Parfois l’époque parle si bien d’elle-même qu’il n’est
guère besoin de commentaires. Il suffit d’écouter ce qu’elle veut nous dire –et
la vérité n’est peut-être pas tant à dévoiler qu’à discerner dans les remous et
les plis de l’Histoire en marche.
« Les mots sont à
l’envers absolu des choses, tout est cul par-dessus tête, tout est renversé –
étymologiquement, tout est catastrophique. »
-Frédéric Lordon, Ce que nous pouvons, 30 novembre 2015.
I :
« Cette
démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le
terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur
ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État ; elle est
donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir
du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées
que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt
acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique. »
-Guy Debord, Commentaires
sur la société du spectacle, Éditions Gérard Lebovici, 1988.
« L'état
d'urgence, c'est l'état de droit. C'est un principe de droit que nous voulons
d'ailleurs constitutionnaliser. »
-Manuels Valls, Premier
Ministre, 11 décembre 2015.
C’est que l’Etat d’exception,
comme l’a bien analysé Agamben, a une sinistre tendance à devenir la règle. Mais
le plus glauque réside sûrement non dans les dérives sécuritaires du Pouvoir,
mais plutôt dans les railleries de la Réaction, pour laquelle -pour une fois- tout va pour le mieux
dans le meilleur des mondes.
Dans cette allégresse de
la servitude, on peine à reconnaître le portrait des français que traçait d’eux
Nicolas Oresme (« Il est impossible, grâce à Dieu, que les cœurs libres
des Français dégénèrent au point qu'ils acceptent de bon gré leur
asservissement » -Nicolas Oresme, Traité de l'origine, la nature, le droit et la mutation des monnaies, 1366). A croire que le slogan des
nationalistes serait juste : on ne reconnaît plus notre pays, mais pas
pour les raisons qu’ils avancent.
II :
« Qui n'a pas
vibré au sacre de Reims et à la fête de la Fédération n'est pas vraiment
français. »
Alors que la France s'obscurcit, rien ne paraît plus urgent à une partie de nos concitoyens
que de se réfugier dans la nostalgie mystifiante du passé, et pourquoi pas vaguement
monarchiste (et xénophobe). C’est en tout cas ce qui se dégage des dernières
élections régionales, et c’est bien le déni du réel qu’il faut y voir,
davantage que l’ascension d’une jeune lionne réactionnaire, intégrée dans les cercles de l’extrême-droite européenne, réponse malheureuse au pourrissement d’une classe
politique aussi vieillissante que dénuée d’imagination.
Cela étant, il y a plus
dangereux pour l’avenir de notre République que la progression d’un parti
certes nationaliste (et socialiste) mais que rien, sur le plan idéologique ou
pratique, ne permet à l’heure actuelle de désigner comme fasciste.
Difficile en effet, comme le souligne bien Vincent Benard, « de prétendre que « les Fachos,
c’est le FN », lorsque l’on a fait voter une loi renseignement qui élimine
la notion de vie privée, que l’on songe à prolonger l’état d’urgence dans des
termes qui rendent la notion d’État de droit pour le moins évanescente, et que
les bavures de cet état d’urgence se multiplient ». Mais le pire est
encore ailleurs.
III :
« Nicias, en
dépit de sa prévoyance et de sa sagesse, ne put jamais convaincre les habitants
d’Athènes du danger de porter la guerre en Sicile. Cette entreprise, exécutée
malgré les conseils des citoyens les plus éclairés, entraîna la ruine totale
d’Athènes. »
-Nicolas Machiavel, Discours
sur la première décade de Tite-Live, Livre premier, Chapitre 53.
Sur Daesh, l’essentiel a été dit. Mais peut-être est-ce
là qu’il faut insister, rien qu’un moment, sur le rejet par les parlementaires français d’une
proposition de résolution « tendant à la
création d’une commission d’enquête relative à la participation de fonds
français au financement de Daesh ». Certains individus semblent avoir voulus
mettre en cause l’ordre existant, et le rôle des pétromonarchies moyen-orientales qui sont pourtant nos amies…
On sait pourtant que des gouvernements des 3ème
et 4ème Républiques sont tombés pour bien moins que les criminelles aventures
militaires de l’heure. Et parfois des régimes suivent la pente fatale, après
avoir sacrifiés les libertés de leurs citoyens.
IV :
Et s’il fallait revenir brièvement sur la situation
politique française, je dirais qu’elle est marquée par l’autodestruction bien méritée du Parti des Satisfaits, dont on peut déjà pronostiquer la chute finale
aux prochaines présidentielles.
V :
Quant à la BCE, elle semble déterminée à poursuivre
sa politique d’expansion monétaire, dont les effets pervers sont pourtant bien connus. La consternation des analystes financiers n’est guère rassurante pour
le dénouement de toute cette farce…
« Cette
politique monétaire de la BCE ne produit aucun effet positif : d’une part, les
rachats de titres n’ont aucun effet d’entrainement sur l’économie réelle, car
les banques qui les vendent déposent en retour leurs disponibilités
excédentaires à la BCE ; et d’autre part, en abaissant encore les taux de base
qui étaient déjà à des niveaux négatifs, la BCE ne fait qu’accentuer les
difficultés des banques, car elles peuvent difficilement dégager des bénéfices
en prêtant à des niveaux très bas.
Des
taux négatifs étaient inimaginables, inconcevables. C’est une très grave erreur
que de poursuivre une telle politique monétaire comme je l’ai écrit à maintes
reprises, ce qui est aussi l’avis de Claudio Borio, chef du département
monétaire et économique de la BRI, qui vient de déclarer que «
Les limites de l’impensable » ont été
franchies, « Le calme qui règne actuellement est fragile » a-t-il ajouté.
Pire
encore : une telle politique monétaire montre, ou avoue, que la zone euro reste
engluée dans une crise larvée avec un taux de chômage très élevé, surtout dans
ces cochons de pays du Club Med sans que la BCE puisse y faire repartir la
croissance, en particulier à cause de l’hypertrophie de la masse monétaire qui
est irrattrapable. »
-Jean-Pierre Chevallier, Eurozone, eurofolies, 7 décembre 2015.
Certes, la politique monétaire expansive de la BCE permet aux
Etats européens, France en tête, de s’endetter à moindre frais. Mais il faut
bien voir que cet avantage pour les Etats va se payer par une dépréciation de
la valeur de la monnaie, très probablement assortie d’une désorganisation du
système économique et d’une nouvelle crise. De surcroît, l’illusion que les
taux d’intérêts resteront faibles incite les gouvernements français successifs
à n’entreprendre aucune réforme. Ignorer aussi ostensiblement le problème du
surendettement de l’Etat n’a pas réussi à des pays comme la Grèce, que nous
pourrions rejoindre dans l’abîme plus tôt que prévu…
Et tout cela n’est bien sûr pas une nouveauté :
« Je suis
à la tête d'un Etat qui est en situation de faillite sur le plan financier, je
suis à la tête d'un Etat qui est depuis 15 ans en déficit chronique, je suis à
la tête d'un Etat qui n'a jamais voté un budget en équilibre depuis 25 ans, ça
ne peut pas durer. »
-François Fillon, 21 sept. 2007.
VI :
« Que
signifie le nihilisme ? Que les valeurs supérieures se déprécient. Il peut être
un signe de force, la vigueur de l'esprit peut s'être accrue au point que les
fins que celui-ci voulut atteindre jusqu'à présent ("convictions",
"articles de foi") paraissent impropres car une foi exprime
généralement la nécessité de conditions d'existence, une soumission à
l'autorité d'un ordre de choses qui fait prospérer et croître un être, lui fait
acquérir de la force... ; d'autre part
le signe d'une force insuffisante à s'ériger un but, une raison d'être, une
foi. Il atteint le maximum de sa force relative comme force violente de destruction
: comme nihilisme actif. »
-Friedrich Nietzsche, La Volonté de puissance, I, 1.
Pour finir 2015 en musique, et illustrer le
nihilisme d’homo festivus qui joue à être résistant depuis sa terrasse de café…
Ma foi, c’est une analyse dense et documentée que vous nous livrez là, cher Johnathan Razorback. Je ne reviendrai pas sur les points techniques que vous relevez avec beaucoup de précision. Ce qui compte le plus, ce sont les enjeux institutionnels. Vous sentez bien que quelque chose va bouger dans la politique française. Eh bien, je peux vous annoncer l’avenir : il y aura une réforme du mode de scrutin, le parti socialiste va exploser en deux, la droite va exploser en deux, une grande majorité centrale va émerger, une personnalité capable d’incarner l’unité nationale va venir au premier plan. Tel est l’avenir, heureux ceux qui l’ont toujours su, heureux ceux qui l’ont toujours dit !
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