jeudi 15 août 2019

Propos, pensées et sentences mêlées (5)





Les échanges que je reproduis ici tournent essentiellement autour de deux problèmes distincts :

-l’articulation du libéralisme et d’un Etat « national-républicain » assimilationniste, le second étant compris -de façon passablement hétérodoxe- comme une condition du premier.


-l’articulation entre morale et politique, en liant avec la dénonciation des courants politiques « perfectionnistes ».



"Je parlais l'autre jour avec @Wayto de la conception perfectionniste de la politique (c.a.d. le type de philosophie qui assigne comme finalité au pouvoir politique de rendre les hommes bons) qu'on trouve dans le conservatisme, et disait que peut la trouver aussi à l’œuvre à gauche ; un communiste comme Michéa me semble en donner une illustration très nette (et ce n'est donc certainement pas un hasard si son œuvre séduit tellement à droite):

"Si l'État juste doit s'interdire par principe d'intervenir dans ces domaines, comment est-il encore possible d'espérer introduire dans la vie quotidienne des individus cette droiture morale et cet esprit de solidarité dont, par ailleurs, Bastiat prétend reconnaître qu'il est la condition de toute société véritablement humaine ? Qu'est ce qui autorise, en somme, un libéral politique à croire que les hommes feront d'eux-mêmes les choix souhaitables et qu'ils ne préféreront pas plutôt adopter un comportement égoïste, voire décider cyniquement de se comporter en « démons » ?"
-Jean-Claude Michéa, L'Empire du moindre mal. Essai sur la civilisation libérale (cf: https://www.senscritique.com/livre/L_empire_du_moindre_mal_essai_sur_la_civilisation_liberale/critique/22992266  )

Une telle conception est perfectionniste puisque la vertu (ce qui est évidemment beaucoup plus que la sécurité ou la liberté) est tenu pour une chose que l'Etat peut (par sa violence inégalée donc, celle qui fonde la force de la loi) et doit imposer ; il doit régir les comportements. Une approche qui n'est pas sans rappeler le jacobinisme du temps de la Révolution française. Rajoutez de l'intensité messianique "progressiste" dans ce type de pensée, et vous arrivez au culte de l'homme nouveau. Retirez lui son panache pour en faire un ressentiment purulent et un fanatisme renversé à l'encontre des "préjugés", jeter une louche de "despotisme doux" tocquevillien par-dessus, et vous arrivez au gauchisme culturel contemporain." (11 février 2019, cf: https://forum.liberaux.org/index.php?/topic/26038-mes-lectures-du-moment/&page=220&tab=comments#comment-1699883 )

"On peut à la fois soutenir que les étrangers ont un devoir moral de s'adapter à une certain nombre de normes sociales / mœurs de la société où ils s'installent (position assimilationniste défendue ci-dessus) ET refuser de les FORCER de s'adapter par des moyens coercitifs (auquel cas on serait effectivement dans une forme de perfectionnisme politique). La politique a vocation a être morale mais tout ce qui est moralement bon n'a pas vocation (et ne peut pas) être produit par des moyens politiques (plus précisément par la Loi et la force publique qui en assure l'imposition).

L'assimilationnisme est liberhalal si on est fait un impératif strictement moral et non un but politique (ou du moins un but politique juridiquement traductible). C'est un peu comme le triomphe de Jésus dans une approche libérale du christianisme
." (16 février 2019, cf: https://forum.liberaux.org/index.php?/topic/14011-s%C3%A9rieux-immigration-questions-et-d%C3%A9bats-lib%C3%A9raux/&page=241&tab=comments#comment-1701232 )



« Je serais peut-être un (tout petit) peu barrésien et conservateur, en arguant qu'il vaudrait mieux respecter le cadre politique hérité du passé. Non pas avec une légitimation conservatrice suivant laquelle une chose est bonne parce qu'elle est héritée, mais plutôt en faisant remarquer que toutes les transformations risques d'être pires. Certainement que l'Etat-nation tel qu'il existe n'aurait pas pu être produit sans une masse de violences, d'injustices, de coercition. Mais ce n'est pas parce que c'était très mal de prendre un petit breton ou un petit corse et de l'expédier à l'EdNat pour saluer le drapeau et apprendre, en fait d'histoire, un roman national, que ce serait une bonne chose de reproduire le processus à l'échelle européenne (et l'UE dépense d'ores et déjà pas mal de pognon des autres pour essayer de créer le sentiment d'une identité européenne), ou que toute sécession territoriale serait un pas en avant vers la liberté. Le droit à la sécession politique est une suite logique de l'axiomatique libérale, mais il ne faut pas se cacher que les "indépendantismes" ne sont le plus souvent que des nationalismes en plus petit ("la Corse aux Corses", etc.)." (17 février 2019, cf: https://forum.liberaux.org/index.php?/topic/55334-gilets-jaunes/&page=96&tab=comments#comment-1701318 )

"De là à ce que les identitaires de droite se trouvent renforcés par les diversitaires de gauche... Ils sont tous contre l'Etat-nation, les uns en raison du fantasme d'un Etat ethnique purifié, les autres au nom de l'éloge de la différence, différence qu'il faudrait préserver de toute contrainte d'assimilation, contrainte "totalitaire" et "ethnocentrique" (ou même néo-coloniale, chez les plus hystériques)..." (19 février 2019, cf: https://forum.liberaux.org/index.php?/topic/54570-tweets-rigolos/&page=17&tab=comments#comment-1701735 )



"Je suis pour le respect du principe de non-agression envers tous les êtres humains, immigrés ou non. Empêcher les gens de circuler ou de vivre dans des logements qu'ils achètent ou louent est une agression.

En revanche je soutiens que l'Etat régalien a le droit d'exercer des contrôles à ses frontières pour y arrêter les criminels de droit commun (par exemple ceux qui se livrent à des trafics trans-nationaux), ainsi que pour empêcher d'entrer d'éventuels terroristes. Mais ce n'est pas restreindre la liberté que de neutraliser les individus qui se permettent de menacer la vie, la liberté ou la propriété des citoyens pacifiques.

Je suis donc pour la liberté d'immigration réglée par les nécessités de la sécurité intérieure. Et je suis cohérent avec moi-même puisque je soutiens qu'il y a une hiérarchie logico-ontologique entre les différents droits naturels (dans le cas présent, pouvoir circuler librement suppose d'être en vie, donc en sécurité. La sécurité -entendue au sens libéral, pas au sens de chèque en blanc pour l'arbitraire- ne limite pas la liberté de circulation, elle en est une condition)
." (20 février 2019, cf: https://forum.liberaux.org/index.php?/topic/14011-s%C3%A9rieux-immigration-questions-et-d%C3%A9bats-lib%C3%A9raux/&page=252&tab=comments#comment-1702239 )



« S'il n'y a pas de vérité universelle (notamment morale), alors dialogue et violence deviennent des moyens interchangeables d'obtenir ce qu'on veut. L'autre ne peut pas me convaincre de renoncer à l'agresser si je le désire, faute d'une objectivité -communément découvrable- pour soutenir son raisonnement. Ou, s'il me convint, ce n'est qu'un pur acte de persuasion qui n'engage que l'arbitraire de deux subjectivités.

Nietzsche était cohérent avec lui-même en soutenant que le logos est une invention des faibles pour se protéger de la violence
."
(8 mars 2019, cf: https://forum.liberaux.org/index.php?/topic/55518-%C3%AAtes-vous-universaliste-ou-relativiste/&page=4&tab=comments#comment-1705535 )

"Le travail est un moyen de socialisation (rencontres, etc) et d'assimilation aux codes de la société (pour les étrangers). Le chômage, c'est l'exclusion sociale en plus du problème économique. Les collectivistes qui n'ont à la bouche que la nécessité de la "cohésion sociale" soutiennent des politiques qui détruisent les conditions économiques de ladite cohésion." (14 mars 2019, cf: https://forum.liberaux.org/index.php?/topic/55536-koyano/page/2/&tab=comments#comment-1706980 )



"L’assimilation est compatible avec le libéralisme si elle ne résulte pas pas de moyens politiques attentatoires aux libertés individuelles.

Une politique assimilationniste n'est pas une contradiction dans les termes parce que tous les actes politiques ne sont pas coercitifs (ex: choisir des noms de rue issue de l'histoire de France n'est pas coercitif). Je me définis personnellement comme un libéral national-républicain ; l'assimilation me paraît souhaitable en raison: 1): de son utilité pour faciliter la cohésion et la coopération sociale, rendant aussi la vie collective plus agréable pour tous le monde ; 2): de la qualité intrinsèque de la culture française et occidentale (mais 1 serait une raison suffisante pour défendre l'assimilation dans un Etat non-occidental). Mais je refuse de forcer des individus à adopter des codes culturels ou un mode de vie dont ils ne veulent pas. Seule la Loi -et uniquement dans la mesure où elle préserve la liberté individuelle- peut être légitiment maintenue par la force publique.

Je sais que si j'acceptais le contraire pour promouvoir la culture occidentale, je saperais le fondement moral auquel me refèrerait si un jour les partisans d'une culture étrangère, ou d'un mode de vie contraire au mien, ou d'une autre religion, parvenait au pouvoir et décidait d'employer l'arsenal étatique pour imposer leurs préférences. L'assimilation doit être réalisée par les moyens du marché, c'est-à-dire des échanges et des interactions libres (ce qui n'exclut pas la pression sociale). Interdire les signes religieux serait contraire à ces principes. Ce serait en outre contre-productif car les religieux en question ne disparaîtraient pas et se plaindraient à juste titre d'être opprimés. Ce serait en fait déchirer la concorde civique, de la même manière qui si on voulait interdire les écoles confessionnelles au nom de la laïcité.

Si tu acceptes ces prémisses tu ne peux pas essayer de faire passer la promotion des codes vestimentaires musulmans comme une politique contraire à ta liberté, parce qu'elle opère par la pression sociale, c'est-à-dire exactement le même moyen que l'assimilation, entendue libéralement. Tu te contredirais. Tu as parfaitement le droit de trouver ces codes malsains et ceux qui les promeuvent gênants ou impossibles à côtoyer. Mais c'est en dehors de la sphère légitime d'action du politique. Le pouvoir politique n'a pas à te garantir un "droit à" ne pas subir une pression sociale de direction distincte de tes préférences
." (20 mars 2019, cf: https://forum.liberaux.org/index.php?/topic/55543-attentats-de-christchurch-nz/page/10/&tab=comments#comment-1708299 )



"Le perfectionnisme politique est une forme de collectivisme basé sur des prémisses morales très spécifiques. Il y a des perfectionnistes de gauche (le jacobinisme me semble tomber sous cette catégorie, avec sa référence constante à la vertu), mais pleins de courants de gauche ne sont pas perfectionnistes, soit parce qu'ils sont "individualistes" ou plutôt pluralistes (Rawls par exemple dirait pas, je crois, qu'il y a une hiérarchie des modes de vie ou qu'un mode de vie en particulier est meilleur que tous les autres et doit être imposé politiquement. Et Rawls a influencé un paquet d'autres penseurs politiques contemporains), soit parce qu'ils sont relativistes (comme peuvent l'être, de manière très différentes, Karl Marx, Isaiah Berlin, Castoriadis, ou encore les post-modernes à la Deleuze / Foucault).

La différence entre les perfectionnistes politiques et les autres est que les premiers veulent utiliser le pouvoir politique pour façonner les individus vers le modèle abstrait unique d'une certaine individualité, alors que les autres ne formulent pas leurs objectifs politiques de cette façon. Mais en pratique, ils peuvent soutenir les mêmes lois ou les mêmes partis. On peut imaginer qu'un écologiste socialiste perfectionniste n'aura guère de divergences concrètes d'avec son compère non-perfectionniste. Leurs prémisses morales et leur façon d'argumenter seront simplement différentes. Le second pourra se contenter de poser comme souhaitable des objectifs qui n'ont rien à voir avec la qualité éthique des personnes, par exemple dire qu' "il faut sortir du capitalisme destructeur de la nature" ou que "les animaux ont une valeur intrinsèque".

C'est important de maîtriser cette catégorie parce qu'une fois qu'on a montré que le perfectionnisme politique est intenable, on réfute plusieurs positions différentes à la fois à droite (auquel cas en général conservatrices, peut-être fascistes aussi mais c'est moins clair) et à gauche. C'est un sacré gain de temps, en plus du bug cognitif qu'on peut produire chez l'adversaire en lui montrant qu'il résonne exactement comme des gens dont les positions l'horrifient (par exemple le jacobin ou le
liberal pour le conservateur, et inversement)." (25 avril 2019, cf: https://forum.liberaux.org/index.php?/topic/26038-mes-lectures-du-moment/page/232/&tab=comments#comment-1716448 )



"1): Je dirais plus exactement que la morale et la politique (dont le droit est un outil) sont autonomes mais que la seconde est hiérarchiquement ordonnée à la première (et je serais tenté de soutenir que toutes les essences, au sens anthropologique de Freund, sont en fait hiérarchiquement subordonnées à la morale, car la morale étant ce que je dois faire, toute activité humaine imaginable en est de facto une partie, même s'il est important de saisir que toutes ces activités ou dimensions existentielles de l'être humain ont des buts ou des règles spécifiques. En ce sens, Machiavel -dont s'inspire explicitement Freund- demeure un penseur majeur en soulignant que les vertus politiques ne sont pas celles qu'on peut attendre d'une personne privée, leçon dont l'expérience quotidienne montre qu'elle n'est pas acquise):

"Au deuxième sens, l’essence a un caractère ontologique. Elle définit alors une des orientations et activités vitales ou catégoriques de l’existence humaine, sans lesquelles l’être humain ne serait plus lui-même. Toute essence en ce sens a pour fondement une donné de la nature humaine ; par exemple il y a une politique parce que l’homme est immédiatement un être social, vit dans une collectivité qui constitue pour une grande part la raison de son destin. La société est donc la donnée du politique, comme le besoin est la donnée de l’économique ou la connaissance celle de la science. Dans ce cas il ne s’agit plus seulement d’analyser l’essence du politique et nous dirons même que la politique est une essence. Nous croyons qu’il y a six essences de cette sorte : la politique, l’économie, la religion, la morale, la science et l’art. Comprises en ce deuxième sens les essences se distinguent de ce que nous appelons les dialectiques, comme le droit, la question sociale, l’éducation, etc. La caractéristique de ces dialectiques consiste en ce qu’elles ne se fondent pas sur une donnée de la nature humaine, mais sur deux ou plusieurs essences au sens ontologique. Ainsi le droit a pour fondement la morale et la politique, la question sociale a pour fondement la politique et l’économie." (Julien Freund, L'Essence du politique, p.5)

Le problème que j'ai avec Freund est qu'il est tellement engagé dans une lutte pour souligner l'autonomie des essences (typiquement: la politique est irréductible à la morale -d'où sa critique impitoyable du pacifisme, qui n'a rien à voir avec faire la paix), à lutter contre les confusions ou les prétentions abusives de l'une sur l'autre, qu'ils ne les pensent plus comme hiérarchisées (ce qui devait à mon avis être le cas dans la tradition aristotélo-thomiste). Il suppose en passant que « La confusion entre politique et morale est peut-être nécessaire à toute entreprise politique qu’elle soit de commandement ou de révolte. » (p.179), mais il considère justement ça (à tort) comme une confusion, pas comme un indice d'une primauté d'une dimension de l'existence humaine sur les autres, d'une dépendance de la politique envers quelque chose qui n'est pas elle et qui lui donne un sens hors duquel elle serait une activité vidée de sa finalité, réduite à la pure recherche et conservation du pouvoir, définalisée comme le serait une éducation qui se limiterait à contrôler les élèves sans les instruire ni les rendre autonomes, ou un art qui se limiterait à exprimer des émotions ou mobiliser une technique ou "créer du nouveau" ou "faire passer un message", sans souci pour la qualité proprement esthétique (c'est-à-dire la beauté) résultante de l'activité... (cette dernière phrase est dédiée à @NoName).

Il écrit au contraire que: "Entre politique et morale il y a une différence d’essence. L’une n’est pas le prolongement ni l’aboutissement ni le couronnement de l’autre." (p.42) -ce qui ouvre la voie au collectivisme en ce sens que, si on pose le bien moral et le bien politique comme séparés, on doit alors admettre qu'il y a des situations où les deux entrent en conflit sans pouvoir être réconciliés, on l'on se retrouve sans principes pour choisir ce qui serait préférable, où l'on doit préférer arbitrairement Créon ou Antigone sans qu'une objectivité puisse permettre d'argumenter et de légitimer nos préférences, et où l'on peut in fine choisir arbitrairement de privilégier un "intérêt général" hypostasié contre le bien de l'individu.

Or il me semble que la situation tragique ainsi définie n'existe en fait pas (parce qu'il ne peut y avoir de conflits entre différents biens qui sont réellement des biens, inter-individuels ou entre l'individu et la collectivité. Mais j'admets qu'à ce stade je ne saurais pas comment démontrer systématiquement cette thèse, et que d'aucun pourrait railler un libéralisme universalisme "naïf" et abusivement optimiste, qui se donne a priori des "harmonies" éthiques là où il n'y en a pas toujours).

2): Non. Je m'oppose au perfectionnisme politique, c'est-à-dire que je conteste que le pouvoir politique soit à la fois légitime et capable de rendre les individus bons, de les faire se conformer à un modèle de la vie bonne. D'une part parce qu'on ne peut pas rendre les gens bons par des moyens violents (et la Loi repose sur la force publique et non sur la seule autorité que nous sommes prêts à conférer à nos gouvernants) ; d'autre part parce que si on admet comme légitime de telles prétentions et une telle étendue au pouvoir politique, les conceptions de la vie bonne étant très différentes au sein de la société, tous les groupes dotés d'un idéal éthique chercheront à utiliser le pouvoir pour l'imposer aux autres, ou du moins à tenir le pouvoir pour empêcher les autres de les détruire. Il s'ensuivra une guerre de tous contre tous. C'est justement pour sortir de ce cercle vicieux que le libéralisme s'est développé comme solution politique aux guerres de religions.

Mais dire que le pouvoir politique ne peut ni ne doit chercher à rendre les individus bons, ce n'est pas dire qu'il ne peut pas obliger les hommes à agir en conformité avec certains principes moraux... Car dire cela serait rompre la subordination du politique à la morale, et vider la loi de tout contenu éthique (ce que fait le positivisme juridique. Ce n'est pas un hasard si Hobbes, observant les ravages des guerres de religion et donc du perfectionnisme politique, ait pensé trouvé la solution de la paix civile dans le relativisme moral et dans le fait de vider la loi de tout fondement moral pour la réduire à un impératif de survie en se subordonnant au pouvoir).

Hobbes (et Spinoza) avaient raison de dire (et étaient "pré-libéraux" en souhaitant) que le pouvoir politique doit se contenter de l'obéissance des gouvernés à la Loi, et non d'une adhésion en leur fort intérieur au contenu de la loi, d'une transformation de la qualité éthique des gouvernés par la Loi. Ce faisant, ils portèrent un coup puissant à l'encontre du perfectionnisme politique de la tradition occidentale (de Platon à la scolastique tardive). Mais ils le combattirent à partir de mauvaises prémisses (relativistes, contractualistes, et reconduisant une forme d'absolutisme positiviste-juridique). L'erreur, ce n'était pas de subordonner la politique à la morale, c'était et de se tromper sur la véritable morale, et de chercher à réaliser intégralement une moralisation des êtres humains par des moyens politiques (donc violents).

Si les gouvernés ne sont pas tenus d'adhérer à la loi ou de se laisser transformer qualitativement par elle, mais seulement de lui obéir pour assurer la continuité de l'ordre social et politique, ils ne sont plus empêchés de réfléchir et de discuter du bien-fondé de la Loi (et en ce sens Hobbes et surtout Spinoza sont "pré-libéraux" en ruinant la légitimité de la censure, qui est cohérente dans le cadre du perfectionnisme politique où l'on veut, depuis Platon, transformer les croyances intimes des gouvernés). Du coup, il devient possible de voir (mais ça implique de reconnaître la validité d'une certaine ontologie et d'une certaine anthropologie) que certaines lois sont objectivement meilleures que d'autres, que la Loi doit se subordonner à certains principaux moraux fondamentaux et que le pouvoir politique peut être renversé s'il les violent (et historiquement c'est là qu'arrive John Locke, qui n'est ni relativiste ni perfectionniste). On peut donc échapper à l'arbitraire positiviste sans retomber dans le perfectionnisme et son incapacité à faire coexister des groupes ayant des conceptions divergentes de la vie bonne.

Je soutiens donc que la morale est objective, universelle, rationnellement découvrable, et que le pouvoir politique doit s'y conformer (ce qui implique que les gouvernés, en suivant la Loi, suivront certains principes moraux, mais ce n'est pas une conception perfectionniste parce que ces principes se limitent à rendre la vie sociale possible malgré la conflictualité des idéaux et des valeurs, et non à faire en sorte que les individus suivent une conception de la vie bonne, qui a un caractère "totalisant" -elle ne définit pas seulement la justice mais la totalité de ce que je devrais faire et être). Je défends donc une conception libérale jusnaturaliste.

Je ne dirais pas non plus que la morale est personnelle. Je pense que les principaux moraux sont universellement valables et qu'il implique des vertus et des attitudes qui déterminent ce qu'est la vie bonne (la manière dont cet idéal général se décline en des vies particulières faites de goûts et d'activités diverses est un problème beaucoup moins sérieux que ne le croient les sceptiques ou les relativistes, mais je le traiterais une autre fois). Tout ce que je me borne à soutenir est que l'existence d'un genre de vie objectivement meilleur que les autres ne fonde pas les prétentions d'un pouvoir politique à chercher à l'imposer, et s'y opposerait même (parce que la rectitude morale conduit à s'opposer à un pouvoir politique abusif)
." (26 avril 2019, cf: https://forum.liberaux.org/index.php?/topic/26038-mes-lectures-du-moment/page/232/&tab=comments#comment-1716453 )

1 commentaire:

  1. très intéressant. Je partage l'idée selon laquelle la morale est universelle (en fait je n'arrive pas à concevoir ce que voudrait dire une morale non universelle). Il me semble que les règles qui régissent les sociétés dites libérales (respect des droits naturels individuels en gros) contiennent déjà une partie de ce que nous savons des règles justes...

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