile (II.).

    I. L'article part du postulation selon lequel "les écosystèmes sont mieux gérés par des propriétaires". Il cite au renfort de cette thèse le cas des éléphants au Zimbabwe, des fermes à tortue, des concessions forestière en Amazonie, et du domaine forestier européen. Or, pour chacun de ces exemples, il est aisé de démontrer que soit le capitalisme ne coïncide que dans la plus superficielle apparence avec les besoins des écosystèmes, soit qu'il ne s'agit pas du tout de capitalisme.

    Pour le cas des éléphants et des tortues, l'article glisse entièrement sur le fait qu'ils s'agit de troupeaux d'éléphants et de fermes à tortue. Or ces deux formes d'exploitation de la ressource animale (surtout la ferme) ne reproduit absolument pas les fonctions écosystémiques que ces espèces occupent dans leur milieu, et qui constituent l'objet même de la protection que les écologistes entendent leur accorder. La tortue marine élevée en ferme ne migre pas et ne s'intègre pas dans la chaîne alimentaire océanique. De même, les troupeaux d'éléphants paissent dans des territoires délimités, alors même qu'il s'agit d'espèces ayant, dans leur milieu naturel, un très vaste bassin de vie et de migration. Ces migrations sont essentielles pour le "jardinage" de la végétation basse et buissonnante qui permet aux écosystèmes de savane de fonctionner. Ces déplacement se font au mépris des frontières des États et du parcellaire - et qui d'ailleurs sont du reste empêchées par le morcellement et la clôture de la propriété en Afrique.

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  2. 2/ 5 Quand à la forêt amazonienne, l'auteur de l'article ne maîtrise clairement pas les enjeux, puisqu'il considère que la forêt vierge n'est exploitée que pour les essences tropicales, et qu'une parcelle en gestion privée l'est également pour l'exploitation des essences. En vérité, l'essentiel de la déforestation se fait pour autre chose que de la sylviculture : monocultures de cannes à sucre et de soja fourrager au Brésil, monocultures de palmiers à huile à Bornéo et Java, caféiers en Colombie... Évidemment, la valeur écosystémique de ces cultures est parfaitement négative, puisqu'elles épuisent et lessivent les sols, éclatent le maillage écosystémique, et réduisent drastiquement la biodiversité. Quant à la forêt vierge détruite, elle n'est renouvelable que sur le très long terme pourvu qu'on la laisse se régénérer.

    Quand bien même la forêt - qu'elle soit tropicale ou européenne - est exploitée à des fins sylvicoles, sa valeur écosystémiques n'a rien d'évident. Les monocultures en gestion privée de pins maritimes dans les Landes, qu'on se le dise, ne sont pas des forêts : ce sont des champs. A ce titre, leur valeur écosystémique est très faible, en plus d'être vulnérables aux incendies et aux infestations. D'où un régime intense d'épandage d'insecticides, herbicides et fongicides sur le parcellaire français. A tous les niveaux d'analyse, cela n'a rien à voir avec l'écologie.

    Une remarque encore sur l'argument des concessions, qui en ne transmettant que l'usus et le fructus pour une durée limitée déresponsabiliseraient l'exploitant. Les concessions portant sur des territoires sont généralement faite pour des gisements miniers ou pétroliers, et parfois pour de la forêt tropicale. Pour les raisons que j'ai exprimées plus haut concernant le caractère faiblement renouvelable de la forêt, il faut, à l'échelle de la vie humaine et de l'opérateur capitaliste, la considérer que une ressource non-renouvelable. Ces concessions portent donc en vérité sur l'extraction d'une ressource, dont sur la destruction de la propriété ; c'est consubstantiel à la ressource en cause. Par fiction et convention, les concessions confèrent bien le fructus, mais on pourrait tout aussi bien penser qu'exploiter une mine s'apparente à la faculté d'abusus du propriétaire. Or, à cet égard, le concessionnaire comme le propriétaire d'une mine agit de la même manière : il exploite sa ressource jusqu'à atteinte du seuil de non-rentabilité. A la rigueur, pour ces exploitations, l'essentiel de l'atteinte environnementale se situe ailleurs : pour les concessions minières, ce sont les érosions et destructions du terrain, les effluents de défloculants ou agents de lessivage des minerais, etc...

    Bref, on le comprend : la question de savoir si l'élevage en ferme coïncide avec les fonctions écosystémiques (dont on recherche l'intégrité) est extrêmement contingente et liée aux caractéristiques de l'espèce et du milieu. L'adéquation entre l'intérêt du gestionnaire privé et l'intérêt des écosystèmes n'est pas du tout assurée, et si elle existe, elle n'est que fortuite et partielle.

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  3. 3/ 5 En revanche, on peut parfaitement admettre l'idée selon laquelle la propriété privée agricole puisse avoir une valeur écosystémique, parfois plus importante que certains milieux dits naturels. Les campagnes ainsi anthropisées s'analysent comme de véritables écosystèmes, avec une très grande intensité des fluxs biologiques, de manière très vertueuse sur le plan écologique. Or cette façon de "faire campagne" et de "faire agriculture" n'est pas consubstantielle à la propriété privée ; aujourd'hui, la propriété privée productive, dans un système purement capitaliste, tend à y faire obstacle. Il faut donc admettre l'intervention de l'autorité publique pour structurer et réglementer l'usage de la propriété.

    La solution est ancienne: la loi Verdeille de 1964, qui réglemente la chasse et créée des "circonscriptions de chasse" au mépris du maillage du foncier issu du morcellement de la propriété dans le Sud de la France, est un tel dispositif en faveur d'une campagne anthropisée. Ce dispositif est nécessaire pour éviter les surchasses et le braconnage, en même temps que la régulation des dommages de grand gibier aux clôtures, ou les dommages d'oiseaux aux cultures. De même, les labels agricultures biologiques, les normes d'épandage ou de fourrage, de pâturage en pré du bétail, etc... sont autant d'atteintes réglementaires à la propriété, qui sont nécessaires pour faire de l'humain productif et capitaliste une "fonction écosystémique comme les autres". Sur cette question, je maintiens que l'auto-organisation des producteurs et des consommateurs ne suffit pas : fraude, manipulation des informations et des labels, incurie du consommateur comme du producteur, négligence, absence d'information et d'expertise, manque de visibilité sur la filière, concurrence évinçant les solutions vertueuses non-rentables, etc... sont autant d'obstacles pratique à une organisation écologique de pur marché qui prenne en compte les aspects agro-parcellaires liés à l'écologie.

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  4. 4/5 II. Le problème de la réglementation du droit de propriété, qui frappe ce dernier au plein coeur de son absolutisme libéral (usus, fructus, abusus y nada mas), peut potentiellement être transposé aux productions industrielles, mais ce sera surtout le problème de la responsabilité des acteurs économiques qui se posera en pratique.

    Sur cette responsabilité, je tombe assez en accord avec ce que Christopher Stone pouvait écrire en 1972 : "Every well-working legal-economic system should be so structured as to confront each of us with the full costs that our activities are imposing on society". C'est l'idéal de la responsabilité la plus classique. Mais "unfortunately, so far as the pollution costs are concerned, the allocative ideal begins to break down, because the traditional legal institutions have a more difficult time "catching" and confronting us with the full social costs of our activies". C'est-à-dire que j'admets parfaitement qu'intellectuellement, la solution responsabiliste traditionnelle est élégante. Elle permet également de s'imaginer, dans les sphères de l'esprit, une prise en charge effective du coût induit par le risque grâce au mécanisme assurantiel. Mais en pratique, elle se confronte à tant d'obstacles qu'elle devient une maladresse de la pensée.

    Ces difficultés pratiques sont essentiellement de quatre ordres, intimement liés à la preuve du lien de causalité entre le fait dommageable et l'atteinte à une personne ou à ses biens : le caractère anonyme des pollutions, le caractère anonyme des atteintes, la potentialisation des effets sanitaires et environnementaux, et la difficulté de réunir les éléments scientifiques ayant une valeur probatoire suffisante. A ces quatre aspects liés spécifiquement à l'établissement de la responsabilité, s'ajoute une difficulté d'ordre écologique (le dommage environnemental pur ne sera pas relevé par les mécanismes classiques), une difficulté d'ordre juridique (le problème de la réparation écologiquement adéquate d'une atteinte environnementale), et une difficulté d'ordre économique (la balance que fait le pollueur entre l'économie liée à la pollution et la déséconomie liée à la dépollution, et dont les termes dépendront de la capacité des pollués à mettre en oeuvre sa responsabilité, ce qui suppose qu'ils surmontent les difficultés évoquées plus haut). Ce sont toutes ces caractéristiques qui fondent le caractère dérogatoire d'un "droit de l'environnement", et qui est difficilement conciliable avec l'idée que l'on se fait classiquement du libéralisme ou du capitalisme libéral.

    Je ne vais pas détailler chacun de ces éléments. Mais il faut bien comprendre que le droit de la responsabilité dans sa forme la plus classique - la plus romaine - est fait pour dédommager la personne physiquement percutée par un char à boeufs. A la rigueur, un régime spécial était reconnu par les praetor concernant les troubles anormaux du voisinage, mais il ne vise que le bien-être et la santé de l'homme propriétaire. C'est-à-dire que sont potentiellement évincées toute une série de dommages ayant des incidences environnementales, mais pas nécessairement sanitaires, du moins pas immédiatement.

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  5. 5/5 Le problème de cette responsabilité "archaïque" est évidemment l'exigence d'un strict lien d'imputation entre la pollution et le dommage subi. Or, que l'on regarde n'importe quel domaine estampillé "environnemental", n'importe quelle atteinte, n'importe quelle molécule, l'incertitude scientifique est la règle. En droit, dans un prétoire, cette incertitude scientifique se traduit par un refus d'admettre que la molécule X ait causé à M. Y son cancer "au-delà du doute raisonnable". Concernant le système climatique, le problème est décuplé : tous sont pollueurs à des degrés différents ; cette pollution influe sur le système climatique, d'une stochastique puisque nous peinons à saisir précisément les mécanismes et conséquences du réchauffement climatique ; enfin, les conséquences de ce réchauffement se manifestent par des propensions à la catastrophe, c'est-à-dire des réalisations de risques plus probables, plus graves qu'elles ne le seraient sans le réchauffement climatique.

    Là encore, dans cette dernière étape, les pollueurs - pour peu que l'on soit capable de les désigner, à moins de faire le procès de 7 milliards d'être humains, simultanément - se défausseront en arguant qu'il ne saurait être démontré "au-delà du doute raisonnable" que ses émissions annuelles de GES ont réellement provoqué telle sécheresse, tel incendie, telle baisse des rendements agricoles, tel ouragan ou telle coulée de boue. Et là encore, les requérants, qui sont des gens normaux ou des associations à but non-lucratif donc sous-financées, devront mobiliser leurs experts, leurs études, leurs épidémiologistes, etc... face aux industries qui défendront leurs intérêts, avec des moyens bien supérieurs, dans une bataille d'experts. Ne sortira que celle conclusion selon laquelle la science est incapable d'aboutir à des constats définitifs "noir-blanc", alors même que le droit et la justice ont besoin de solutions alternatives pour vider les litiges et réimputer les responsabilités.

    Bref, on ne peine pas à se rendre rapidement compte que les mécanismes classiques de la responsabilité ne peuvent pas ici toucher leur cible, à moins de sortir radicalement transfigurés de cette "épreuve environnementale". Quand bien même ce serait le cas, les dispositif institutionnels, judiciaires et administratifs pour mettre en oeuvre ces responsabilités sont colossaux, puisque les responsabilités sont planétaires, et que les auteurs de pollution sont disséminés sur toute la surface du globe.

    Or, l'outil fiscal permet de créer une grande fiction juridique qui contourne ces difficultés. En considérant simplement que selon les émissions annuelles de telle filières et les parts de marché de tel acteur, il devra payer tant au titre de ses émissions en équivalent CO2, une administration fiscale peut s'épargner les difficultés afférentes aux responsabilités climatiques mondiales. Quant au calcul du coût environnemental en général, la comptabilité sociale et environnementale fait des progrès.

    Sur le plan juridique de l'imputation du dommage et du calcul du coût environnemental, l'affaire de la CIJ Costa Rica c/ Nicaragua du 17 avril 2013 est assez riche d'enseignements. De façon tout à fait pragmatique, la Cour faisait la part entre ce qui est calculable et ce qui ne l'est pas, en fonction des informations disponibles en l'espèce, et selon les méthodes de calcul (coût de restauration de l'environnement versus déséconomies liées aux pertes de services écosystémiques). Dans cette affaire, la question de l'information disponible se posait à nouveau. Un grand adjuvant dans le dégagement des informations scientifiques pertinentes avait été une ONG spécialisée dans le calcul des dégâts environnementaux.

    Bref, des solutions existent, mais ce ne sont pas des solutions à l'emporte-pièce, et encore moins des solutions compatibles avec le capitalisme tel qu'il est classiquement compris.

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  6. (Mes excuses pour les fautes d'orthographe et de frappe, je n'ai pas relu mes messages dans la petite boîte de dialogue)

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