vendredi 14 août 2015

Libéralisme et féminisme(s)

Aujourd’hui, je vous propose une traduction de l’article de la féministe anarcho-individualiste américaine Wendy McElroy, Mises's Legacy for Feminists (L’Héritage de Mises pour les féministes), paru le 1 septembre 1997 :


« Le nom de l’éminent économiste autrichien Ludwig von Mises n’est pas communément mentionné dans les cercles féministes, qui tend à percevoir le marché libre comme une institution à travers laquelle les hommes en tant que classe oppresse la classe des femmes. Si le sujet de Mises était jamais évoqué, le politiquement correct de ses observations sur la nature féminine créerai probablement une atmosphère plus glaciale encore. Par exemple, dans Socialisme : Une analyse économique et sociologique, il écrivit : « Il peut advenir qu’une femme soit en situation de choisir entre renoncer à la plus profonde des joies féminines, la joie de la maternité, ou à un développement plus masculin de sa personnalité dans son action et son comportement. Il peut advenir qu’elle ne dispose pas d’un tel choix. »
Par ses paroles combatives, Mises se plaça dans le commentaire politique du mouvement féministe lui-même. Il affirma que si le féministe se limitait à permettre l’autonomie des femmes par la liberté économique et légale, le féminisme n’était alors rien de plus qu’une « branche du grand mouvement libéral, qui soutient l’évolution libre et paisible ». D’un autre côté, si le féminisme cherchait à altérer « les institutions de la vie sociale avec l’idée qu’il était en mesure de supprimer les limites de la nature », alors le féminisme « est l’héritier spirituel du Socialisme ». Après tout, l’une des caractéristiques du socialisme est de tenter de reformer la nature et les lois naturelles par la réforme des institutions sociales. Une illustration en est la tentative de réformer l’approvisionnement et la demande au travers d’une économie planifiée.
A bien des égards, le féminisme libéral qui émergea au début des années 1960 –appelé « le féminisme de la seconde vague », ressemble à ce que Mises décrit comme une branche du libéralisme classique. Bien que le mouvement ne soit pas dépourvu d’un préjugé profond contre le capitalisme, la plupart des attaques des féministes libérales visaient à abolir les barrières légales et les iniquités auxquelles étaient confrontées les femmes. L’exigence de l’égalité légale était à son paroxysme dans la marche de 1978 où 100 000 manifestants défilèrent vers Washington D. C., pour exprimer leur soutien déterminé bien que voué à l’échec à l’Equal Rights Amendment (ERA). Les féministes des sixties tendaient à voir les hommes comme des partenaires récalcitrants à qui il fallait rappeler leurs responsabilités sociales : ça allait de reconnaître le talent des femmes au travail au partage des responsabilités parentales à la maison. Mais, selon les standards actuels, l’hostilité exprimée envers les hommes dans les années 60 était modéré. Dans l’esprit de reconnaissance des membres masculins, l’Association Nationale des Femmes changea même son nom en Association Nationale pour les Femmes.
Gender Feminism (Le féminisme de genre)
Cependant, à l’arrière-plan, une autre proche du féminisme était en train d’élaborer une idéologie distincte que Mises aurait totalement considéré comme « l’héritière spirituelle du Socialisme ». Dans son livre Qui a volé le Féminisme ? Christina Hoff Sommers se réfère à cette idéologie comme au « féminisme de genre » car, sur la base du genre, elle considère hommes et femmes comme des classes antagonistes nécessairement séparées. Les féministes de genre en concluent que tous les maux dont souffrent les femmes –du viol aux écarts salariaux –viennent du système masculin de domination totale, nommé patriarcat, qui s’exprime partiellement au travers du capitalisme. La théoricienne pionnière du genre Adrienne Rich défini le patriarcat dans son livre Of Woman Born (Sur la naissance de la femme) comme « le pouvoir des pères », c’est-à-dire, le « système idéologique, social et politique » à travers lequel les hommes contrôlent les femmes « par la force, la pression directe ou à travers le rituel, la tradition, la loi, et le langage, les coutumes, l’étiquette, l’éducation, et la division du travail. »
Concernant l’impact émotionnel du patriarcat, Andrea Dworkin écrivit dans Notre Sang, « Sous le patriarcat, chaque femme est une victime, passé, présent et future. Sous le patriarcat, chaque fille d’une femme est une victime, passée, présente et future. Sous le patriarcat, chaque fils d’une femme est un traître potentiel ainsi que l’inévitable violeur ou exploiteur d’une autre femme ». Les hommes n’étaient dès lors plus de simples partenaires récalcitrants. Les féministes de genre redéfinirent le sexe opposé comme une classe politique distincte dont les intérêts étaient intrinsèquement antagonistes aux femmes. Dans la théorie qui suivit, Dworkin jugea tous les hommes comme des violeurs. Kate Millet appela à la fin de l’unité de la famille. Catherine McKinnon déclara le mariage, le viol, et la prostitution impossible à différencier les uns des autres.
Vu à travers les lunettes politiques du féminisme de genre, la masculinité cessa d’être un trait biologique pour devenir culturelle ou idéologique. Dans Vers une théorie féministe de l’État, MacKinnon insista, « L’Homme/Le Masculin (Male) est un concept social et politique, non un attribut biologique ». Dans Notre Sang, Dworkin approuva « Dans le but de stopper…les abus systématiques commis contre nous, nous devons détruire les définitions mêmes de la masculinité et de la féminité, des hommes et des femmes ». La masculinité ne pouvait pas être réformée. Elle devait être éliminée.
Avec la mort de l’ERA et la déception conséquente des féministes libérales, l’idéologie du féminisme de genre vint au premier plan et commença à exercer une influence clé sur de nombres problèmes. En fait, il n’est pas excessif de dire que l’état du féminisme mainstream actuel repose sur l’analyse de classe façon féminisme de genre. C’est à ce stade de l’évolution théorique que Mises offre des vues pénétrantes sur le féminisme moderne.
L’analyse de classe et l’analyse de caste
Une classe n’est rien d’autre qu’un regroupement arbitraire d’entités qui partagent certaines caractéristiques ayant été déterminé depuis une position épistémologique particulière. En gros, ce qui constitue une classe est défini selon l’objectif de la personne qui fait la définition. Par exemple, un chercheur étudiant l’addiction aux drogues peut séparer la société en classes de consommateurs de drogues et de non-consommateurs. Peut-être distinguera-t-il ultérieurement dans sous-classes au sein des utilisateurs de classe basées sur les substances particulières utilisées, la fréquence d’usage, ou tout autre facteur pertinent pour l’objectif du chercheur. Les classes peuvent être définies par n’importe quel facteur pertinent pour celui qui fait la définition, tel que le niveau de revenu, la couleur des cheveux, l’âge, la nationalité, les pratiques sexuelles, et ainsi de suite.
Mais, pour les féministes de genre, l’analyse de classe est bien plus qu’un simple outil épistémologique. Elle est convertie en outil idéologique. C’est-à-dire, les membres de la classe « mâle » ne partagent pas seulement une identité basée sur certaines caractéristiques physiques, ils ont aussi un intérêt social et politique spécifique basé sur cette identité. Le plus important de tous est de garder les femmes, considérées en tant que classe, sous leur contrôle. Ainsi, le concept de genre en tant que classe devient si significatif qu’il devient un facteur causal : il prédit et détermine comme les membres de la classe vont se comporter.
L’analyse de classe est largement associée à Karl Marx, qui la popularisa comme approche politique pour prédire les intérêts et comportements. Pour Marx, le trait politique pertinent définissant la classe d’une personne était sa relation au moyen de production : était-il un capitaliste ou un travailleur ? C’est une forme d’analyse relationnelle de classe, qui décrit la classe par sa relation à une institution, ici le système capitaliste.
Mais le concept de classe a une histoire profonde au sein de la pensée individualiste, qui précéda le marxisme. En Amérique, par exemple, le jeffersonien John Taylor de Caroline affirma que ses contemporains impliqués dans les activités bancaires constituaient une « aristocratie de papier » -une classe spéciale au sein de la société qui s’enrichissait au dépend d’autrui. La distinction fondamentale de Franz Oppenheimer entre ceux qui usent de moyens politiques pour atteindre leurs objectifs et ceux qui usent de moyens économiques fut disséminé grâce à Albert Jay Nock, et elle forme toujours la conception actuelle de l’analyse de classe dans la pensée individualiste. La classe est décrite en fonction de sa relation aux institutions du pouvoir étatique : à savoir, un individu donné est-il un dirigeant ou un dirigé ? Utilise-t-il les moyens politiques ou en est-il victime ?
La société américaine du vingtième siècle posa un problème à l’analyse marxiste, qui croit à des classes d’intérêts fixes –l’hostilité inhérente entre travailleurs et capitalistes. La société américaine se définit par la quasi-fluidité de sa structure de classe et de ses intérêts. Les gens se reclassent fréquemment entre travailleur et capitaliste, des classes basses vers les hautes. Les cultures passées, telles que la France prérévolutionnaire, traçait des lignes claires entre les classes et reconnaissaient des droits distincts à chacune d’elles. Même dans l’Amérique du dix-huitième et dix-neuvième siècles –parfois louées comme des « sociétés sans classes » -des catégories de gens se voyaient déniées des privilèges légaux tels que le vote. Lorsque la loi devient universellement appliquée, les barrières de classe tombèrent.
La fluidité de la société américaine moderne ne pose pas de problème théorique au concept de classe selon Mises. Pour Mises, la classe est une question d’identité commune, pas d’intérêts partagés. Ainsi, la « classe laborieuse » peut avoir une certaine réalité économique objective, mais cela ne détermine ni ne prédit les valeurs subjectives et les intérêts de ses membres. En effet, dans un marché libre avec une égalité légale, il s’attendait à voir un constant vacillement dans la structure de classe. Dans La mentalité anticapitaliste, après avoir défini « trois classes progressistes » de la société comme « ceux qui épargnent, ceux qui investissent dans les biens d’équipement, et ceux qui élaborent de nouvelles méthodes pour l’emploi de ces biens d’équipement », Mises explique : « chacun est libre de rejoindre les rangs de ces trois classes progressistes de la société capitaliste. Ces classes ne sont pas des castes closes. En être membre n’est pas un privilège conféré à l’individu par une autorité supérieure ou hérité d’un ancêtre. Ces classes ne sont pas des clubs, et ceux qui en sont membres n’ont pas le pouvoir d’empêcher l’arrivée d’un nouvel entrant. »
Mises appelait classes statiques le travail sous d’handicapantes « castes » légales. Les castes sont créées quand des barrières légales sont dressées pour immobiliser les gens dans une classe et prévenir la mobilité sociale. Dans Socialisme, il détailla ce qu’il voulait dire par castes, ou « membres d’états » : « Les états sont des institutions légales, non pas des faits économiquement déterminés. Chaque homme était né dans un état et y demeurait en général jusqu’à sa mort…Il était maître ou serf, homme libre ou esclave, seigneur d’une terre ou liée à elle, patricien ou plébéien, non parce qu’il occupait une position particulière dans la vie économique, mais parce qu’il appartenait à un certain état ». Dans leur essence, les castes sont des classes légales qui créent une société statique.
Dans The Free and Prosperous Commonwealth, Mises définit une société de statut comme « constituée non par des citoyens égaux en droits, mais divisée en rangs investis de devoirs et prérogatives ». C’est sous un système de caste, non de classe, que des conflits naissent nécessairement entre des catégories légales de personnes auxquelles ont été accordés différents privilèges et handicaps. Ainsi la phrase « lutte de classe » est inappropriée : elle devrait être « lutte de caste ».
Plus encore, la soi-disant « lutte de classe » contient des confusions supplémentaires. Par exemple, elle implique d’ordinaire qu’il y a une identité d’intérêts entre les membres de classes séparées. Mises avait déjà expliqué qu’une identité commune ne veut pas nécessairement dire un intérêt commun et qu’en conséquence les membres individuels d’une classe tendront à donner la priorité à leur intérêt personnel. Ironiquement, cela peut mener à la compétition au sein de la « classe », plutôt que la solidarité. Mises écrivit : « Précisément parce que les « camarades par la classe » sont dans la même « situation sociale », il n’y a pas d’identité d’intérêts entre eux, mais plutôt la compétition. Le travailleur, par exemple, qui est employé à des conditions meilleures que la moyenne a un intérêt à exclure les compétiteurs qui pourraient réduire son revenu au niveau de la moyenne…Ce qui a été fait dans ce but par les parties du travail dans tous les pays ces dernières années est bien connu ». Mises soulève le problème fondamental concernant les concepts « d’intérêts de classe » et de « lutte de classe ». Des intérêts communs supérieurs aux intérêts de chaque membre de la classe existent-ils ? Si des intérêts objectifs existent, sont-ils prioritaires sur les jugements de valeurs subjectifs de chaque membre ? S’ils ne sont pas prioritaires, qu’est-ce que les « intérêts de classe » peuvent avoir comme utilité pour nous permettre de prédire le comportement d’un groupe ? Considérons donc ces questions dans le cas spécifique de l’idéologie du féminisme de genre.
Le conflit de classe dans le féminisme de genre
Selon cette idéologie, le genre est un facteur politiquement pertinent qui définit une classe –ce que Mises aurait nommé une caste –en terme de relation à l’institution du patriarcat. Les hommes ne partagent pas seulement une identité mais également des intérêts politiques et sociaux, qui sont nécessairement en conflit avec l’identité et les intérêts des femmes. L’identité de classe peut être basée sur des caractéristiques physiques, mais les intérêts de la classe sont idéologiques. Considérez le paragraphe sur le viol qui conclut l’introduction de Contre notre volonté de Susan Brownmiller : « La découvre par l’Homme que sa génitalité peut servir d’arme pour générer la peur doit être classé comme l’une des plus importantes des temps préhistoriques, au même titre que l’usage du feu…Elle n’est ni plus ni moins que le processus conscient d’intimidation par lequel tous les hommes maintiennent toutes les femmes dans un état de crainte. »
Ici une identité partagée basée sur une commune masculinité mène tous les hommes à un intérêt partagé qui est d’user du viol pour intimider toutes les femmes. Mises affirmerait que le seul pas valable sur l’échelle logique serait que les hommes, en tant que classe, partagent une même anatomie. Il dénierait ardemment que tous les membres de la classe masculine évalueraient cette caractéristique commune ou l’useraient d’une manière collective, plutôt qu’individualiste. En vérité, le fait que les hommes se battent pour les femmes mènera sans le moindre doute à des approches sexuelles, incluant la protection et l’affection familiale. Mises questionne la base même de la théorie du conflit de classe, qui repose sur l’hypothèse que ce qui bénéficie à une classe est préjudiciable à une autre. Comme il n’a fait remarquer, « la portée scientifique d’un concept prend son sens de par sa fonction dans la théorie auquel il appartient ; en dehors du contexte de ces théories il n’est rien de plus qu’un divertissement intellectuel. »
La théorie de Mises sur le fonctionnement de la société est basée sur la pensée libérale classique, qui considère que la coopération survient uniquement lorsque les deux parties bénéficient de l’échange. En fait, la perception même du bénéfice est ce qui pousse chaque partie à agir. Même l’infamante opposition entre travailleurs et capitalistes se dissout dans une situation de droits individuels égaux parce que chaque groupe n’a pas la capacité de forcer la coopération de l’autre. Ce n’est que lorsque la force est introduite dans l’échange que le conflit entre groupes survint nécessairement.
Le féminisme de genre repose sur une théorie différente : MacKinnon s’y réfère comme à une idéologie « postmarxiste », ce qui signifie qu’elle adopte plusieurs aspects du marxisme mais rejette son insistance sur la dimension économique, plutôt que sur le genre, qui est le facteur politique pertinent pour déterminer la classe. Ainsi, le féminisme de genre incorpore des idées socialistes telles que « le surtravail », par lequel la coopération humaine est vue comme le processus par lequel un groupe bénéficie du travail d’un autre. Pour rectifier l’inégalité de classe il est nécessaire de faire précisément ce que le marché libre renonce à faire –intervenir par la force pour assurer une revenu « socialement juste ». La loi doit agir pour faire bénéficier une classe aux dépends de ce qui est perçu comme l’intérêt de l’autre classe. Spécifiquement, la loi doit agir au bénéfice des femmes, qui ont historiquement été désavantagées, aux dépends des hommes, qui ont été les oppresseurs. Dans les termes de Mises, les femmes cessent d’être qui partagent une même identité basée sur les caractéristiques et devient une caste –un groupe qui partage des intérêts politiques et sociaux protégés par la loi. Cette forme d’intervention est symbolisée par des mesures telles que la discrimination positive et la richesse comparée.
Un féminisme individualiste qui doute de la théorie de classe
La forme de féminisme ressemblant le plus au libéralisme classique est sans nul doute le féminisme individualiste, qui trouve son origine en tant que force organisé dans le mouvement abolitionniste en Amérique. En tant qu’une féminisme de cette sorte, je mets en question la validité du concept même de classe au sein du tissu intellectuel de l’individualisme. Une raison en est la tension inévitable qui semble exister entre le concept de classe et d’autres théories au sein de la pensée libérale classique.
Considérez la théorie de la valeur subjective telle que dépeinte par les économistes autrichiens, qui affirme qu’il n’est pas possible –même au niveau individuel –de prédire comment un individu va évaluer un certain objet ou une opportunité, ou ce que qui que ce soit va percevoir comme son propre intérêt. Ce n’est que rétrospectivement, en examinant comment les individus ont agis, que vous pouvez juger de ce qu’ont été les intérêts d’une personne. C’est ce qui est signifié par la phrase « la préférence démontrée ». Même alors, après avoir analysé les préférences passées d’une personne, il n’est pas possible de prédire la façon dont elle va percevoir ses intérêts dans le futur.
La théorie de la valeur subjective semble s’opposer à l’existence d’un quelconque intérêt prédéterminé d’aucune sorte, en particulier d’un intérêt nettement distinct des évaluations individuelles subjectives tel que l’est un intérêt de classe objectif. En gros, deux personnes qui partagent des caractéristiques de classe, par exemple, celui restreint aux ouvriers d’usine de Ford, peuvent avoir des perceptions extrêmement diverses de leur propre intérêt et, ainsi, manifester des comportements complètement différents.
Cette réserve sur la théorie de classe renvoie à la question soulevée par le commentaire de Mises : cela a-t-il le moindre sens de parler d’intérêts de classe distinct de l’intérêt personnel des membres de cette classe ? Cela a-t-il seulement un sens –à tout autre niveau qu’épistémologiquement et cognitivement –de traiter la classe comme si elle avait une réalité empirique distincte de ses membres ?
Pourtant, en dépit de telles réserves, le concept de classe a évidemment une valeur dans l’approche des idées et de la compréhension de certains aspects des interactions sociales. La « classe laborieuse » par exemple, décrit une situation économique particulière et distincte des autres. La question est : identifier les membres d’une classe offre-t-il la moindre information sur les intérêts de la classe en général ?
Dans au moins un sens, cela le permet clairement. Les marxistes et la théorie du féminisme de genre l’affirme parce que si vous appartenez à une certaine classe vous partagez certains intérêts qui déterminent votre comportement futur. Mais il est possible d’affirmer l’inverse. C’est-à-dire, de par le fait qu’un groupe a manifesté des préférences ou des comportements similaires, ils appartiennent à la même classe [R1]. Mais l’appartenance à une classe qui dépend entièrement du comportement passé n’a qu’un faible pouvoir prédictif.
Par exemple, considérer la classe dirigeante, qui use de moyens politiques. Selon leurs préférences démontrées, ils peuvent sembler avoir un intérêt à, par exemple, protéger l’industrie domestique par des barrières tarifaires. Cependant, ils peuvent aussi partager des liens faibles aux institutions d’État qui protègent et renforcent leurs intérêts, tout comme les étrangers qui usent des moyens économiques partagent des liens à l’institution du marché libre. Dans ce sens, l’intérêt de classe de la classe dirigeante peut être dit institutionnalisé.
Pourtant avec une structure d’intérêt de classe apparemment solide, nous ne pouvons prédire les préférences futures dont feront preuve les membres individuels de la classe dirigeante. L’Histoire est rempli de gens ayant agis contre ce qui avait été prédit comme leur intérêt de classe. Les êtres humains agissent habituellement sous l’effet de la conscience, de l’obéissance, des convictions religieuses, des passions, du caprice, de l’ivresse –la liste des facteurs qui ont une influence causale sur le comportement semble sans fin.
Peut-être la fonction la plus valable de l’analyse de classe au sein de la toile de la pensée individualiste est-elle d’être un outil méthodologique pour comprendre l’histoire plutôt que pour prédire le futur. Par exemple, un chercheur peut observer qu’une personne particulière était à la fois une propriétaire d’esclave d’avant-guerre et un électeur. Son affiliation de classe –ou, dans cet exemple, de caste –peut se répercuter dans sa manière de voter. Et pourtant, même là, une relation de cause à effet ne peut être dégagée entre son appartenance de caste et son comportement alors que d’autres facteurs, comme une sincère conviction religieuse, peuvent avoir joués.
En bref, la tradition individualiste, dans laquelle se trouve le féminisme individualiste, semble ne laisser que peu de place au concept d’analyse de classe. L’espace est si limité, en réalité, que le concept de classe peut être séparé de sa valeur prédictive et causale. Pour certain, cela peut vouloir dire perdre un puissant instrument d’analyse. Le bon côté des choses, néanmoins, est qu’il n’y a pas de conflit nécessaire entre les sexes. Le fait que les hommes partagent certaines caractéristiques physiques ne veut rien dire de leurs perceptions individuelles de leurs intérêts, ou de la manière dont ils agiront à l’avenir. Quand bien même pourrait-on montrer qu’hommes et femmes –comme classes –ont tendu à s’opposer historiquement, cela ne dit rien de la poursuite éventuelle de notre inimitié dans l’avenir. »
[R1] : ce qui revient à construire empiriquement la classe, plutôt qu’à l’imposer a priori, en plaquant un système idéologique sur la réalité (Note du traducteur).

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