« Rien n’est analogue, dans le passé, à cet
effort collectif, continu, tenace, vers une vérité d’ordre universel et
pourtant humaine. Les trente années qui s’écoulent de 1620 à 1650 sont des
années décisives pour l’histoire de ce mouvement ; Bacon fait paraître le Novum
organum (1620) et le De dignitate et
augmentis scientiarum (1623) ; Galilée
écrit son Dialogo (1632) et ses
Discorsi (1638) ; Descartes publie le
Discours de la méthode (1637), les
Méditations (1641) et les Principes (1644) ; la philosophie du droit et la
philosophie politique font l’objet des travaux de Grotius (De jure belli ac
pacis, 1623) et de Hobbes (De cive, 1642). Tous ces travaux indiquent que
l’ère de l’humanisme de la Renaissance, qui a toujours plus ou moins confondu
l’érudition avec la philosophie, est décidément close ; et un rationalisme
commence qui prend pour tâche de considérer la raison humaine non pas dans son
origine divine, mais dans son activité effective. »
-Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, Tome 2 "La philosophie moderne", "Les classiques des sciences sociales" (à partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1929-1930-1932, 1184 pages), p.24-25.
-Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, Tome 2 "La philosophie moderne", "Les classiques des sciences sociales" (à partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1929-1930-1932, 1184 pages), p.24-25.
La réflexion historique, on l’a dit, doit se libérer
des entraves qui lui imposent l’idéalisme et ses a priori transcendants, eux-mêmes hérités de la religion et du
paradigme d’un gouvernement divin du monde. La science peut et doit se poser en
face de la religion en tant que seul discours apte à appréhender les choses de
ce monde. Dans le domaine de la réflexion politique, on a pu rattacher un tel
effort aux doctrines de Machiavel qui s’en veulent tenir « à la vérité effective de la chose »
(Le Prince, chapitre XV).
Mais c’est avec Francis Bacon que l’on a coutume de
marquer l’avènement de la modernité philosophique. Modernité à la radicalité
toute relative, car si Marx a pu écrire de Bacon qu’il était « le véritable ancêtre du matérialisme anglais
et de toute science expérimentale moderne » (La Sainte Famille, 1845), Bacon, pas plus que Descartes à sa suite,
ne supprime nullement le divin… Sa philosophie est un naturalisme (la nature est explicable à partir d’elle-même), mais « l'immanentisme est contenu face à la
question de l'origine ; la transcendance suffit lorsqu'il faut savoir d'où vient
le monde, logiquement et chronologiquement. [...] La nature est entièrement
accessible à la raison humaine, à condition de faire de son origine une
extériorité irréductible. » (Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions Kimé,
2103, 706 pages, p.218).
En dépit de quoi, les éléments de modernité sautent
aux yeux. D’abord de part une rupture conscience avec la tradition. Si l’Antiquité
n’est nullement méprisée, sa valeur est relativisée,
ramenée à un point de départ sur lequel le progrès doit s’édifier. Même chose
pour la philosophie aristotélicienne. L’Université scolastique est pointée du
doigt comme pétrifiée dans ses dogmes, incapable de développer une étude
rigoureuse et pratique des choses de
la Nature. Une réforme intellectuelle s’impose donc. Son approfondissement au
cours des 17ème et 18ème la révèlera peu à peu pour ce qu’elle
est : une révolution, une nouvelle ère historique, celle des Lumières.
« Penser
philosophiquement en anglais n’était pas encore chose courante en ce temps-là.
Le latin reste la langue des doctes. Bacon avait conscience de ne pas être un
brillant styliste en latin, mais ce n’est pas pour cela qu’il a écrit son
ouvrage en anglais. Dès 1603, il a souligné, à l’intention du roi, l’importance
de l’union linguistique : une unité nationale, dit-il, suppose outre un
souverain, une unité de nom, une unité de langage, une unité des Lois et une
unité des emplois, c’est-à-dire une absence complète de discrimination. Il
imagine qu’en Grande-Bretagne, une langue commune va se former et s’enrichir
des différents dialectes. » (p.XI-XII)
« Des mécènes, il y
en avait en Angleterre comme dans le nord de l’Italie. Coucher Oxford ou
Cambridge sur son testament, faire des dons de son vivant, n’était pas
inhabituel chez les riches marchands ; la classe moyenne avait déjà admis
que ses liens avec les recherches scientifiques, et sa dette à leur égard,
allaient être de plus en plus grands. Il n’était pas mauvais d’investir dans
les sciences. Ceux que déjà le XIVème siècle appelait des
« mathématiciens », parce qu’ils savaient utiliser l’astrolabe, et
que la Renaissance préfère appeler « astronomes » ou
« cosmographes » (ce qui en général renvoie à une connaissance de la
règle de Mercator) sont des personnages que les armateurs savent, mieux que les
universités, apprécier et aider. » (p.XIV)
« L’Angleterre était
déjà un peuple de marins. L’importance des progrès de la cartographie, du
calcul des latitudes, de l’estimation des longitudes, ou les promesses des
travaux sur l’aimant, ne lui échappe pas. […] Comme elle, en tout cas, Bacon
associe la découverte scientifique à celle des terres lointaines. » (p.XV)
« Bacon intègre
l’idée de « réforme des cerveaux » dans sa doctrine, mais de telle
sorte que cela ne conduise pas à rejeter les travaux anciens. Faire table rase
du passé n’est pas compatible avec une problématique du progrès, qui s’appuie
sur les bonnes choses déjà faites. » (p.XX)
« L’Etat est
l’instance de la longue durée. Le progrès n’est pas ce qui se fait « dans
l’heure que mesure le sablier d’une vie humaine », mais dans la suite des
générations. Or l'effort privé comme le talent individuel sont circonscrits
dans le bref espace qu’est une vie. Il ne peut donc y avoir de progrès
scientifique sans une instance qui organise le temps long dans lequel le
progrès peut avoir lieu et qui installe, dans des institutions elles aussi
durables, les différents éléments nécessaires à ce que les modifications des
sciences soient un progrès. Par exemple, il ne peut y avoir progrès sans
conservation de ce qui est acquis, sinon l’on repartirait toujours à zéro. Il
faut donc des bibliothèques. Il faut que les savants puissent coordonner leurs
travaux, par conséquent il faut créer des « lieux » de savoir dotés
également d’une certaine permanence. » (p.XXI)
« Dès les premières
pages de l’ouvrage, le lecteur comprend que c’est d’une sorte d’engloutissement
ou de refoulement socio-historique que souffre le savoir : en droit nous pourrions
connaître toute chose, depuis longtemps, depuis toujours. » (p.XXXVI)
« Comme le texte
anglais n’a pas été retraduit en français depuis Maugars et que la version
latine est expurgée, j’ai l’immense fierté de présenter pour la première fois à
un public français la pensée de Bacon non censurée. » (p.XLII)
« De Augmentis, et du même coup la version française de
The Advancement parue peu après, a été
mis à l’Index par Rome et n’en a jamais été ôté. » (note 1 p.XLIII)
« Les traces qui nous sont parvenues
indiquent des relations de confiance entre les deux personnages [Bacon et
Galilée]. […] On ne le mesure peut-être pas bien aujourd’hui, mais Du
Progrès a dû constituer pendant longtemps
pour les savants un formidable soutien moral. » (p.LVII)
« Du Progrès est comme le creuset de la pensée
philosophique du siècle ou comme son préambule, et il a inspiré même ceux qui
n’en disent pas du bien, comme Spinoza. » (p.LXIII)
-Michèle Le Doeuff,
introduction à Francis Bacon, Du progrès
et de la promotion des savoirs, Gallimard, coll. Tel, 1991 (1605 pour la
première édition anglaise), 375 pages.
« J’entends les
premiers [les hommes d’Église] dire que la connaissance est de ces
choses qu’il ne faut admettre qu’avec grande modération et grande
prudence : aspirer à trop de savoir, disent-ils, fut la tentation et le
péché originels qui entraînèrent la chute de l’homme : la connaissance a
en elle quelque chose du serpent […] Salomon la blême en ces termes : «
Faire des livres n’a pas de fin, et beaucoup étudier est une grande
fatigue pour le corps ». Ailleurs il dit aussi : « Une connaissance
étendue est source de grande tristesse et celui qui accroît la
connaissance accroîtra l’angoisse » ; et saint Paul prononce cette mise
en garde : « Ne nous laissons pas corrompre par la vaine philosophie » ;
l’expérience, disent-ils enfin, démontre à l’évidence que les doctes
ont été des fondateurs d’hérésies, les époques savantes ont été enclines
à l’athéisme, et l’étude des causes secondes fait qu’on s’en remet
moins à Dieu, qui est la cause première.
Pour mettre en évidence le caractère erroné et inculte de cette opinion, et la méprise sur laquelle elle repose, on pourrait bien montrer que ces gens omettent de tenir compte du fait que l’occasion de la Chute ne fut pas fournie par la pure connaissance de la nature ou du monde, cette connaissance à la lumière de laquelle l’Homme, à mesure qu’elles furent amenées devant lui, donna des noms aux autres créatures du Paradis, conformément à leur nature propre. Ce fut l’orgueilleux savoir du Bien et du Mal, assorti d’une intention chez l’homme de se donner à lui-même la loi et de ne plus s’en remettre aux commandements de Dieu, ce fut ce savoir-là qui a constitué la forme même de la tentation. » (p.7-
« En Egypte, en Assyrie, en Perse, en Grèce et à Rome, les mêmes temps qui brillèrent le plus pour le métier des armes sont aussi les plus admirés pour la science, de sorte que les plus grands auteurs et les plus grands philosophes, les plus grands capitaines et les plus grands gouvernants ont vécu aux mêmes époques. […]
Il est fort improbable, en ce qui concerne la politique et le gouvernement, que le savoir nuise plutôt qu’il n’aide. » (p.14)
« On peut assurément affirmer qu’aucune espèce d’homme n’aime le travail pour lui-même, sauf ceux qui sont instruits. […] Seuls les hommes instruits aiment le travail comme une action conforme à la nature, et qui convient à la santé de l’esprit autant que l’exercice physique convient à la santé du corps. Ils prennent plaisir dans l’action elle-même, non dans ce qu’elle procure. » (p.17-18)
« Et il est au-dessus de toute discussion que le savoir rend les esprits doux, généreux, gouvernables et souples, tandis que l’ignorance rend grossier, têtu et rebelle. Le témoignage de l’histoire conforte cette affirmation, puisque les époques les plus barbares, les plus rudes et les plus ignorantes furent aussi les plus sujettes aux tumultes, aux séditions et aux troubles. » (p.19)
« C’est souvent le lot des savants de commencer avec peu, puis de ne pas s’enrichir aussi vite que d’autres, parce qu’ils ne convertissent pas leurs efforts, principalement en profit ou accroissement d’influence. » (p.21)
« Si ces hommes de l’Ecole avaient joint à leur grande soif de vérité, à leur effort mental sans relâche, des lectures et des études variées autant que générales, ils se fussent avérés d’excellentes lumières pour le plus grand avancement de tout savoir et de toute connaissance. Mais tels qu’ils furent, ils se montrèrent certes ardents à entreprendre mais rendus furieux par leur enfermement dans l’obscurité. En tout cas, de même que dans la recherche de la vérité divine, leur orgueil incliner à abandonner l’oracle de la parole de Dieu, et à se dissiper dans le mélange de leurs inventions propres, de même, dans la recherche de la nature, ils quittèrent toujours l’oracle des œuvres de Dieu et adorèrent les images trompeuses et déformées que leur présentait le miroir inégal de leur propre esprit ou celui de quelques auteurs ou principes reçus. » (p.37)
« En faisant excessivement confiance aux auteurs en matière de sciences, on a fait d’eux des dictateurs, dont les paroles statuent une fois pour toutes, non des consuls qui auraient des avis à donner. […] L’eau ne saurait monter plus haut que le niveau d’où elle jaillit et descend ; de la même façon, la connaissance qui coule d’Aristote, si elle est soustraite au libre examen, ne montera jamais plus haut que la connaissance qu’avait Aristote. Par conséquent, bien que la position soit juste, qui dit : oportet discentem credere [il convient à celui qui est en train d’apprendre de croire], elle doit se jumeler avec cette autre : opertet edoctum judicare [il convient que celui qui a appris juge]. Les élèves ne doivent à leurs maitres qu’une foi temporaire ; ils ont à suspendre leur propre jugement jusqu’à ce qu’ils soient complètement instruits, non à démissionner absolument ni à se rendre prisonniers pour toujours. Pour en finir avec ce point, j’ajouterai seulement ceci : rendons aux grands auteurs ce qui leur revient, mais de telle sorte que le temps, qui est l’auteur des auteurs, ne manque pas de recevoir son dû, lui dont l’apanage est de découvrir de plus en plus loin la vérité. » (p.39-40)
« Telle est la déférence que l’antiquité mérite : les hommes doivent y remonter et de là-haut découvrir quel est le meilleur chemin ; mais, une fois ce chemin trouvé et pris, il faut y avancer. » (p.41)
« Une autre errance tient au fait qu’on ne supporte pas patiemment le doute et qu’on se dépêche d’affirmer, sans pratiquer mûrement la suspension de jugement qu’il faudrait. » (p.44)
« Le savoir ôte aux esprits humains la sauvagerie, la barbarie et la férocité. » (p.71)
« Historia mechanica [Histoire de la technique]. Pour ce qui est de l’histoire de la nature façonnée ou travaillée (mechanical), je trouve quelque recueil concernant l’agriculture et les arts manuels ; mais régulièrement ces recueils excluent les expériences courantes et banales. Descendre jusqu’à des recherches et des réflexions concernant les sujets techniques (mechanical) est considéré comme une espèce de déshonneur pour le savoir, sauf si ces sujets peuvent être tenus pour des secrets, des choses rares, ou des tours particulièrement habiles. » (p.92-93)
« L’utilité de l’histoire de la technique est, de toutes, celle qui est la plus fondamentale pour la philosophie naturelle et la plus proche des racines de celle-ci. Je parle d’une philosophie naturelle qui ne s’évanouira pas dans les brumes d’une pure spéculation, subtile, sublime ou délectable, mais d’une philosophie naturelle qui sera opératoire, qui bénéficiera à la vie de l’homme et la dotera de richesses. » (p.94)
« Et ce progrès de la navigation et des découvertes peut aussi fonder une espérance : celle de voir toutes les sciences aller de l’avant et augmenter. » (p.103)
« Fonder un rapport de bonne compagnie entre l’antiquité et le progrès. » (p.120)
-Francis Bacon, Du progrès et de la promotion des savoirs, Gallimard, coll. Tel, 1991 (1605 pour la première édition anglaise), 375 pages.
Pour mettre en évidence le caractère erroné et inculte de cette opinion, et la méprise sur laquelle elle repose, on pourrait bien montrer que ces gens omettent de tenir compte du fait que l’occasion de la Chute ne fut pas fournie par la pure connaissance de la nature ou du monde, cette connaissance à la lumière de laquelle l’Homme, à mesure qu’elles furent amenées devant lui, donna des noms aux autres créatures du Paradis, conformément à leur nature propre. Ce fut l’orgueilleux savoir du Bien et du Mal, assorti d’une intention chez l’homme de se donner à lui-même la loi et de ne plus s’en remettre aux commandements de Dieu, ce fut ce savoir-là qui a constitué la forme même de la tentation. » (p.7-
« En Egypte, en Assyrie, en Perse, en Grèce et à Rome, les mêmes temps qui brillèrent le plus pour le métier des armes sont aussi les plus admirés pour la science, de sorte que les plus grands auteurs et les plus grands philosophes, les plus grands capitaines et les plus grands gouvernants ont vécu aux mêmes époques. […]
Il est fort improbable, en ce qui concerne la politique et le gouvernement, que le savoir nuise plutôt qu’il n’aide. » (p.14)
« On peut assurément affirmer qu’aucune espèce d’homme n’aime le travail pour lui-même, sauf ceux qui sont instruits. […] Seuls les hommes instruits aiment le travail comme une action conforme à la nature, et qui convient à la santé de l’esprit autant que l’exercice physique convient à la santé du corps. Ils prennent plaisir dans l’action elle-même, non dans ce qu’elle procure. » (p.17-18)
« Et il est au-dessus de toute discussion que le savoir rend les esprits doux, généreux, gouvernables et souples, tandis que l’ignorance rend grossier, têtu et rebelle. Le témoignage de l’histoire conforte cette affirmation, puisque les époques les plus barbares, les plus rudes et les plus ignorantes furent aussi les plus sujettes aux tumultes, aux séditions et aux troubles. » (p.19)
« C’est souvent le lot des savants de commencer avec peu, puis de ne pas s’enrichir aussi vite que d’autres, parce qu’ils ne convertissent pas leurs efforts, principalement en profit ou accroissement d’influence. » (p.21)
« Si ces hommes de l’Ecole avaient joint à leur grande soif de vérité, à leur effort mental sans relâche, des lectures et des études variées autant que générales, ils se fussent avérés d’excellentes lumières pour le plus grand avancement de tout savoir et de toute connaissance. Mais tels qu’ils furent, ils se montrèrent certes ardents à entreprendre mais rendus furieux par leur enfermement dans l’obscurité. En tout cas, de même que dans la recherche de la vérité divine, leur orgueil incliner à abandonner l’oracle de la parole de Dieu, et à se dissiper dans le mélange de leurs inventions propres, de même, dans la recherche de la nature, ils quittèrent toujours l’oracle des œuvres de Dieu et adorèrent les images trompeuses et déformées que leur présentait le miroir inégal de leur propre esprit ou celui de quelques auteurs ou principes reçus. » (p.37)
« En faisant excessivement confiance aux auteurs en matière de sciences, on a fait d’eux des dictateurs, dont les paroles statuent une fois pour toutes, non des consuls qui auraient des avis à donner. […] L’eau ne saurait monter plus haut que le niveau d’où elle jaillit et descend ; de la même façon, la connaissance qui coule d’Aristote, si elle est soustraite au libre examen, ne montera jamais plus haut que la connaissance qu’avait Aristote. Par conséquent, bien que la position soit juste, qui dit : oportet discentem credere [il convient à celui qui est en train d’apprendre de croire], elle doit se jumeler avec cette autre : opertet edoctum judicare [il convient que celui qui a appris juge]. Les élèves ne doivent à leurs maitres qu’une foi temporaire ; ils ont à suspendre leur propre jugement jusqu’à ce qu’ils soient complètement instruits, non à démissionner absolument ni à se rendre prisonniers pour toujours. Pour en finir avec ce point, j’ajouterai seulement ceci : rendons aux grands auteurs ce qui leur revient, mais de telle sorte que le temps, qui est l’auteur des auteurs, ne manque pas de recevoir son dû, lui dont l’apanage est de découvrir de plus en plus loin la vérité. » (p.39-40)
« Telle est la déférence que l’antiquité mérite : les hommes doivent y remonter et de là-haut découvrir quel est le meilleur chemin ; mais, une fois ce chemin trouvé et pris, il faut y avancer. » (p.41)
« Une autre errance tient au fait qu’on ne supporte pas patiemment le doute et qu’on se dépêche d’affirmer, sans pratiquer mûrement la suspension de jugement qu’il faudrait. » (p.44)
« Le savoir ôte aux esprits humains la sauvagerie, la barbarie et la férocité. » (p.71)
« Historia mechanica [Histoire de la technique]. Pour ce qui est de l’histoire de la nature façonnée ou travaillée (mechanical), je trouve quelque recueil concernant l’agriculture et les arts manuels ; mais régulièrement ces recueils excluent les expériences courantes et banales. Descendre jusqu’à des recherches et des réflexions concernant les sujets techniques (mechanical) est considéré comme une espèce de déshonneur pour le savoir, sauf si ces sujets peuvent être tenus pour des secrets, des choses rares, ou des tours particulièrement habiles. » (p.92-93)
« L’utilité de l’histoire de la technique est, de toutes, celle qui est la plus fondamentale pour la philosophie naturelle et la plus proche des racines de celle-ci. Je parle d’une philosophie naturelle qui ne s’évanouira pas dans les brumes d’une pure spéculation, subtile, sublime ou délectable, mais d’une philosophie naturelle qui sera opératoire, qui bénéficiera à la vie de l’homme et la dotera de richesses. » (p.94)
« Et ce progrès de la navigation et des découvertes peut aussi fonder une espérance : celle de voir toutes les sciences aller de l’avant et augmenter. » (p.103)
« Fonder un rapport de bonne compagnie entre l’antiquité et le progrès. » (p.120)
-Francis Bacon, Du progrès et de la promotion des savoirs, Gallimard, coll. Tel, 1991 (1605 pour la première édition anglaise), 375 pages.
Voltaire a consacré la douzième de ses "Lettres philosophiques" à Bacon, qu'il qualifie de "père de la philosophie expérimentale".
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