mardi 1 novembre 2016

Hypothèses, réflexions et maximes (1) :


0 :
Les opposants au TFTA mobilisent à loisir la terrible menace de l’arrivée sous nos contrées du « poulet lavé au clore ». Il y a ici une double manipulation :
D’une part, l’avant-garde « éclairée » étale son mépris de classe envers les pauvres, sans doute trop cons pour boycotter d’eux-mêmes un produit potentiellement nocif, et son goût liberticide pour l’usage de la contrainte légale dans la vie économique.
D’autre part, il semble bien que nous ayons affaire à une menace fantôme :
« Aux Etats-Unis […] les carcasses [sont] décontaminées dans les abattoirs. […] La santé du consommateur n’en est pas affectée puisque les volailles sont rincées avant leur transformation et leur conditionnement […]. » (Monique Goyens, directrice générale du bureau européen des unions de consommateurs, in 60 millions de consommateurs, n°515, mai 2016, p.21).
 
I :
L’étude théorique de la gauche antilibérale ou totalitaire doit se faire à l’aune de l’analyse de sa conception de la sincérité.
« C'est bien la civilisation française tout entière qui est en question dans l'échec de la Révolution [française]. Le brillant de la société de cour a pour contrepartie l'insincérité générale dans les rapports humains, et cette fausseté, qui est le fruit de l'effort du pouvoir royal pour dominer la société, a fini par corrompre le pouvoir politique lui-même jusqu'au moment où la "raison d'Etat" s'est confondue avec le règne de l'intrigue. Le résultat de cette sociabilité totalement artificielle a été l'apparition de l'exigence tout aussi antipolitique d'une refondation complète de l'ordre social et politique sur la base "naturelle" de la sincérité et de la récusation générale de toutes les conventions sur lesquelles reposent les institutions. Mais cette passion nouvelle de la sincérité, dont l'œuvre de Rousseau est l'expression la plus puissante, n'a pu produire tous ses effets que parce qu'elle s'est greffé sur l'opposition entre la bonté naturelle du peuple misérable et la corruption des classes dirigeantes. »
-Philippe Raynaud, "Le Monde, l'Action, la Pensée", préface à Hannah Arendt. L'Humaine Condition, Gallimard, coll. Quarto, 2012, 1050 pages, p.29.
« Je sentais avec satisfaction la différence qu’il y a des goûts sains & des plaisirs naturels à ceux que fait naître l’opulence, & qui ne sont guère que des plaisirs de moquerie & des goûts exclusifs engendrés par le mépris. »
-Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, 1782.
« Tous les rapports entre les hommes seront clairs pour chacun. »
-Nicolas Boukharine, à propos de la société communiste, La théorie du matérialisme historique, 1921.
 
II :
La mentalité antilibérale se réduit en dernière analyse à la volonté de plier autrui à son propre volonté (que ce soit pour son caprice ou au nom d’une conception subjective du bien), ce qui constitue le propre de la domination, qui est aux antipodes de l’obéissance à des règles de droit reconnues comme mutuellement avantageuses.
On mesure donc la vacuité conceptuelle de la définition de la domination chez M. Lordon : « Si le premier sens de la domination consiste en la nécessité pour un agent d’en passer par un autre pour accéder à son objet de désir [R1], alors à l’évidence le rapport salarial est un rapport de domination. » (Frédéric Lordon, Capitalisme, Désir et Servitude)
 
III :
La souffrance causée à autrui n'est pas un critère valable pour définir l'immoralité. Par exemple, un commerçant peut être vexé ou blessé si je finis par décider que je n'achèterais pas son produit. Et personne ne peut raisonnablement dire que refuser d'acheter est un acte immoral. Ergo, la souffrance causée à autrui n'est pas un critère valable pour définir l'immoralité.
Cela vaut en particulier contre les activistes des « droits » des animaux. La souffrance engendrée par la mise à mort d’animaux ne constitue pas un critère moral valable pour condamner au nom de l’éthique ou interdire au nom de la Loi la consommation de viandes.
 
IV :
Les vices [R2] ne sont pas des crimes. Les vices sont subjectifs, les crimes ne le sont pas car ils sont la violation de principes moraux objectifs [R3]. Les hommes ne pourront jamais se mettre d’accord sur ce qui est vice et ce qui ne l’est pas (de même qu’ils ne peuvent pas s’entendre sur ce qui est beau ou agréable et ce qui ne l’est pas), mais ils peuvent reconnaitre des principes moraux universalisables. Seuls les crimes doivent être réprimés par la Loi.
Un ingrat n’est pas criminel, mais vicieux. Un voleur n’est pas vicieux, mais criminel.
Il peut y avoir consensus sur la morale, mais pas de consensus sur le bon goût. Quand un homme blâme un vice, il exprime son opinion personnelle. Quand il blâme un crime, il constate une faute que tout être sensible et rationnel blâmerait également.
La moralité est un outil pour la poursuite du bonheur individuel. Il est rationnel d’être moral, car la moralité est une condition (non suffisante) du bonheur. Tout individu qui se nuit à lui-même n’est pas immoral, mais tout individu immoral se nuit à lui-même ; dans le même temps qu’il viole les droits d’autrui, il affaiblit la solidité de ses propres droits, et met en danger ses chances d’être heureux un jour.
 
V :
David Hume a raison de dire que seul un être sensible, emphatique, désirant, peut être moral. Mais il faut tout autant qu’il soit un être de raison, un être rationnel. La moralité n’est pas plus le domaine de l’animal (qui n’est pas rationnel), qu’elle n’est celui du robot (qui sera peut-être un jour aussi rationnel que l’humain, mais jamais sensible). Seul un être humain peut être un être moral.
La moralité repose sur la nature humaine ; or l’Homme est nécessairement un animal social [R4] (Aristote). Un homme absolument isolé, sans aucun type de relations ou d’influences sur les autres hommes, ne pourrait pas être moral, parce qu’il n’aurait pas la possibilité d’être immoral, c’est-à-dire injuste vis-à-vis d’un autre être humain.
 
VI : Pourquoi démocratie directe et autogestion se manifestent-elles ensemble à l’ère industrielle ? Parce que le socialisme autogestionnaire permet (voulait permettre) à la classe ouvrière une reconquête de la Totalité (du procès de production) et donc de la politique.
Mais cette ambition de contrôler collectivement la production se heurte à la volonté d’intégrer le présent procès de consommation, lequel se présente comme abondance de marchandises [R5] du fait du capitalisme lui-même. L’anticapitalisme, la remise en cause totale ou partielle du droit de propriété, conduit à un état de pénurie qui est refusée par l’immense majorité de nos contemporains.
La gauche radicale française semble donc condamnée à la fois à l’indigence théorique et l’impuissance pratique, parce que : 1) : en abandonnant l’analyse marxiste, elle ne peut plus trouver dans le mode de production (et les affects qu'il produit) la cause de l’apolitisme qui la désole [R6], et doit donc se réfugier dans des incantations, attendre un mythique « sursaut du peuple » ; 2) : quand bien même elle développerait un anticapitalisme de type marxiste, qu’il soit anarchiste ou étatiste, il ne permettrait pas, si jamais appliqué, une productivité assez élevée pour garantir le confort moderne, et ne serait donc pas acceptable par les masses, même imposé de force (comme l’a montré l’effondrement de l’URSS).
 
[Remarque 1] : Avec une définition aussi absurde, l’enfant est dominé par ses parents, l’invalide par son aide-soignant, l’amoureux par sa maîtresse, le salarié par son employeur et ainsi de suite. Il ne faut pas s’étonner qu’une certaine gauche, combattant la domination partout où elle n’est pas, finisse par la produire effectivement, puisqu’elle est alors revêtue du nom de liberté.
[Remarque 2] : Il s’agit bien évidemment d’une définition personnelle du vice, d’ordinaire utilisé comme synonyme d’immoralité.
[Remarque 3] : Je ne veux pas dire par-là que la Loi morale existe indépendamment du sujet, comme la Nature par exemple, mais qu’elle s’oppose à l’arbitraire et au caprice du goût. A la limite, il vaudrait peut-être mieux parler du caractère intersubjectif de la morale, mais je redoute que cette formulation donne l’impression que la morale serait purement conventionnelle (contingente).
[Remarque 4] : Tout comme il est nécessairement un être de désir : « Le désir (cupiditas), écrit Spinoza, est l’essence même de l’homme, en tant qu’elle est conçue comme déterminée, par une quelconque affection d’elle-même, à faire quelque chose. » (Éthique, III), et c’est de son « essence », si nous voulons le dire en termes spinoziens [sic], que l’homme se trouve exilé quand il habite l’indifférence du désir. ». -Le Tiqqun, La théologie en 1999 (1999).
Rien n’est donc plus manqué que le propos de Sénèque lorsqu’il écrit (dans une perspective très bouddhiste et chrétienne) : « On peut appeler heureux celui qui est exempt de désirs et de craintes grâce aux bienfaits de la raison. » (La Vie heureuse). Car pour jouir des bienfaits de la raison, ne faut-il pas d’abord désirer être raisonnable, et de surcroît, persévérer dans ce désir ? En outre, un être purement vide de désir ne serait porté à aucune action (en tant qu’elle vise à combler un manque, ainsi que l’a montre Mises dans L’Action Humaine, et que l’avait enseigné Platon dans Le Banquet), et par conséquent, serait pure passivité, pure attente, pure existence, pure immobilité, bref, quasiment mort.
Et qu’on ne m’objecte pas qu’un homme heureux ne manque de rien, et que par conséquent devrait n’être porté à ne rien désirer, car l’homme heureux désire encore le rester. Ainsi le bonheur ne peut être la négation du désir, puisqu’il le présuppose logiquement en plus d’être coexistant à celui-ci.
[Remarque 5] : « Toute la vie des sociétés modernes dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de marchandises. » -Karl Marx, Le Capital, tome I, 1867. Le terme de « vie » est ici extensif. Il ne désigne pas seulement la vie économique, où les biens et services doivent être achetés, échangés contre de l’argent, plutôt qu’en fonction d’un ordre social hiérarchique (communisme primitif, système de castes, esclavage, féodalisme, etc.). La formule suggère aussi la marchandisation de la vie elle-même (on pense à nos débats contemporains sur la GPA), ainsi que le fait que la vie entière (donc le « temps libre ») soit dédiée, d’une façon complémentaire du « temps de travail », à la production-accumulation des marchandises. Un selfie posté sur Facebook devient ainsi une donnée commercialisable que d’autres entreprises se disputeront pour mieux « cibler » leurs futurs clients…
[Remarque 6] : Rousseau, au début de la Révolution industrielle, déplorait déjà la disparition de l’esprit civique des cités antiques médiévales, qui avaient engendrés des penseurs politiques de l’importance d’un Aristote, d’un Cicéron, d’un Machiavel.

4 commentaires:

  1. Voilà une série de notes, concises mais substantielles, qui abordent des sujets très variés. Sur le plan politique, vous continuez à accorder une grande importance à l’extrême gauche française, alors qu’elle ne joue plus aucun rôle et que la droitisation généralisée du champ politique est devenu un poncif. Il est vrai que le corpus idéologique de l’extrême gauche est bien plus riche que celui de la droite, et, en raison de votre parcours personnel peut-être, je peux comprendre que ce thème soit pour vous plus porteur intellectuellement.

    Vous développez également des vues morales, avec des exemples assez pertinents à l’appui. C’est un domaine qui donne lieu à des controverses infinies, comme l’illustrent bien tous les raffinements de la casuistique. Juste quelques petites observations en passant. Vous énoncez comme une vérité incontestable le fait qu’il n’y a pas de loi morale « indépendamment du sujet », par opposition à la « Nature ». Je serais tenté de vous objecter que vous n’en savez rien, ni pour l’un ni pour l’autre. A chaque fois que vous avez constaté l’existence de la nature, le sujet était présent. Si l’on veut être cohérent, la seule chose de l’existence de laquelle nous soyons certains, c’est le sujet, et rien d’autre. Mais ce n’est pas la première fois que cette croyance absolue en la réalité du monde extérieur me fait tiquer chez vous. Que voulez-vous, je reste du côté de Descartes, de Kant, de Schopenhauer…

    Votre passage sur le lien entre moralité et bonheur m’a semblé très bien formulé. Il n’y a que la formule « les vices sont subjectifs » (sous-entendus laissés à la libre appréciation de chacun) sur laquelle je ne vous suis pas. Je ne vois pas en quoi le vice est une affaire de « bon goût ». Un ingrat n’est pas criminel, certes, mais il est immoral. Par rapport au voleur, il y a peut-être une différence de degré, mais pas de nature. Que vous le vouliez ou non, les hommes se mettent tout à fait d’accord « sur ce qui est vice et ce qui ne l’est pas ». Par exemple, personne n’irait clamer sur les places publiques qu’il est un consommateur compulsif de vidéos pornographiques. Pourtant nul n’est lésé par cet acte, mais la conscience innée présente en chaque être humain, la vision universelle de la loi morale (eh oui) se manifeste dans ce cas comme dans tous les autres avec sa limpidité coutumière.

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    1. @Laconique
      « Le corpus idéologique de l’extrême gauche est bien plus riche que celui de la droite. »

      A vrai dire je réserve le qualificatif d’extrême aux formations politiques qui, dans la pratique ou dans la théorie, revendiquent l’usage légitime de la violence physique offensive pour atteindre leurs objectifs. C’est pourquoi je parlerais plutôt de gauche marxiste et de gauche radicale pour désigner ce dont je parlais dans ce billet.

      Quant à votre remarque, certains l’étendent pour rendre compte de la division gauche/droite. J’écoutais récemment une émission où un militant nationaliste disait en substance que la droite se définit par l’adhésion à des hommes, et la gauche par l’adhésion à des idées. De là à dire que l’homme de gauche est un platonicien qui s’ignore, plus attiré par l’idéal que par le concret, il n’y a qu’un pas…que je ne franchirais pas ;)

      « A chaque fois que vous avez constaté l’existence de la nature, le sujet était présent. »

      La façon dont vous formulez le problème est en fait tautologique : évidemment que pour que quelque chose soit constaté, est présupposé quelqu’un qui constate… Mais je m’en tiendrais à l’évolution du vivant. La science nous dit que notre espèce est apparue à un certain moment, il y a donc eu un monde sans nous, tout comme il pourrait y en avoir un après nous… Je ne vois vraiment pas pourquoi il est si difficile d’admettre qu’il existe un monde objectif qui continuera à exister après notre disparition (individuelle ou collective)…

      « Cette croyance absolue en la réalité du monde extérieur me fait tiquer chez vous. »

      Pourtant cette croyance me semble la plus naturelle, la plus spontanée du monde ; elle est « de sens commun », comme disent les philosophes. C’est l’opinion de l’homme de la rue. Et les arguments des philosophes idéalistes pour la combattre ne m’ont jamais parus pertinents. Mais je ne suis pas dogmatique, je veux bien changer d’avis si on m’apporte une raison valable de le faire.

      « Descartes »

      N’oubliez pas que Descartes parvient au terme des Méditations métaphysiques à la conviction que les corps extérieurs existent véritablement. Alors certes, ce n’est pas une certitude première et absolue (puisqu’elle dérive de la découverte du cogito), mais c’est une certitude tout de même dans l’optique cartésienne.

      « Votre passage sur le lien entre moralité et bonheur m’a semblé très bien formulé. »

      Je vous en remercie. La modestie m’oblige à dire que la plupart des idées de ce passage ont été formulées ici ou là par Ayn Rand.

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    2. « Un ingrat n’est pas criminel, certes, mais il est immoral. »

      Si on définit l’immoralité comme étant avant tout le fait de nuire à autrui, je ne vois guère en quoi l’ingratitude relèverait de cet ordre. Si vous me faites un cadeau ou une faveur quelconque et que je dédaigne de vous remercier et de vous rendre la pareille, je suis certes ingrat, mais en quoi ais-je été nuisible ? Vous voyez bien que les vices ne sont pas des crimes.

      Et si vous avez une autre définition de l’immoralité, je serais heureux de la connaître.

      « Les hommes se mettent tout à fait d’accord « sur ce qui est vice et ce qui ne l’est pas ». »

      Il y a des normes dominantes, mais elles sont considérablement moins consensuelles (ce qui est pour moi un indice qu’elles ne sont pas aussi fondées) que peuvent l’être les normes de ce que j’appelle la morale. Regardez les oppositions passionnées que suscite l’homosexualité, les drogues, ou la pratique religieuse (ou son absence)…Et essayez donc de trouver un critère objectif et acceptable par toutes les parties pour démontrer la moralité d’une option donnée…

      « Personne n’irait clamer sur les places publiques qu’il est un consommateur compulsif de vidéos pornographiques. »

      Il y a des gens qui n’hésitent pas à mentionner sur des plateaux télés (sur le ton « festif » que vous imaginez) qu’ils consomment de la drogue, alors même que cela tombe sous le coup de la loi. Pourquoi donc, sinon parce qu’il s’agit d’un « vice », de quelque chose que la société n’est pas unanime à proscrire ? En comparaison, on ne voit guère de gens s’accuser (ou se vanter) de meurtres ou de viol en public…

      « Nul n’est lésé par cet acte, mais la conscience innée présente en chaque être humain, la vision universelle de la loi morale (eh oui) se manifeste dans ce cas comme dans tous les autres avec sa limpidité coutumière. »

      Je ne pense absolument pas qu’il existe originellement quelque chose comme une « voix intérieure de la conscience morale ». Les normes morales, au même titre que les autres, sont intériorisées via la socialisation des individus (c’est ainsi que la sociologie permet de rendre compte de la variation des normes dans le temps et dans l’espace). Si l’individu s’abstient de parler pornographie en public, ce n’est pas parce que c’est immoral, mais parce qu’il a intégré la pression sociale, développé une « pudeur » (Freud parlerait d’un surmoi). Mais tout cela relève de l’ethos (la manière d’être), et non pas de la morale, laquelle est universalisable. La morale est objective, elle a un critère (la nuisance à autrui), mais quel est, selon vous, le critère du vice ? Chacun désigne par là un comportement qui est mauvais, non par rapport aux droits d’autrui, mais par rapport à soi. Le vice n’est en somme qu’une mauvaise manière d’être. Mais il n’y a aucun consensus sur ce qui serait une bonne manière d’être, et même si on parvenait à la définir, ça ne me semble pas aberrant de penser qu’elle relève d’un autre ordre que la moralité. Soutenir le contraire ne peut que criminaliser toutes les attitudes qui s’écartent d’un modèle unique, et donc signer la fin du pluralisme, de la tolérance (qui nous permet de vivre avec ceux qui, sans nous nuire, veulent vivre différemment de ce que nous estimons être la bonne manière). Voilà pourquoi il est important de souligner que les vices ne sont pas des crimes.

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  2. Je crois que nous ne nous mettrons pas d’accord sur la morale, mais ce n’est pas très grave, et surtout ce n’est pas très étonnant, étant donné que cela fait des millénaires que les hommes débattent dessus sans se lasser. Pour moi ce que vous appelez la « pression sociale » ne dérive nullement du caprice d’une société à un moment donné, mais bien d’invariants anthropologiques. Et il ne me semble pas tellement difficile de trouver « un consensus sur ce qui serait une bonne manière d’être ». Prenez Confucius, les livres sapientiaux de la Bible, les écrits des stoïciens ou des épicuriens (je ne parle même pas des platoniciens), et vous reverrez les mêmes traits revenir toujours, des traits si évidents, si universels, que ce n’est même pas la peine de les citer. Et si l’on a des devoirs envers autrui, on a aussi des devoirs envers soi-même. Dans l’absolu, nuire, physiquement ou psychiquement, à soi-même, c’est toujours nuire à quelqu’un…

    Sinon, il est vrai que la biologie nous apprend que des formes de vie ont existé avant nous. Mais pour appréhender ces formes de vie, nous avons recours à des concepts tels que le temps, l’espace, la causalité, lesquels n’ont pas de réalité objective, mais constituent ce que Kant appelle les « formes a priori de la sensibilité ». En d’autres termes, dire que « des espèces ont existé avant nous », ce n’est pas énoncer une vérité absolue, mais bien rester encore prisonnier de la façon dont le monde s’offre à notre intuition. (Et la théorie de la relativité professe bien le caractère relatif, non objectif, de l’espace et du temps.) Nous avons accès à l’apparence, mais l’essence – et c’est à quelqu’un qui a lu La République de Platon que je m’adresse – est affranchie de toutes ces limitations qui nous sont propres. Il me semble donc qu’il faut être extrêmement prudent quand on se prononce sur ce qui existe « indépendamment du sujet ».

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