samedi 24 février 2018

Gilbert Simondon et la philosophie de la technique :



« Il n'y a pas de philosophie de la technique possible et pas davantage de "culture technique".»  (Jacques Ellul, Le bluff technologique, 1988, p. 260).

Chiche ?

« Comme une armée vaincue et diminuée qui, ne pouvant défendre un camp de grandes dimensions, se retranche dans un angle de ce camp primitif et le fortifie sommairement, ainsi la culture dissociée et en état de crise se retranche dans le domaine réduit de la culture, de l'archaïsme, abandonnant les techniques aux forces extérieures et au désordre. […] La catharsis facile que l'on retire des objets techniques anathématisés ne peut reconstruire l'unité de la culture dissociée. Mieux vaudrait tenter de découvrir sans préjugés la vraie structure et l'essence réelle de la technicité. » (Gilbert Simondon, « Psycho-sociologie de la technicité », p.131 et p.320)

« Philosophe, amateur érudit des techniques et professeur de psychologie à la Sorbonne, Gilbert Simondon a développé une œuvre vaste et originale. A l'heure des spécialisations et du morcellement du savoir en disciplines, il travaille à une vision globale des liens entre techniques, science, psychologie et philosophie. Héritier des Encyclopédistes, Simondon a œuvré dans le sens d'une philosophie concrète, hospitalière envers les problèmes techniques et sociaux, les mouvements culturels et l'évolution de la psychologie. Il a développé une théorie des émotion et cherché à comprendre comment les objets techniques modulaient les civilisations. Inspiré des Physiologues Ioniens comme de la cybernétique, il est le philosophe des singularités du réel. L'encyclopédisme désigne la mise en cercle du savoir. Chez Simondon, ce cercle a pour centre actif l'étonnement philosophique. Étonnement devant les genèses naturelles et techniques, progressivement traduit dans une interrogation sur les processus qui les engendrent et les portent.

Né le 2 octobre 1924 à Saint-Étienne, en France, Simondon est décédé en 1989. Simondon est admis à l'École Normale Supérieure en 1944. Après la rue d'Ulm, il devient professeur de philosophie au lycée Descartes de Tours de 1948 à 1955 où il saisit toutes les occasions de remplacer le professeur de physique et installe dans les sous-sols une galerie de machines et d'appareils auxquels il initie les élèves. En 1960 il devient professeur à la Faculté des Lettres de Poitiers où il crée un laboratoire de psychologie. Nommé à la Sorbonne en 1963, il y dirigea également le laboratoire de psychologie de l'université. Mais ce n'est pas seulement un homme de bibliothèque et laboratoire. Il est père de sept enfants. Toute son œuvre témoigne d'une sensibilité pour la nature qui donne l'impression d'être en présence d'un homme de la renaissance.
Simondon qui privilégiait son activité d'enseignant et de chercheur s'est fort peu soucié de l'édition de son travail. La publication de sa thèse de doctorat est exemplaire à cet égard. Son premier livre édité et qui reste sa publication la plus connue sortit en 1958.
Du mode d'existence des objets techniques n'était que la thèse annexe de son doctorat. Son second livre, L'individu et sa genèse physico-biologique, qui constituait la première partie de sa thèse de doctorat principale, fut publié en 1964 et réédite en 1995. La seconde partie de cette thèse, L'individuation psychique et collective, n'est parue qu'en 1989, vingt-cinq ans après.
 
Ces dates montrent que l’œuvre de Simondon a connu un long "purgatoire". [...]
Pourquoi cet intérêt après trois décennies de discrétion ? Quelle actualité pour la pensée de Simondon ? Il apporte quelque chose de nouveau: une pensée des modes d'existence des individus et des objets. Parler du "mode d'existence" d'un individu suppose qu'il existe aussi des modes d'existence non-individués. Le monde est plus qu'une somme d'individus. Nous vivons dans un réseau où le préindividuel a sa part. Simondon parle aussi d'un mode d'existence de l'objet technique. Il entend par là que l'objet est plus qu'un
quelque chose. Produit d'une invention plus ou moins aboutie, il est une relation avec un milieu qu'il contribue à moduler.
 
C'est là la singularité de la philosophie de Simondon. Prenant un recul peu commun, il a installé son interrogation dans un lieu d'où il pouvait éviter les oppositions tranchées. Les années durant lesquelles il écrivait voyaient se développer deux tendances, celle des technocrates et celle des premiers mouvements écologistes. Aux technocrates, il adresse les critiques les plus sévères. Leur rapport abstrait à la technique, fait de pouvoir et de rentabilité, lui fait horreur. Son point de vue sur l'écologisme naissant est plus nuancé. Il y a en effet, chez lui, une pensée de la spontanéité créatrice de la nature, inspirée des présocratiques. Il épouse certaines de leurs thèses sur la préservation des espèces (il a étudié l'éthologie) et le respect des cycles naturels, mais refuse leur défiance envers les sciences et les techniques.
Il faut donc reconnaître l'originalité de sa position dans ce débat. Simondon est philosophiquement incapable de se rattacher à un camp. Sa philosophie a un objectif, mettre en relation ce qui apparaît opposé
. »
-Pascal Chabot, La philosophie de Simondon, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2003, 159 pages, p.7-10.

« Cette étude est animée par l'intention de susciter une prise de conscience du sens des objets techniques. La culture s'est constituée en système de défense contre les techniques; or, cette défense se présente comme une défense de l'homme, supposant que les objets techniques ne contiennent pas de réalité humaine. Nous voudrions montrer que la culture ignore dans la réalité technique une réalité humaine, et que, pour jouer son rôle complet, la culture doit incorporer les êtres techniques sous forme de connaissance et de sens des valeurs. La prise de conscience des modes d'existence des objets techniques doit être effectuée par la pensée philosophique, qui se trouve avoir à remplir dans cette œuvre un devoir analogue à celui qu'elle a joué pour l'abolition de l'esclavage et l'affirmation de la valeur de la personne humaine.

L'opposition dressée entre la culture et la technique, entre l'homme et la machine, est fausse et sans fondement; elle ne recouvre qu'ignorance ou ressentiment. Elle masque derrière un facile humanisme une réalité riche en efforts humains et en forces naturelles, et qui constitue le monde des objets techniques, médiateurs entre la nature et l'homme.

La culture se conduit envers l'objet technique comme l'homme envers l'étranger quand il se laisse emporter par la xénophobie primitive. Le misonéisme orienté contre les machines n'est pas tant haine du nouveau que refus de la réalité étrangère. Or, cet être étranger est encore humain, et la culture complète est ce qui permet de découvrir l'étranger comme humain. De même, la machine est l'étrangère; c'est l'étrangère en laquelle est enfermé de l'humain, méconnu, matérialisé, asservi, mais restant pourtant de l'humain. La plus forte cause d'aliénation dans le monde contemporain réside dans cette méconnaissance de la machine, qui n'est pas une aliénation causée par la machine, mais par la non-connaissance de sa nature et de son essence, par son absence du monde des significations, et par son omission dans la table des valeurs et des concepts faisant partie de la culture.

La culture est déséquilibrée parce qu'elle reconnait certains objets, comme l'objet esthétique, et leur accorde droit de cité dans le monde des significations, tandis qu'elle refoule d'autres objets, et en particulier les objets techniques, dans le monde sans structure de ce qui ne possède pas de significations, mais seulement un usage, une fonction utile. Devant ce refus défensif, prononcé par une culture partielle, les hommes qui connaissent les objets techniques et sentent leur signification cherchent à justifier leur jugement en donnant a l'objet technique le seul statut actuellement valorisé en dehors de celui de l'objet esthétique, celui de l'objet sacré. Alors naît un technicisme intempérant qui n'est qu'une idolâtrie de la machine et, à travers cette idolâtrie, par le moyen d'une identification, une aspiration technocratique au pouvoir inconditionnel. Le désir de puissance consacre la machine comme moyen de suprématie, et fait d'elle le philtre moderne. L'homme qui veut dominer ses semblables suscite la machine androïde. Il abdique alors devant elle et lui délègue son humanité. Il cherche à construire la machine à penser, rêvant de pouvoir construire la machine à vouloir, la machine à vivre, pour rester derrière elle sans angoisse, libéré de tout danger, exempt de tout sentiment de faiblesse, et triomphant médiatement par ce qu'il a inventé. Or, dans ce cas, la machine devenue selon l'imagination ce double de l'homme qu'est le robot, dépourvu d'intériorité, représente de façon bien évidente et inévitable un être purement mythique et imaginaire.
Nous voudrions précisément montrer que le robot n'existe pas, qu'il n'est pas une machine, pas plus qu'une statue n'est un être vivant, mais seulement un produit de l'imagination et de la fabrication fictive, de l'art d'illusion. Pourtant, la notion de la machine qui existe dans la culture actuelle incorpore dans une assez large mesure cette représentation mythique du robot. Un homme cultivé ne se permettrait pas de parler des objets ou des personnages peints sur une toile comme de véritables réalités, ayant une intériorité, une volonté bonne ou mauvaise. Ce même homme parle pourtant des machines qui menacent l'homme comme s'il attribuait à ces objets une âme et une existence séparée, autonome, qui leur confère l'usage de sentiments et d'intentions envers l'homme.

La culture comporte ainsi deux attitudes contradictoires envers les objets techniques : d'une part, elle les traite comme de purs assemblages de matière, dépourvus de vraie signification, et présentant seulement une utilité. D'autre part, elle suppose que ces objets sont aussi des robots et qu'ils sont animés d'intentions hostiles envers l'homme, ou représentent pour lui un permanent danger d'agression, d'insurrection. Jugeant bon de conserver le premier caractère, elle veut empêcher la manifestation du second et parle de mettre les machines au service de l'homme, croyant trouver dans la réduction en esclavage un moyen sûr d'empêcher toute rébellion.
 
En fait, cette contradiction inhérente à la culture provient de l'ambiguïté des idées relatives à l'automatisme, en lesquelles se cache une véritable faute logique. Les idolâtres de la machine présentent en général le degré de perfection d'une machine comme proportionnel au degré d'automatisme. Dépassant ce que l'expérience montre, ils supposent que, par un accroissement et un perfectionnement de l'automatisme on arriverait a réunir et à interconnecter toutes les machines entre elles, de manière a constituer une machine de toutes les machines.
 
Or, en fait, l'automatisme est un assez bas degré de perfection technique. Pour rendre une machine automatique, il faut sacrifier bien des possibilités de fonctionnement, bien des usages possibles. L'automatisme, et son utilisation sous forme d'organisation industrielle que l'on nomme automation, possède une signification économique ou sociale plus qu'une signification technique. Le véritable perfectionnement des machines, celui dont on peut dire qu'il élève le degré de technicité, correspond non pas à un accroissement de l'automatisme, mais au contraire au fait que le fonctionnement d'une machine recèle une certaine marge d'indétermination. C'est cette marge qui permet à la machine d'être sensible à une information extérieure. C'est par cette sensibilité des machines à de l'information qu'un ensemble technique peut se réaliser, bien plus que par une augmentation de l'automatisme. Une machine purement automatique, complètement fermée sur elle-même dans un fonctionnement prédéterminée, ne pourrait donner que des résultats sommaires. La machine qui est douée d'une haute technicité est une machine ouverte, et l'ensemble des machines ouvertes suppose l'homme comme organisateur permanent, comme interprète vivant des machines les unes par rapport aux autres. Loin d'être le surveillant d'une troupe d'esclaves, l'homme est l'organisateur permanent d'une société des objets techniques qui ont besoin de lui comme les musiciens ont besoin du chef d'orchestre. Le chef d'orchestre ne peut diriger les musiciens que parce qu'il joue comme eux, aussi intensément qu'eux tous, le morceau exécuté ; il les modère ou les presse, mais est aussi modéré et pressé par eux; en fait, a travers lui, le groupe des musiciens modère et presse chacun d'eux, il est  pour chacun la forme mouvante et actuelle du groupe en train d'exister ; il est l'interprète mutuel de tous par rapport a tous. Ainsi l'homme a pour fonction d'être le coordinateur et l'inventeur permanent des machines qui sont autour de lui. Il est parmi les machines qui opèrent avec lui. » (p.9-12)

« On peut se demander quel homme peut réaliser en lui la prise de conscience de la réalité technique, et l'introduire dans la culture. Cette prise de conscience peut difficilement être réalisée par celui qui est attaché a une machine unique par le travail et la fixité des gestes quotidiens ; la relation d'usage n'est pas favorable à la prise de conscience, car son recommencement habituel estompe dans la stéréotypie des gestes adaptés la conscience des structures et des fonctionnements. Le fait de gouverner une entreprise utilisant des machines, ou la relation de propriété, n'est pas plus utile que le travail pour cette prise de conscience : il crée des points de vue
abstraits sur la machine, jugée pour son prix et les résultats de son fonctionnement plutôt qu'en elle-même. La connaissance scientifique, qui voit dans un objet technique l'application pratique d'une loi théorique, n'est pas non plus au niveau du domaine technique. Cette prise de conscience paraitrait plutôt pouvoir être le fait de l'ingénieur d'organisation qui serait comme le sociologue et le psychologue des machines, vivant au milieu de cette société d'êtres techniques dont il est la conscience responsable et inventive.
 
La véritable prise de conscience des réalités techniques saisies dans leur signification correspond à une pluralité ouverte de techniques. II ne peut d'ailleurs en aller autrement, car un ensemble technique même peu étendu comprend des machines dont les principes de fonctionnement relèvent de domaines scientifiques très différents. La spécialisation dite technique correspond le plus souvent à des préoccupations extérieures aux objets techniques proprement dits (relations avec le public, forme particulière de commerce), et non à une espèce de schèmes de fonctionnement compris dans les objets techniques ; c'est la spécialisation selon des directions extérieures aux techniques qui crée l'étroitesse de vues reprochée aux techniciens par l'homme cultivé qui entend se distinguer d'eux : Il s'agit d'une étroitesse d'intentions, de fins, plutôt que d'une étroitesse d'information ou d'intuition des techniques. Très rares sont de nos jours les machines qui ne sont pas en quelque mesure mécaniques, thermiques et électriques à la fois. » (p.12-13)

« Pour redonner à la culture le caractère véritablement général qu'elle a perdu, il faut pouvoir réintroduire en elle la conscience de la nature des machines, de leurs relations mutuelles et de leurs relations avec l'homme, et des valeurs impliquées dans ces relations. Cette prise de conscience nécessite l'existence, à côté du psychologue et du sociologue, du technologue ou mécanologue. De plus, les schèmes fondamentaux de causalité et de régulation qui constituent une axiomatique de la technologie doivent être enseignés de façon universelle, comme sont enseignés les fondements de la culture littéraire. L'initiation aux techniques doit être placée sur le même plan que l'éducation scientifique; elle est aussi désintéressée que la pratique des arts, et domine autant les applications pratiques que la physique théorique; elle peut atteindre le même degré d'abstraction et de symbolisation. Un enfant devrait savoir ce qu'est une autorégulation ou une réaction positive comme il connait les théorèmes mathématiques. » (p.13-14)

« Il faut que la culture redevienne générale, alors qu'elle s'est spécialisée et appauvrie. Cette extension de la culture, supprimant une des principales sources d'aliénation, et rétablissant l'information régulatrice, possède une valeur politique et sociale : elle peut donner à l'homme des moyens pour penser son existence et sa situation en fonction de la réalité qui l'entoure. Cette œuvre d'élargissement et d'approfondissement de la culture a aussi un rôle proprement philosophique a jouer car elle conduit a la critique d'un certain nombre de mythes et de stéréotypes, comme celui du robot, ou des automates parfaits au service d'une humanité paresseuse et comblée. » (p.14-15)
-Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Éditions Aubier, 1989, (1958 pour la première édition), 333 pages.

En guise de conclusion provisoire (et de critique de l’archaïsme romantique qui voit dans la technique une négation de nature et dans la « spontanéité » un mode plus authentique de relation à celle-ci) :

« L'électricité n'est pas un objet. Elle est seulement décelable et manipulable à travers des objets, et éventuellement, d'abord, à travers les milieux naturels ; l'éclair passe et se ramifie à travers des couloirs d'air préalablement ionisés. Il existe un temps de préparation de l'éclair, avant la décharge foudroyante. Cette ionisation, on peut l'écouter avec une antenne, car elle est est parsemée de minimes décharges et d'amorçage préalables. La foudre proprement fulgurante n'est qu'une conclusion brutale, de haute énergie, une conclusion de la mélodie plurale des décharges préparatoires. L'éclair final suit des chemins déjà battus. Et cette mélodie progressivement amplifiante trace des sentiers à faible résistance qui se capteront les uns les autres au moment du coup final. L'esthétique de la nature peut ne se percevoir qu'à travers un objet technique (ici un récepteur apériodique) quand il s'agit de détecter des phénomènes subtiles échappant à la perception [terme illisible], et pourtant déterminants. »
-Gilbert Simondon, "Sur la techno-esthétique", article adressé à Jacques Derrida, repris dans le numéro 12 des Papiers du Collège International de Philosophie, p.16.

5 commentaires:

  1. C’est très intéressant, tout ça. Vous citez Jacques Ellul, qui est un des penseurs modernes pour qui j’ai le plus de respect, et Le Bluff technologique figure en bonne place sur ma liste de lectures. Je suppose que vous le classez dans les « archaïques-romantiques »…

    Je ne connaissais pas ce Simondon. C’est un sujet très vaste, très complexe. La technolâtrie me semble aussi absurde que la technophobie. Mais si je devais choisir, je crois que je pourrais écrire une critique assez argumentée de la technique. Deux points très rapidement :

    1° On dit que la technologie libère. Sous certains aspects, peut-être, mais elle est aussi une grande source d’aliénation. L’homme libéré de l’effort, livré au « loisir », est en réalité livré à ses affects. Il n’y a qu’à voir ce que produisent internet, Facebook, les réseaux sociaux, etc. : du voyeurisme, des pulsions libidinales, de l’égocentrisme, une grande précarité relationnelle et sentimentale, etc. Je ne développe pas, mais vous voyez aisément ce que je veux dire, par rapport à la conception classique, immémoriale, de l’honnête homme comme être raisonnable et maître de soi.

    2° Tout cela a des conséquences politiques. Quand on abdique la liberté dans le gouvernement de soi-même, on ne peut pas être libre sur le plan de la cité. Pas la peine d’avoir lu La République de Platon pour le savoir. Et qu’observe-t-on sur le plan politique depuis l’explosion du numérique ? Regardez aux Etats-Unis (Trump), en Grande Bretagne (Brexit), en France (Le Pen), en Catalogne, en Italie, en Hongrie, partout. La tyrannie des affects, le discrédit de la raison comme instance suprême de législation interne et externe (qui a envie de voter pour Bayrou ?), tout cela se traduit logiquement sur le plan politique. L’homme créé par les nouvelles technologies est un homme soumis à ses pulsions, c’est l’homme tyrannique de La République , le stade le plus bas des quatre régimes politiques possibles. Et nous baignons là-dedans, et c’est le grand paradigme socio-psychologique de notre génération.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Laconique

      "Sous certains aspects, peut-être, mais elle est aussi une grande source d’aliénation."
      Si vous avez bien lu ce qui précède, vous savez que tel n'est pas l'avis de Simondon. Je cite: "La plus forte cause d'aliénation dans le monde contemporain réside dans cette méconnaissance de la machine, qui n'est pas une aliénation causée par la machine, mais par la non-connaissance de sa nature et de son essence, par son absence du monde des significations, et par son omission dans la table des valeurs et des concepts faisant partie de la culture."

      C'est un point important qui sera développé dans mon prochain billet.

      "L’homme libéré de l’effort, livré au « loisir », est en réalité livré à ses affects."

      Admettons que vous ayez raison (ce que je ne crois pas). Puisque vous admettez comme moi qu'être "livré aux affects" n'est pas un sort souhaitable, il semble logique d'en tirer la conclusion qu'il FAUT se débarrasser de la technologie qui aliène, n'est-ce-pas ? Et si vous êtes conséquent avec ces prémices, vous ne pouvez pas vous plaindre que je qualifie une telle position d' "archaïque", d' "anti-moderne", etc. D'ailleurs ça ne prouverait pas que l'archaïsme soit erroné. C'est juste, comme vous dites, un classement.

      "Il n’y a qu’à voir ce que produisent internet, Facebook, les réseaux sociaux, etc. : du voyeurisme, des pulsions libidinales, de l’égocentrisme, une grande précarité relationnelle et sentimentale, etc. Je ne développe pas."

      Vous devriez cher Laconique, car je ne suis pas du tout convaincu que ladite technologie et lesdits média "produisent" quoi que ce soit. A la rigueur, ils organisent des pulsions préexistantes, qui ne les ont nullement attendus pour exister. Simplement, avant, on s'en rendait moins facilement compte. Et à supposer que le narcissisme soit plus élevé aujourd'hui que par le passé, les causes sont selon moi à chercher du côté de l'éducation, de la culture et de la politique. Dénoncer les média (sous cet angle), c'est s'attaquer à des causes imaginaires. Ce ne sont que des manifestations d'autre chose, à mon sens.

      Supprimer
    2. Je lirai votre prochain billet alors, parce que la citation de Simondon sur l’intégration de la machine dans le monde « de la culture » ne me convainc pas du tout. La technique existe depuis des centaines de milliers d’années, depuis le silex. Et l’art de tisser, ou celui de relier un livre, n’a jamais fait partie de la culture humaniste. Voltaire ou Nietzsche étaient très cultivés, et savaient-ils comment leurs vêtements étaient cousus, leurs livres imprimés, ou les roues de leur diligence ferrées ? La culture repose sur des jugements esthétiques, des jugements moraux, des connaissances historiques, bref, tout ce dans quoi l’homme exprime sa liberté. La technique sert des besoins matériels, elle n’a pas de signification en elle-même, et je rejoins tout à fait Ellul.

      Par ailleurs, l’homme ne peut pas échapper à la société, s’il veut être pleinement homme. Renoncer à la technique est donc impossible, à moins de se couper complètement de la société, ce qui n’est pas mon encore mon cas.

      Pour le dernier point, si vous jugez que la technique n’a aucune influence sociale ou politique, alors je me demande ce qui peut bien en avoir. La pure production de concepts ? Si vous ne voyez aucune corrélation entre l’invention de l’imprimerie et la naissance du protestantisme (à travers la lecture du texte plutôt que la soumission à l’autorité ecclésiastique, le développement du libre examen, l’autonomie de l’individu, etc.), alors en effet nous ne pourrons pas nous entendre. Si vous jugez que la révolution industrielle n’a eu aucune conséquence politique ou sociale, qu’elle a laissé les structures familiales ou les institutions politiques inchangées, alors en effet je ne pourrai pas vous convaincre…

      Supprimer
    3. @Laconique
      "si vous jugez que la technique n’a aucune influence sociale ou politique."

      Ce n'est bien sûr pas ce que je pense (il suffit de relire les premières lignes de ce billet pour s'en convaincre). Et vous ne répondez pas à ma question: qu'est-ce qui vous permet de dire que les "réseaux sociaux" rendent plus narcissiques ?

      (Faites attention, vous confondez la notion de corrélation avec celle de causalité. Il y a bien sûr une relation de causalité entre le développement de l'imprimerie et le succès du protestantisme. Mais ça ne veut nullement dire que le second n'a été causé que par le premier. D'ailleurs il n'y a aucune relation simple entre l'amélioration des modes de communication et telle ou telle évolution sociale).

      Supprimer
    4. Eh, cher Johnathan Razorback, vous biaisez une fois de plus… Que voit-on sur Facebook, sur Twitter, sur les réseaux sociaux ? Des photos, des mises en scènes, l’étalage d’une vie. Et j’ai traversé les années 90, l’apparence avait bien moins d’importance, je peux vous l’assurer. Revoyez les films français de cette époque, n’importe lequel, si vous ne me croyez pas…

      Supprimer