Pour essayer de crédibiliser sa thèse, Denis de
Rougemont tente de montrer que le mythe opère par les médiations de formes
littéraires…
« Toute la
poésie d’Occident procède de l’amour courtois et du roman breton qui en dérive.
C’est à cette origine que notre poésie doit son vocabulaire pseudo-mystique :
et c’est dans ce vocabulaire que les amoureux d’aujourd’hui puisent encore, en
toute conscience, leurs métaphores les plus courantes.
Mais de même que le mythe romanesque avait utilisé un « matériel » d’images, de
noms et de situations tiré du fonds religieux des Celtes, donc une religion
déjà morte, de même notre littérature et nos passions utilisent par abus, et
sans le savoir, un langage dont la seule mystique définissait le sens valable.
[…]
Il est facile d’imaginer le processus. Saint Augustin écrit cette prière : « Je te cherchais hors de moi, et je ne te trouvais pas, parce que tu étais en moi. » Il parle à Dieu, à l’amour éternel. Mais supposez qu’un troubadour ait exprimé la même prière en feignant de l’adresser à sa Dame. L’amant habitué aux métaphores mystiques, qu’il entend à leur sens profane, sera tenté de voir dans cette même phrase l’expression de la passion qu’il aime : celle qu’on goûte et savoure en soi, dans une sorte d’indifférence à son objet vivant et extérieur. Ainsi nous vu que Tristan aime Iseut non point dans sa réalité, mais en tant qu’elle éveille en lui la brûlure délicieuse du désir. L’amour-passion tend à se confondre avec l’exaltation d’un narcissisme…
Dans cette transposition objectivement mais non pas consciemment blasphématoire, et qui ne s’est accomplie qu’après le XIIème siècle, la conscience moderne a cru voir une donnée première. Elle a cru pouvoir « expliquer » le plus élevé par le plus bas, la mystique pure par la passion humaine. Elle a fondé cette « science » nouvelle sur l’observation du langage, et spécialement sur la similitude des métaphores utilisées dans les deux cas. Or d’où venaient ces métaphores ? D’une mystique, comme nous l’avons vu –mais déguisée, persécutée, puis oubliée. A tel point oubliée comme hérésie, et passée dans les mœurs comme poésie, que les mystiques chrétiens utiliseront ses métaphores devenues profanes comme si elles étaient toutes naturelles. Et nous ferons de même ensuite, et nos savants. » (p.166-167)
Il est facile d’imaginer le processus. Saint Augustin écrit cette prière : « Je te cherchais hors de moi, et je ne te trouvais pas, parce que tu étais en moi. » Il parle à Dieu, à l’amour éternel. Mais supposez qu’un troubadour ait exprimé la même prière en feignant de l’adresser à sa Dame. L’amant habitué aux métaphores mystiques, qu’il entend à leur sens profane, sera tenté de voir dans cette même phrase l’expression de la passion qu’il aime : celle qu’on goûte et savoure en soi, dans une sorte d’indifférence à son objet vivant et extérieur. Ainsi nous vu que Tristan aime Iseut non point dans sa réalité, mais en tant qu’elle éveille en lui la brûlure délicieuse du désir. L’amour-passion tend à se confondre avec l’exaltation d’un narcissisme…
Dans cette transposition objectivement mais non pas consciemment blasphématoire, et qui ne s’est accomplie qu’après le XIIème siècle, la conscience moderne a cru voir une donnée première. Elle a cru pouvoir « expliquer » le plus élevé par le plus bas, la mystique pure par la passion humaine. Elle a fondé cette « science » nouvelle sur l’observation du langage, et spécialement sur la similitude des métaphores utilisées dans les deux cas. Or d’où venaient ces métaphores ? D’une mystique, comme nous l’avons vu –mais déguisée, persécutée, puis oubliée. A tel point oubliée comme hérésie, et passée dans les mœurs comme poésie, que les mystiques chrétiens utiliseront ses métaphores devenues profanes comme si elles étaient toutes naturelles. Et nous ferons de même ensuite, et nos savants. » (p.166-167)
« Le fait
central de toute vie religieuse de forme et de contenu chrétiens, c’est
l’événement de l’Incarnation. Dès qu’on s’écarte un tant soit peu de ce foyer,
l’on encourt le double péril de l’humanisme et de l’idéalisme. » (p.167)
« Ruysbroek,
Thérèse et Jean de la Croix sont très nettement « christocentriques ». Tout
chez eux part du drame de la séparation instituée par le péché entre l’homme et
son Créateur ; tout aboutit à des instants de communion active dans la Grâce,
et c’est cela qu’ils appellent « mariage » -cette communion de l’âme élue et du
Christ époux de l’Église. Mais la voie de l’homme séparé, c’est la passion –et
la passion est partout dans leurs œuvres, tandis qu’elle est absente de celles
d’Eckhart.
Voilà pourquoi ce fut la mystique orthodoxe –la moins suspecte de troubles complaisances !- qui se vit portée par l’objet même de sa foi à user, et parfois à abuser, du langage de l’amour-passion. » (p.182)
Voilà pourquoi ce fut la mystique orthodoxe –la moins suspecte de troubles complaisances !- qui se vit portée par l’objet même de sa foi à user, et parfois à abuser, du langage de l’amour-passion. » (p.182)
« L’amour de
la Dame, dès qu’il cessera d’être un symbole de l’union avec le Jour incréé,
deviendra le symbole de l’impossible union avec la femme ; gardant de ses
origines mystiques on ne sait quoi de divin, de faussement transcendant –une
illusion de gloire libératrice dont la douleur serait encore le signe ! Ainsi
s’opère le renversement tragique : se dépasser jusqu’à s’unir au transcendant,
quand le but n’est plus la Lumière, et quand on ignore le « chemin », c’est se
précipiter dans la Nuit.
Le dépassement, dès lors, n’est plus qu’exaltation du narcissisme. Il ne vise plus à la libération des sens, mais à la douloureuse intensité du sentiment. Intoxication par l’esprit.
L’histoire de la passion d’amour, dans toutes les grandes littératures, du XIIIème siècle jusqu’à nous, c’est l’histoire de la déchéance du mythe courtois dans la vie « profanée ». C’est le récit des tentatives de plus en plus désespérées que fait l’Éros, pour remplacer la transcendance mystique par une intensité émue. Mais grandiloquentes ou plaintives, les figures du discours passionné, les « couleurs » de sa rhétorique ne seront jamais que les exaltations d’un crépuscule, promesses de gloire jamais tenues… » (p.188)
-Denis de Rougemont, L’amour et l’Occident, Livre III « Passion et Mystique », Plon, Bibliothèque 10/18, 1972 (1939 pour la première édition), 445 pages.
Le dépassement, dès lors, n’est plus qu’exaltation du narcissisme. Il ne vise plus à la libération des sens, mais à la douloureuse intensité du sentiment. Intoxication par l’esprit.
L’histoire de la passion d’amour, dans toutes les grandes littératures, du XIIIème siècle jusqu’à nous, c’est l’histoire de la déchéance du mythe courtois dans la vie « profanée ». C’est le récit des tentatives de plus en plus désespérées que fait l’Éros, pour remplacer la transcendance mystique par une intensité émue. Mais grandiloquentes ou plaintives, les figures du discours passionné, les « couleurs » de sa rhétorique ne seront jamais que les exaltations d’un crépuscule, promesses de gloire jamais tenues… » (p.188)
-Denis de Rougemont, L’amour et l’Occident, Livre III « Passion et Mystique », Plon, Bibliothèque 10/18, 1972 (1939 pour la première édition), 445 pages.
« Passions et
expression ne sont guère séparables. La passion prend sa source dans cet élan
de l’esprit qui par ailleurs fait naître le langage. Dès qu’elle dépasse
l’instinct, dès qu’elle devient vraiment passion, elle tend du même mouvement à
se raconter elle-même, que ce soit pour se justifier, pour s’exalter, ou
simplement pour s’entretenir. […] Les sentiments qu’éprouvent l’élite, puis les
masses par imitation, sont des créations littéraires en ce sens qu’une certaine
rhétorique est la condition suffisante de leur aveu, donc de leur prise de
conscience. A défaut de cette rhétorique, ces sentiments existeraient sans
doute, mais d’une manière accidentelle, non reconnue, à titre d’étrangetés
inavouables, en contrebande. […]
C’est que pour admirer la nature simple, pour accepter certaines mélancolies, voire pour se suicider, il faut être en mesure « d’expliquer » à soi-même ou aux autres ce qu’on sent. Plus un homme est sentiment, plus il y a de chances qu’il soit verbeux et bien disant. » (p.191)
C’est que pour admirer la nature simple, pour accepter certaines mélancolies, voire pour se suicider, il faut être en mesure « d’expliquer » à soi-même ou aux autres ce qu’on sent. Plus un homme est sentiment, plus il y a de chances qu’il soit verbeux et bien disant. » (p.191)
« Il semble
bien que, dès le XIVème siècle, les hérétiques répandus désormais dans toute
l’Europe, où l’Église les traque, aient cessé de recourir à l’expression
littéraire de leur religion. Le catharisme se cachera désormais dans les
couches profondes et muettes des peuples, là où la vie sociale ne se prête plus
aux formes nobles, ne fournit plus les beaux symboles de la grande féodalité.
Ce mutisme, d’ailleurs, n’arrête pas son progrès.
L’Église d’Amour donnera naissance à d’innombrables sectes plus ou moins secrètes, plus ou moins révolutionnaires, et dont les traits constants témoignent d’une origine commune, d’une tradition fidèlement conservée. Toutes ces sectes en effet sont caractérisées par leur opposition au dogme trinitaire (du moins sous sa forme orthodoxe) ; par leur spiritualisme exalté ; par leur doctrine de la « joie rayonnante » ; par leur refus des sacrements et du mariage ; par leur condamnation absolue de toute participation aux guerres ; par leur anticléricalisme ; par leur goût de la pauvreté et de l’ascèse (végétarisme) ; enfin par leur esprit égalitaire, allant parfois jusqu’à un communisme total. » (p.193)
L’Église d’Amour donnera naissance à d’innombrables sectes plus ou moins secrètes, plus ou moins révolutionnaires, et dont les traits constants témoignent d’une origine commune, d’une tradition fidèlement conservée. Toutes ces sectes en effet sont caractérisées par leur opposition au dogme trinitaire (du moins sous sa forme orthodoxe) ; par leur spiritualisme exalté ; par leur doctrine de la « joie rayonnante » ; par leur refus des sacrements et du mariage ; par leur condamnation absolue de toute participation aux guerres ; par leur anticléricalisme ; par leur goût de la pauvreté et de l’ascèse (végétarisme) ; enfin par leur esprit égalitaire, allant parfois jusqu’à un communisme total. » (p.193)
« Imposer un
style à la vie des passions –ce rêve de tout le moyen âge païen tourmenté par
la loi chrétienne- c’est la secrète volonté qui devait donner naissance au
mythe. Mais la confusion de la foi, « qui à Dieu seul est due et à lui seul
convient », avec l’amour d’ « une chose mortelle », en fut la conséquence
inévitable. Et c’est bien de cette confusion –non de la doctrine orthodoxe- que
devait résulter l’opposition tragique du corps et de l’âme. C’est la tendance
ascétique, orientale –le monachisme vient d’Orient- c’est la tendance hérétique
des « parfaits » qui inspira la poésie courtoise. C’est donc bien elle, qui,
peu à peu, contamina par le moyen d’une littérature idéalisante l’élite de la société
médiévale. D’où la réaction « réaliste » qui ne pouvait manquer de s’ensuivre.
Elle fut surtout sensible dans la bourgeoisie.
Dès le début du XIIème siècle, en plein triomphe de l’amour courtois, l’on voit paraître cette tendance contraire, celle qui glorifiera la volupté avec le même excès, exactement, que l’autre apporte à glorifier la chasteté. Fabliaux contre poésie, cynisme contre idéalisme. » (p.204)
Dès le début du XIIème siècle, en plein triomphe de l’amour courtois, l’on voit paraître cette tendance contraire, celle qui glorifiera la volupté avec le même excès, exactement, que l’autre apporte à glorifier la chasteté. Fabliaux contre poésie, cynisme contre idéalisme. » (p.204)
« Rome n’a pas
triomphé partout. Il est une île où son pouvoir est contesté. C’est la dernière
patrie des bardes. En Cornouailles et en Écosse, leurs traditions resteront
vivantes jusqu’à l’époque où Macpherson les transcrira en langage moderne. Et
en Irlande, elles vivent encore de nos jours.
Je ne puis examiner ici le problème des rapports entre ce fonds de légendes celtiques et la littérature anglaise populaire et savante. Mais il est significatif qu’à la fin du XVIIème siècle, un bon lettré comme Robert Kirk, théologien et humaniste, ait écrit un traité sur les fées, sans trace de scepticisme ou d’ironie. Nous ne savons presque rien de Shakespeare –mais nous avons le Songe d’une Nuit d’été. Et l’on dit qu’il était catholique –mais nous avons Roméo et Juliette qui est la seule tragédie courtoise, et la plus belle résurrection du mythe avant le Tristan de Wagner. » (p.208)
Je ne puis examiner ici le problème des rapports entre ce fonds de légendes celtiques et la littérature anglaise populaire et savante. Mais il est significatif qu’à la fin du XVIIème siècle, un bon lettré comme Robert Kirk, théologien et humaniste, ait écrit un traité sur les fées, sans trace de scepticisme ou d’ironie. Nous ne savons presque rien de Shakespeare –mais nous avons le Songe d’une Nuit d’été. Et l’on dit qu’il était catholique –mais nous avons Roméo et Juliette qui est la seule tragédie courtoise, et la plus belle résurrection du mythe avant le Tristan de Wagner. » (p.208)
« L’histoire
du mythe dans le roman, au XVIIème siècle français, peut se réduire, hélas, en
une formule : la mystique se dégrade en pure psychologie. […] Le sujet du roman
demeure les « contrariétés » de l’amour, mais l’obstacle n’est plus la volonté
de mort, si secrète et métaphysique dans Tristan : c’est simplement le point
d’honneur, manie sociale. […] Mais tout finit, en général, par un mariage,
prévu dès la première page et retardé jusqu’à la dix-millième lorsque l’auteur
est un champion du genre. C’est le roman allégorique du XVIIème siècle qui
inventa le happy ending. Le vrai
roman courtois débouchait dans la mort, s’évanouissait dans une exaltation
au-delà du monde… Maintenant, l’on veut que tout rentre dans l’ordre, c’est la société
qui l’emporte, et dès lors la fin du roman ne saurait être qu’un retour à ce
qui n’est plus le roman : au bonheur. » (p.213)
[Avec une telle différence de structure narrative,
comment peut-on penser avoir affaire au même « mythe » -indépendamment
du problème de ce qu’on met sous ce vocable ? Pourquoi de Rougemont
parle-t-il de « dégradation » alors que tout indique la disparition –qu’on
pourrait d’ailleurs relier à la croissance des contraintes affectives et
sociales qu’engendre la formation de la société absolutiste ?]
« L’essence du
mythe de l’amour malheureux, nous le savons, c’est une passion inavouable.
L’originalité de Corneille demeure d’avoir voulu combattre et nier cette
passion dont il vivait, et ce mythe même que réinventent ses deux plus belles
tragédies : Polyeucte et le Cid. Il a voulu sauver au moins le principe de la
liberté, c’est-à-dire de la personne –sans lui sacrifier toutefois les effets
délicieux et torturants du fatal « philtre » (ici métaphorique). Bien mieux :
cette volonté de liberté est devenue l’agent le plus efficace de la passion
qu’elle prétendait guérir. » (p.219)
[Même remarque, le Cid ayant une « happy end ».]
« Le cas de
Spinoza mériterait un chapitre, mais son influence sur les mœurs ne s’est guère
fait sentir que deux siècles plus tard. (Il a fallu que les philosophes de Sturm
und Drang le traduisent en allemand pour
les poètes, qui l’ont traduit en métaphores pour les bourgeois sentimentaux, et
cela donne finalement tout un verbiage sur la divinité des impressions
champêtres du dimanche).
Spinoza décrit l’amour : un sentiment de joie accompagné de l’idée d’une cause extérieure. C’est juste en un seul cas, d’ailleurs le seul prévu par ce mystique : si la cause extérieure est un Dieu auquel notre âme pourrait s’identifier. Mais Spinoza néglige « l’obstacle ». Dans le fait, nos passions humaines sont toujours liées à des passions contraires, notre amour toujours lié à notre haine, et nos plaisirs à nos douleurs. Il n’est pas de cause isolée qui nous détermine purement. Entre la joie et sa cause extérieure il y a toujours quelque séparation et quelque obstacle : la société, le péché, la vertu, notre corps, notre moi distinct. Et de là vient l’ardeur de la passion. Et de là vient que le désir d’union totale se lie indissolublement au désir de la mort qui libère. » (p.227)
Spinoza décrit l’amour : un sentiment de joie accompagné de l’idée d’une cause extérieure. C’est juste en un seul cas, d’ailleurs le seul prévu par ce mystique : si la cause extérieure est un Dieu auquel notre âme pourrait s’identifier. Mais Spinoza néglige « l’obstacle ». Dans le fait, nos passions humaines sont toujours liées à des passions contraires, notre amour toujours lié à notre haine, et nos plaisirs à nos douleurs. Il n’est pas de cause isolée qui nous détermine purement. Entre la joie et sa cause extérieure il y a toujours quelque séparation et quelque obstacle : la société, le péché, la vertu, notre corps, notre moi distinct. Et de là vient l’ardeur de la passion. Et de là vient que le désir d’union totale se lie indissolublement au désir de la mort qui libère. » (p.227)
« Le XVIIIème
siècle avant Rousseau, c’est vraiment l’éclipse total du Soleil noir de la
Mélancolie. » (p.227)
[Rousseau est en effet le père du romantisme (et du
socialisme) français. Mais s’il y a « éclipse totale », comment
peut-on dire que la « conscience occidentale » est hantée par le
mythe ? …]
« Évidente
renaissance du thème courtois –donc de l’amour réciproque malheureux- chez tous
les romantiques allemands sans exception. » (p.237)
« L’envahissement
de nos littératures, tant bourgeoises que « prolétariennes », par le roman, et
le roman d’amour s’entend, traduit exactement l’envahissement de notre
conscience par le contenu totalement profané du mythe. Celui-ci cesse
d’ailleurs d’être un vrai mythe dès qu’il se trouve privé de son cadre sacral,
et que le secret mystique qu’il exprimait en le voilant se vulgarise et se
démocratise. Le droit à la passion des romantiques devient alors la vague
obsession de luxe et d’aventures exotiques que les « romans de gare »
suffissent à satisfaire symboliquement. Que cela n’ait plus aucune espèce de
sens valable, il suffit pour s’en assurer d’imaginer l’impuissance absolue où
se trouvent les clients de cette littérature à concevoir une réalité mystique,
une ascèse, un effort de l’esprit pour s’affranchir des liens sensuels : or la
passion courtoise n’avait pas d’autre but, et son langage n’avait pas d’autre
clé. » (p.254)
« L’ «
authentique » dont le désir nous obsède, nous ne pourrons pas le retrouver. Il
n’est pas au terme d’un mouvement d’abandon à l’instinct énervé et au
ressentiment de la chair. Il n’est pas caché mais perdu. Il ne peut qu’être
recréé par un effort contraire à la passion, c’est-à-dire par une action, une
mise en ordre, une purification –un retour à la sobriété.
Agir, ce n’est pas s’évader hors d’un monde déclaré diabolique. Ce n’est pas tuer ce corps géant. Mais ce n’est pas non plus tirer son revolver contre l’esprit sous prétexte qu’il nous a trompés.
Agir, en vérité, c’est accepter les conditions qui nous sont faites, dans le conflit de l’esprit et de la chair ; et c’est tenter de les surmonter non plus en détruisant mais en mariant les deux puissances antagonistes. Que l’esprit vienne au secours de la chair et retrouve en elle son appui, et que la chair se soumette à l’esprit et retrouve par lui sa paix. Telle est la voie.
Éros mortel, Éros vital –l’un appelle l’autre, et chacun d’eux n’a pour fin véritable et pour terminaison réelle que l’autre, qu’il voulait détruire ! A l’infini, jusqu’à la consomption de toute vie et de tout esprit. Voilà ce que peut faire l’homme qui se prend pour son dieu. Voilà le mouvement dernier de la passion, dont l’exaspération s’appelle la guerre. » (p.260-261)
-Denis de Rougemont, L’amour et l’Occident, Livre IV « Le Mythe dans la Littérature », Plon, Bibliothèque 10/18, 1972 (1939 pour la première édition), 445 pages.
Agir, ce n’est pas s’évader hors d’un monde déclaré diabolique. Ce n’est pas tuer ce corps géant. Mais ce n’est pas non plus tirer son revolver contre l’esprit sous prétexte qu’il nous a trompés.
Agir, en vérité, c’est accepter les conditions qui nous sont faites, dans le conflit de l’esprit et de la chair ; et c’est tenter de les surmonter non plus en détruisant mais en mariant les deux puissances antagonistes. Que l’esprit vienne au secours de la chair et retrouve en elle son appui, et que la chair se soumette à l’esprit et retrouve par lui sa paix. Telle est la voie.
Éros mortel, Éros vital –l’un appelle l’autre, et chacun d’eux n’a pour fin véritable et pour terminaison réelle que l’autre, qu’il voulait détruire ! A l’infini, jusqu’à la consomption de toute vie et de tout esprit. Voilà ce que peut faire l’homme qui se prend pour son dieu. Voilà le mouvement dernier de la passion, dont l’exaspération s’appelle la guerre. » (p.260-261)
-Denis de Rougemont, L’amour et l’Occident, Livre IV « Le Mythe dans la Littérature », Plon, Bibliothèque 10/18, 1972 (1939 pour la première édition), 445 pages.
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