C’est en 1964 que le théoricien traditionnaliste et
pro-mussolinien Julius Evola faisait paraître son essai, Le Fascisme vu de droite. Introduit en France notamment par la
Nouvelle Droite d’Alain de Benoist, le fasciste italien alimente désormais la
propagande idéologique de M. Alain Soral, par l’intermédiaire de son site internet.
Quoi de plus pertinent que de détourner le titre d’origine
pour baptiser l’analyse du discours soralien, lorsque celle-ci provient de son
ancienne famille politique, je veux dire le camp communiste ?
Ce choix de publication n’est bien sûr pas sans
ironie, et on n’attendra pas du lecteur qu’il suive M. Arnaud Staquet dans son
désir de « sauver » quelque chose de l’expérience du « socialisme
réel » (soviétique). Il n’en reste pas moins que sa description de l’idéologie
soralienne vise souvent juste, et qu’elle la révèle pour ce qu’elle est, un néo-fascisme français, une hostilité
viscérale à la démocratie libérale qui ne se traduit pas, au grand regret de M.
Staquet, par une adhésion à l’antilibéralisme de type marxiste (bolchevik).
Post-scriptum: les notes de l'article d'origine ont été supprimées.
« Alain Soral est un essayiste français proche
du FN, sans en être membre. Il soutient la candidature de Marine Le Pen pour la
campagne présidentielle. Son dernier livre s’est vendu à 28 000 exemplaires, ce
qui constitue un succès modéré. Ses lecteurs sont des jeunes et beaucoup sont
d’origine immigrée. Il suffit pour s’en convaincre d’aller voir les
commentaires sur ses sites.
Avec l’aide de Dieudonné, Soral tente de rallier aux idées d’extrême droite un public qui ne lui
est traditionnellement pas attaché : de jeunes Français issus de
l’immigration qui aspirent à bac + 3.
La croissance basée sur l’endettement des années
1990 et 2000 a fait place, depuis la crise de 2008, à une précarité accrue
touchant les plus démunis, mais aussi, et c’est nouveau, les classes moyennes.
Et notamment une partie des jeunes salariés issus de milieux populaires qui
ayant fait des études plus poussées que leurs parents, pouvaient prétendre à
des emplois mieux rémunérés et protégés. Soral s’adresse à ces jeunes qui,
ayant terminé leurs études ou non, voient leur avenir en berne. L’ascenseur
social est en panne et la colère gronde. Pour ceux dont les parents sont
immigrés, la situation est pire encore, car ils doivent aussi faire face à la
discrimination raciste.
Cette légitime colère ne sera payante qu’en ciblant
les vrais responsables de la crise : le grand capital. Elle ne sera efficace
que si elle se lie au mouvement ouvrier. Mais c’est là que le bât blesse… Les
partis de gauche en France, comme le PS, ne remettent pas en question la
domination des financiers. En politique étrangère, il y a unanimité à gauche
pour le soutien à l’impérialisme français en Libye et en Syrie.
Le PS ne dénonce pas la politique d’apartheid de
l’État d’Israël contre les Palestiniens. Et pour couronner le tout, nombreux
sont ceux, à gauche, qui s’associent au discours stigmatisant l’islam au nom de
la défense de la laïcité républicaine.
L’objectif de Soral est de rallier un électorat
jeune, déçu de la gauche et d’origine immigrée. Pour l’heure, il travaille sur
le terrain idéologique afin de former de futurs cadres de la droite extrême,
capables d’encadrer les quartiers des banlieues populaires. Il se présente
d’ailleurs lui-même comme un « producteur de concept », un idéologue en somme.
Mais comment réussir le tour de force de rapprocher
du FN des petits enfants français des premiers immigrés algériens qui ont connu
le FLN et la décolonisation ? Le FN est dirigé par Marine Le Pen, soit la fille
spirituelle et biologique du père, lieutenant parachutiste, engagé volontaire
en Algérie pendant la guerre d’indépendance pour maintenir l’empire colonial
français ! Soral est d’ailleurs,
quoiqu’il s’en défende, un nostalgique de la grandeur coloniale de la France
: « Plus je vois la merde noire (corruption, intégrisme, généraux…) dans
laquelle l’Algérie s’enfonce un peu plus chaque jour, plus je découvre en
images que les seules choses qui tiennent encore debout là-bas
(infrastructures, urbanisme…) sont celles que la France coloniale y a
construites, plus je me dis que leur seul espoir, c’est qu’on y retourne. » Ce
n’est certes pas un tel discours qui peut convaincre…
Mais il est beaucoup plus séduisant chez Ardisson
lorsqu’il dénonce le discours des médias sur les « islamo-violeurs des
banlieues » à propos des tournantes au bas des immeubles. Il y affirme que «
les musulmans violeurs ça n’existe pas, soit on est un violeur et on est un
délinquant, un sous-prolétaire américain d’imitation […] soit on est un mec qui
est dans la religion et on ne viole pas ».
Soral est un adepte du discours sur la perte des
valeurs dans la société : « les films pornos qui ne leur donnent pas une image
très respectable de la femme occidentale […] la misère sexuelle, elle est pour
les garçons de banlieue […] il y a toujours la possibilité pour la jolie
beurette de se sortir de la banlieue en allant proposer ses fesses dans les
boîtes de nuit. »
Il apparaît comme un défenseur de l’islam lorsqu’il
répond à une interview du plus important site Internet musulman d’expression
française Oumma.com : « Oui, le piège du rap, tendu par les médias du pouvoir
pour pousser le Franco-Maghrébin à s'identifier au noir américain du ghetto […]
la culture musulmane produit des hommes élevés dans des valeurs. »
Il se présente comme un rebelle « antisystème »,
dénonçant un complot des élites, toujours en des termes vagues d’ailleurs.
Morceau choisi : « Tout le pouvoir, c’est les réseaux […] c’est l’oligarchie
bancaire qui coopte des gens en leur faisant comprendre qu’ils auront leur part
du gâteau s’ils participent au projet de domination […] on voit bien qu’au
Siècle il y a tout ce monde-là, c’est les gens qui participent au pouvoir,
c’est-à-dire les élites […] on est dans le monde de l’hyperclasse
mondialiste. »
Il veut dénoncer la domination des banques et de la finance
internationale tout en sauvegardant le capitalisme. Il n’attaque jamais la mondialisation
capitaliste, mais bien le mondialisme : « Le mondialisme n’est pas
la mondialisation. […] Le mondialisme est un projet idéologique […] qui
travaille à la mise en place d’un gouvernement mondial et à la dissolution de
toutes les nations du globe en une seule humanité. […] la mondialisation –
processus d’échanges dus au progrès technique — pourrait tout aussi bien se
satisfaire d’un monde multipolaire fait de nations pratiquant un protectionnisme
réciproque et raisonné."
Soral s’en prend toujours à l’impérialisme américain
et à son allié sioniste, ce qui plaît : « on cherche à obtenir des gens dans
les médias un soutien inconditionnel à Israël […] si t’es antisioniste ou
judéocritique, tu dégages. » Pourtant, il ne parle jamais de l’impérialisme
français. Il veut d’ailleurs occulter tout bilan, toute réflexion sur le passé
colonial français : « la culpabilisation du peuple de France qui n’a rien à
voir avec la Collaboration […] l’antisémitisme », ni avec l’esclavage et la
colonisation. Il ne faut plus en parler, car ça entretient la « haine de la
France ».
Lorsqu’il condamne l’hypocrisie du PS et de l’UMP
qui tiennent un discours de défense des droits de l’homme tout en soutenant
Israël et les interventions en Libye et en Syrie, il fait mouche : « Le
droit-de-l’hommisme est, aujourd’hui, le bras armé idéologique du mondialisme.
»
Il présente l’élite au pouvoir en France comme étant
au service du sionisme : « Bernard-Henri Lévy, qui défend les intérêts
israéliens, a donné l’ordre à l’armée française, au-dessus de Juppé, qui
n’était pas très chaud pour y aller, de déclarer la guerre à la Libye sans
recourir à un vote du parlement. » Selon lui, il fallait pour Israël avoir une
« présence militaire impériale proche des frontières de l’Égypte […], car si
les frères musulmans et l’armée égyptienne s’entendent, le blocus de Gaza c’est
fini ». En attendant, les entreprises françaises, surtout Total, ont de beaux
jours devant elles en Libye, les frères musulmans ont gagné les élections,
quant à Gaza…
Il faut lire l’allocution de Soral prononcée à
Villepreux le 2 novembre 2008 sur « Le politiquement incorrect comme idéologie
de résistance au mondialisme » pour bien comprendre comment il s’intègre dans
ce vaste courant de la critique d’extrême droite qui substitue au discours
anticapitaliste et anti-impérialiste, un discours sur les valeurs : « Le
politiquement incorrect n’est en rien un inutile jeu de provocations. C’est,
même […] la doctrine de résistance au mondialisme. […] nous pouvons,
nous nationaux, en tant que seuls critiques efficients […] devenir les maîtres
à penser de demain et incarner, nous et nous seuls, le renouveau du Génie
français ! ». Cette nouvelle élite, nourrie au biberon de la pensée Nouvelle
droite pour diriger la France de demain en occupant le terrain déserté par la
gauche.
Tout comme Marine Le Pen, Soral aime entretenir la
confusion politique en parlant alternativement du système UMPS et de la
résistance au mondialisme. « J’aime certains gars de banlieues pour ça,
j’aime Le Pen pour ça […] Ce sont encore des hommes […] toutes ces merdes du
système UMPS […] J’aimerais bien voir le jour où ça va péter dans la rue,
comment ils vont se comporter […] moi je suis prêt déjà à ça, pas eux. » Cette
saillie provocatrice, mêlée de fanatisme et de culte du surhomme pourrait
prêter à sourire. Elle est néanmoins typique du personnage et du fond de ses
idées politiques. Lorsque ça va « péter » comme il dit, on peut se demander si
lui et ses copains du FN seront du bon côté, ou s’ils joueront, comme toute
l’histoire l’a montré, le rôle de gardiens du capitalisme, de bourreaux du
mouvement ouvrier. En attendant, ce côté
rebelle contestataire et prêt à en découdre plaît à des jeunes qui se trompent
de colère.
Alain Bonnet de Soral est né le 2 octobre 1958 à
Aix-les-Bains. Il se présente comme suit : « Je suis donc un atypique, fils de
bourgeois déclassé, ayant passé son enfance au milieu des communistes dans une
cité-dortoir, mais allant au collège Stanislas […] comme la plupart des
marginaux que je croise dans les squats et autres lieux alternatifs qui me
permettent de survivre et d’échapper au salariat. […] J’ai toujours été un
fervent patriote […]. Mon virage vers le communisme et le PCF […] je
m’essaierai, toujours pour survivre, au journalisme et à la publicité. […] nous
faisons campagne pour le “non” à Maastricht… Une campagne pour le non où PCF et
FN se retrouvent dans le même camp… […]. »
Nous sommes alors en 1993, après la chute du
socialisme en URSS. Le PCF, comme nombre
de partis communistes européens, est en pleine débâcle. Soral, estimant sans
doute qu’il a misé sur le mauvais cheval, entame un tournant qui l’amènera en
2005 à adhérer au Front national de Jean-Marie Le Pen. En novembre 2007, il
devient un cadre du parti d’extrême droite en intégrant le comité central du
FN.
Au début des années 1990, il est donc au PCF, mais
participe à l’appel de Jean-Paul Cruse pour créer un large front ni droite, ni
gauche rassemblant « Pasqua, Chevènement, les communistes et les ultranationalistes
[…] la civilisation contre la marchandise — et la grandeur des nations contre
la balkanisation du monde [… contre] Wall Street, le sionisme international, la
bourse de Francfort et les nains de Tokyo. » Le PCF condamna promptement ce
projet de rapprochement « rougebrun » qui tourna court. Pour Alain Soral, ce
fut une école. C’est à l’Idiot international de Jean-Edern Hallier, un
journal pamphlétaire et anarchiste de droite, que s’opère ce rapprochement
entre déçus de la gauche communiste et électrons libres de la droite extrême. L’initiative est soutenue par Alain de Benoist,
qui fut l’un des plus influents penseurs de la Nouvelle Droite. Il fonde le
GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne) en
1969 pour lutter contre Mai 68 et la domination des idées de gauche dans la
société moderne. Une bonne partie des jeunes cadres du FN et de l’UMP ont été
fortement influencés par ce courant qui a joué un rôle de catalyseur du
rapprochement actuel entre la droite dure et la droite extrême.
« Il me paraît clair que, depuis la ratification du
traité de Maastricht, l’ennemi est le capitalisme financier mondialiste, dont
l’Europe est le cheval de Troie. […] Il me paraît clair aussi que le seul homme
politique qui peut combattre ce système ne peut être qu’un nationaliste.
» Soral écrit ceci en 2007, en parfaite continuité avec ses débuts en politique
en 1993. Mais s’il y a continuité idéologique, la fidélité des engagements
n’est pas son fort. Il claque la porte du FN en 2009, déçu de ne pas avoir été
choisi comme tête de liste en Île-de-France. Il anime alors avec l’humoriste
Dieudonné une liste antisioniste aux élections européennes de 2009 qui connaît
un échec cuisant. Il fonde ensuite le collectif Égalité et Réconciliation afin
« de créer l’union sacrée de la gauche patriote et de la droite anti-financière,
afin d’atteindre le pourcentage électoral qui permettra au peuple de France de
reprendre le pouvoir par les urnes ». Aujourd’hui, il se sert de cette
association comme tremplin pour faire sa publicité et peut-être gagner son
retour au FN en soutenant Marine Le Pen lors de la campagne présidentielle de
2012, mais cette fois en restant à l’extérieur du FN.
Essayons maintenant de déceler ce qui est constant
dans ses écrits, ce sur quoi il insiste. Voyons ce qui se cache derrière la
rhétorique droite des valeurs, gauche du travail.
Mais il doit pour cela pratiquer un double discours
sur le danger de la montée du FN et dénoncer tous ceux qui veulent maintenir le
cordon sanitaire. « En fait, pour qu’il y ait fascisme, il faut qu’il y ait
démocratie — et pour pousser la précision plus loin, qu’il y ait démocratie en
crise et risque de prise du pouvoir par les communistes […]. Dès lors, parler
de menace fasciste dans le monde unipolaire d’aujourd’hui a très peu de sens. »
« Les mêmes qui avaient sponsorisé le fascisme des années 30 ont mis en place,
dans les années 60, un système infiniment moins coûteux et bien plus efficace
pour enlever au peuple toute volonté séditieuse… Et ce système s’appelle
société de consommation. » Nous sommes d’ailleurs en train d’en sortir
avec le démantèlement des conquêtes sociales depuis les années 90. Une vérité
pour deux gros mensonges :
La bourgeoisie ne renonce jamais à la
possibilité de la répression des masses par l’État à son service. Le fascisme n’est pas assimilable à une
simple dictature militaire, il allie le terrorisme d’État à un mouvement de
masse basé sur les éléments déclassés et sur les classes moyennes
fragilisées par la crise, il fait suite à un échec majeur du mouvement ouvrier.
Le fascisme n’est pas un phénomène qui émerge du
jour au lendemain, il a besoin de temps et d’un climat propice pour apparaître.
Aujourd’hui, les capitalistes veulent faire porter aux travailleurs le poids de
la crise économique qui a commencé en 2008. En France, les luttes contre la
réforme des retraites du ministre Woerth n’ont pas réussi à la stopper.
D’autres luttes viendront. Face à la résistance croissante des masses
populaires, une alliance FN-UMP brisant le cordon sanitaire est possible. Elle
inaugurerait une période de restriction stricte des droits démocratiques donc
des possibilités pour les forces de gauche, y compris les syndicats, de
résister aux attaques du Capital contre le Travail. Cette alliance existe déjà
en Françafrique où beaucoup de cadres du FN font leurs premières armes. Elle
existe déjà dans les médias, où le discours du FN est de plus en plus banalisé
grâce aux « intellectuels médiatiques » proches de Sarkozy comme Éric Zemmour
ou Pascal Bruckner.
Son discours soi-disant réconciliateur masque
d’ailleurs assez mal sa haine viscérale contre ceux qui ont efficacement
combattu la domination fasciste : « Un antifascisme désormais sans fascistes »
issu de l’alliance entre gaullistes et PCF pour masquer la « domination du
Capital dans sa forme la plus parasitaire — anti-industrielle et financière. »
À la fin de son livre, Comprendre l’Empire, Soral compare fascisme et communisme pour
mieux défendre les expériences fascistes : « Les opposants sérieux à la démocratie
moderne : du nationalisme intégral de Charles Maurras à la République islamique
d’Iran, en passant par l’Ordre noir de la SS cher à Heinrich Himmler, cette
même tentative de juguler le pouvoir de l’argent par le retour au pouvoir
absolu d’un ordre à la fois militaire et religieux. La seule puissance
militaire, sans le secours du sacré face aux forces de l’argent, conduisant
inéluctablement à la défaite, comme en témoignent les expériences communistes
et fascistes européennes, le panarabisme, le baasisme. » Mais ce genre de
citation révélatrice est noyé dans un flot de diatribes contre le pouvoir des
banques, contre Israël, contre l’impérialisme américain, jamais contre
l’impérialisme français, cela s’entend.
« Pour ceux qui n’auraient pas compris le
raisonnement : il n’existe pas de lobby juif en France, puisque c’est interdit
! » Pour ceux qui n’auraient pas encore compris Soral : le lobby
judéo-maçonnique domine le monde puisque tous les présentateurs télé juifs français
veulent sa peau. Ce qui lui permet d’affirmer qu’il suffirait de changer
d’élite dirigeante (en balayant les juifs pour commencer) pour que tout rentre
dans l’ordre, puisque le système ne fonctionnait pas si mal du temps de l’âge
d’or, à l’époque de De Gaulle. « Il faut que les élites légitimes, patriotes,
françaises reprennent le pouvoir sur ce pays […] refaire une Constitution […]
sortir de l’Europe […] arrêter avec l’euro […] reposer la question nationale et
identitaire intelligemment […] échapper à la dictature du mondialisme financier
» en soutenant l’impérialisme et les bons capitalistes patriotes français…
« Je me souviens de la banlieue populaire des années
60 […] les travailleurs y vivaient en bonne intelligence, et dans le plein
emploi […] Aucun racisme contre les anciens immigrés […] les seuls qui posaient
problème, déjà, c’étaient les Algériens qui se tenaient à l’écart dans la
solitude, la peur, l’islam. » Il fait comme si cette cohésion, cette harmonie
supposée des quartiers populaires étaient organiques au « bon peuple français »
: « Une communauté française dans les faits, la moins raciste du monde puisque
peuplée majoritairement, et jusque-là sans trop de problèmes, d’anciens
étrangers. » Les peuples ont des caractéristiques politiques qui sont comme
inscrites dans leurs gènes : « Le Français a toujours tendance à prendre le
parti du plus faible et de l’humilié. » En bref, la France est la patrie des
droits de l’Homme inscrite dans les gènes des Français et non dans l’histoire
des luttes de classes acharnées pour les droits sociaux et démocratiques. Quid
de la colonisation française, une des plus féroces pourtant (Indochine,
Algérie, etc.) ? Quid de la néo-colonisation en Françafrique ? Quid du travail
du PCF dans les banlieues après 1945 ; peut-être est-ce là qu’il faut trouver
quelque réalité au mythe du « bon peuple français » ? Quid du massacre du 17
octobre 1961 ? Quid des bidonvilles de Nanterre ?
Toute analyse sérieuse d’un discours politique doit
tenir compte de ses références historiques : la Commune de Paris ou le
mouvement boulangiste visant à instaurer une dictature en France en 1888 ? Le
Front populaire ou l’État français du maréchal Pétain ? Le FN, quant à lui,
prétend : « nous ne rejetons rien de ce qui appartient à l’histoire de France
», dixit Le Pen sur France 2 en 1990, pour pouvoir réhabiliter ses vieux mythes
racistes et élitistes, battus en brèche lors de la défaite des nazis en 1945.
Ce discours ne prospère que sur le mensonge et la manipulation des masses. Il
se croit permis de tout revoir : la traite des noirs, la colonisation, les
chambres à gaz, la résistance et la collaboration, etc. Tout revoir, car il
veut faire tourner à l’envers la roue de l’histoire.
Aujourd’hui, prétendre vouloir restaurer l’Ancien
Régime le couvrirait de ridicule, voilà pourquoi Soral met tellement en avant
le modèle gaulliste : un pouvoir présidentiel fort et nationaliste (une France
forte et impérialiste).
« On peut globalement considérer la période
d’après-guerre 1945-1973 comme une période de prospérité et de consensus social
[…]. Un régime d’économie mixte, libéral et social, résultant du programme du
Conseil national de la résistance. » Et pourtant, il a quelques critiques : «
le mythe de la trahison pétainiste et de la Résistance de gauche, profitable
aux deux contractants […] [De Gaulle] avait pactisé par deux fois avec l’Empire
: en 1940, en rejoignant le camp des alliés contre Pétain, puis en 1958, en
achevant de liquider l’Empire français dans l’affaire algérienne. » Soral reprend là deux griefs reprochés à De
Gaulle par quasi toute l’extrême droite française après la Deuxième Guerre.
Selon lui, De Gaulle n’a pas été écarté par le peuple suite aux actions de Mai
68 et du référendum de 1969, mais parce qu’il s’est opposé à l’Empire qui a
manipulé (encore un complot, dont il ne nous dira rien d’ailleurs) pour
l’évincer, car il avait la « volonté de retourner à l’étalon-or » et parce
qu’il a condamné très mollement l’invasion de la Cisjordanie par Israël en
1967. Rappelons tout de même que la 4e République était le meilleur allié
d’Israël et que De Gaulle a continué la politique de livraison massive d’armes
à ce pays, en dépit de son double jeu vis-à-vis du monde arabe.
Sarkozy, l’homme des réseaux, traître à la France,
car l’ayant réintégré dans l’Otan sous domination américaine (c’est uniquement
cela qui dérange Soral). Traître, car ayant ratifié le traité de Lisbonne au
mépris du projet d’Europe des Nations de De Gaulle, « l’abandon de la
souveraineté nationale », contre l’Europe multinationale de la Constitution
européenne. Mais qu’elle soit surtout ultralibérale [sic], Soral n’en dit pas
un mot. Traître à la France, car ayant fait entrer des gens que Soral considère
comme étant de gauche (Kouchner) et des juifs sionistes (Attali et Klarsfeld) :
« Soit en réalité l’union sacrée libérale, atlantiste et sioniste. » Traître,
car il n’a pas assez passé les banlieues au karcher : « Un régime sécuritaire
envers le peuple du travail sans jamais toucher à la délinquance des prédateurs
sous-prolétaires et des prédateurs de l’élite. » Il faut bien lire l’Abécédaire
de Soral, afin de se rendre compte que le modèle gaulliste est une référence
pour lui depuis dix ans.
« Notre intérêt, désormais solidaire de celui de
l’Allemagne, n’étant pas non plus de rembourser une deuxième fois – via l’ONU —
80 % du coût de la guerre du Golfe aux Américains, pour nous avoir fait perdre
tous nos marchés dans la Péninsule arabique. D’autant plus que le but ultime de
cette nouvelle guerre impérialiste est de contrer la suprématie économique
européenne, par la mainmise sur ses futures sources d’approvisionnement en
énergies fossiles. » Soral représente aux côtés des Le Pen, De Gaulle, De
Benoist et autres réactionnaires une tendance de la grande bourgeoise française
qui veut briser l’alliance avec les États-Unis.
Ils sont nombreux aujourd’hui à droite à minimiser
l’impérialisme français au moment même où il redevient agressif : les
événements en Libye, en Côte d’Ivoire et plus récemment en Syrie en sont la
preuve. Tandis qu’à gauche, on fait semblant de ne pas le voir, on dénonce
Sarkozy, qui serait au service de l’impérialisme américain.
Or, l’impérialisme français est loin d’être enterré,
et le grand capital français est tout sauf inféodé aux États-Unis, n’en
déplaise à Soral : « En 1980, parmi les 500 plus grands groupes industriels du
monde, 217 provenaient des États-Unis, 66 du Japon et 168 d’Europe… » En 2008,
la liste du magazine Fortune est la suivante : 140 groupes industriels
américains, 68 du Japon, 37 de Chine et 179 de 18 pays européens. Quel est
l’impérialisme qui se renforce le plus ? De ces 179, 39 sont français et 37
sont allemands. Fortune vient de publier le classement pour 2010 :
États-Unis 139, Japon 71, Chine 46, France 39, Allemagne 37, Grande-Bretagne
29, Suisse 15, Pays-Bas 13, Italie 11, Canada 11, Corée du Sud 10, Espagne 10,
etc. Cette liste est essentielle pour voir les vrais rapports de force
dans le monde ! L’impérialisme français est loin d’être mort et en Europe, allié
bon an mal an à l’Allemagne, il se renforce. En fait, à deux (malgré des
désaccords bien sûr, la rivalité ne s’interrompt jamais), ils se complètent
pour dominer la politique européenne. L’axe Paris-Berlin voulu par Mitterrand
et Kohl, initié par De Gaulle, est toujours vivace. Que l’on pense par exemple
aux coups de force du couple Sarkozy-Merkel pour imposer l’austérité à tous les
pays européens.
« Grâce à Zemmour, on a à nouveau le droit d’aimer
son pays […] je l’aime bien […] il y avait des juifs à l’Action française qui
montraient leur amour de la France en se convertissant au catholicisme, pour
montrer qu’il n’est pas dans la double allégeance […] être juif, c’est pas
seulement une religion, c’est aussi un peuple, une nation avec Israël […] si on
aime la France comme il l’aime, on doit faire comme Marcel Dassault, comme
Michel Debré, on doit se convertir au catholicisme […] qu’il aille jusqu’au
bout de son assimilation, puisque lui aussi est un métis, un immigré, faut pas
oublier, il vient du Maghreb, il est issu d’une double culture. » Vous avez
bien lu, l’important c’est de soutenir l’impérialisme français. Le but de Soral c’est de remplacer les
élites mondialistes donc amorales et antifrançaises par de vrais
Français nationalistes et catholiques. Pour rappel, Debré était ministre
sous De Gaulle et Dassault, un puissant capitaliste du complexe
militaro-industriel français. Alain Soral demandera-t-il la même chose aux
jeunes musulmans qu’il fait semblant de chérir ? L’Islam ou la France, il faut
choisir !
Soral
essaie de manipuler les sympathies pro-palestiniennes et anti-israéliennes pour
défendre un renouveau de l’impérialisme français nationaliste et conquérant.
Lorsque Soral s’en prend au sionisme, nombreux sont ceux qui pensent qu’il
attaque Israël, ce qui n’est pas tout à fait vrai : il en veut aux élites
juives apatrides et cosmopolites : « Finalement, les sionistes essaient
d’exister : une nation comme les autres […] je préfère cent fois les sionistes
à ce genre d’antisioniste juif [comme Chomsky] ce qui les gène dans le sionisme
[israélien] c’est que ça rabaisse le cosmopolitisme juif d’élite qui est chez
lui partout comme le dit bien Attali […] si on était resté au projet de Herzl
où les juifs pourraient vivre en tant que nation sans renouer avec le projet
biblique qui est un projet de domination mondiale et mondialiste, je
serais le premier des sionistes, car j’estime tout à fait sain qu’un juif
veuille exister en tant que nation. »
On comprend mieux pour qui roulent vraiment
Alain Soral et Marine Le Pen. Le FN fait en quelque sorte une offre aux grands
patrons : « Nous sommes forts, lâchez l’UMPS pour une France forte, alliée à
l’Allemagne, protectionniste et impérialiste, choisissez le FN, allié à la
droite de l’UMP. » D’où les appels du pied en direction de la droite de l’UMP
et la droitisation de l’opinion savamment orchestrée par les médias. Les grands
patrons font leur marché quand ils choisissent de soutenir telle ou telle
tendance politique en fonction de leurs besoins du moment. Et aujourd’hui, ils
ont de plus en plus besoin de museler les syndicats pour faire passer des
réformes antisociales dont l’ampleur est inégalée. La social-démocratie et la
droite classique manquent d’efficacité pour réprimer le mouvement ouvrier : la
droite dure, décomplexée n’aura pas peur de s’attaquer aux droits
démocratiques.
Soral : « seul le retour aux vieilles valeurs
morales : respect des anciens, de la hiérarchie et de la parole donnée, sens de
l’honneur et du beau, goût du rituel… peuvent produire une politique sociale.
[…] Une alliance de l’honneur et du producteur. » Comme Sarkozy, Soral ne veut
pas en finir avec le capitalisme, il veut le moraliser : il y aurait un « bon »
et un « mauvais » capitalisme, à savoir, les capitalistes industriels patriotes
contre les capitalistes financiers mondialistes. Encore un mythe… Soral ne dénonce pas le capitalisme en tant
que tel, mais le capitalisme usuraire, le prêt à intérêts. Il suffirait
donc de remettre les banquiers à leur place en réinvestissant l’État de ses
droits entre autres régaliens comme le droit de battre monnaie, ainsi que le
suggère Marine Le Pen.
Selon Soral, « La Banque devient ainsi propriétaire
de tout, sans jamais rien produire, et avec de la fausse monnaie pour seule
mise de fonds ! Nous touchons là à ce que nous pouvons appeler à la fois le
génie et le vrai secret bancaire. » Qui n’a été un secret que pour lui, il se
révèle donc n’être qu’un vulgaire keynésien (Hitler aussi, tout comme
Roosevelt, était keynésien). Cette analyse n’a donc rien de neuf, ni de
marxiste, encore moins de révolutionnaire. Ah ! Nostalgie des temps glorieux où
l’État pouvait se prêter à lui-même à taux zéro (et donc faire grimper l’inflation
qui ruine le bon petit peuple et engraisse les banques… Soral lui-même
reconnaît que le pouvoir politique a plus d’une fois fait un usage abusif de la
planche à billets). Pas une seule fois d’ailleurs, il ne pose la question
essentielle du caractère de classe de l’État. [...]
Soral aime mettre en exergue le club du Siècle comme
preuve du grand complot de la « Banque ». Mais un examen attentif de la liste
des participants aux dîners du Siècle de janvier 2011 montre que sur les 131
hommes d’affaires présents, il y a autant de représentants des banques que
d’entreprises industrielles ou de services. Il y a surtout ceux issus de grands
groupes d’investissements financiers dont les activités sont multisectorielles,
tels Lagardère, Aforge, le groupe Arnault (la société holding de Bernard
Arnault, le quatrième homme le plus riche de la planète) ou encore LBO France.
Qui n’a pas entendu parler du dîner du Fouquet’s du 7 mai 2007, le lendemain de
l’élection de Sarkozy ? On pouvait y voir le gratin des capitalistes
français venus féliciter leur poulain qu’ils avaient réussi à faire élire : les
Arnault, Bolloré, Bouygues, Dassault, Decaux, Frère et bien d’autres. Ce sont
ces hommes qui dirigent la politique française dans l’ombre du gouvernement.
Les portefeuilles d’actions de ces capitalistes montrent plutôt une imbrication
complète entre capital financier et industriel et non la domination de l’un sur
l’autre.
Voilà pour le sérieux de la « méthode » Soral. Après
ça, il lui est aisé de nous faire prendre des vessies pour des lanternes… de différencier
les « bons » capitalistes des « mauvais ».
Toute tentative de mettre fin à l’exploitation de
l’homme par l’homme serait-elle illusoire ? « Criminelle ! » répond Soral : «
Des deux révolutions du 20e siècle, la surréaliste et la communiste, que
reste-t-il ? L’une a changé les objets de décoration sur les murs des
bourgeois, l’autre notre arrogance quant à la possibilité de changer le monde
autrement que sur le plan esthétique. Révolution futile selon l’ordre du désir,
révolution ratée selon l’ordre de la production, deux échecs qui nous forcent à
réfléchir sur les pièges jonchant le dur chemin qui mène à l’homme nouveau.
»
Soral défend une dialectique des équilibres entre
dominants et dominés, ponctuellement rompus, mais toujours restaurés par une
nécessité hissée au rang de loi de la nature. On est chez lui confronté à une
vision cyclique et fataliste de l’histoire : il n’y a pas de progrès, c’est
l’éternel retour de la domination. Rien de nouveau sous le soleil, il y a
toujours eu des riches et des pauvres : « Les hommes ont des idées et ils sont
obligés de vivre ensemble. Doués d’imagination par la fonction symbolique, mais
aussi d’expression par le langage, ils sont portés par leur nature à discuter
la Loi […] quelle que soit la puissance de la révélation, toute religion […]
est-elle contrainte de justifier la Loi par la logique. Introduisant de fait,
comme le ver dans le fruit, la raison dans la foi… C’est ce moment de
basculement » qui de manière répétée renverserait les anciennes élites pour en
instaurer de nouvelles, portées par une foi tout aussi nouvelle, jusqu’à ce que
le cycle recommence. Pas de progrès donc : éternelle domination des élites sur
les masses, éternelle, car naturelle.
Soral
ne veut donc pas mettre fin à l’exploitation. Cette dernière serait dans
l’ordre naturel des choses. « La démocratie n’a jamais existé
[…] Seule différence avec l’ancienne version antidémocratique d’avant 1789 ? Le
privilège de pouvoir être exploité par un ancien pauvre. » « Esclaves noirs,
serfs blancs, prolétaires… Le mensonge que les Afro-Américains ont subi en
passant du sud au nord après la guerre de Sécession est à peu près le même que
celui que subirent les serfs en passant du servage au prolétariat, après la
Révolution. Mensonge démocratique recouvrant l’éternelle exploitation des
humbles. »
Il ne s’agit pas non plus de transformer la société,
puisque c’est impossible : « il est intéressant de remarquer que de tout temps,
sous tous les régimes : Égypte pharaonique, démocratie grecque, brahmanisme
hindou, monarchie catholique… une oligarchie d’à peine 1 % de la population a
toujours commandé à la masse des 99 % restants ; comme une meute de loups
dominant un troupeau de moutons. »
Pour Soral, il n’y a que des élites qui se battent
entre elles (par petit peuple interposé et qui prend les coups) pour s’emparer
de la machine de l’État, des médias, de l’appareil industriel, etc. Tout ça n’a pas grand-chose à voir avec
Marx, car il n’y a pas de classes pour Soral, il n’y a que les élites et les
masses ; l’occasionnelle référence à des luttes de classes n’est qu’un artifice
de langage pour défendre la théorie du grand complot, des intrigues entre les
élites pour la conquête du pouvoir. Des pouvoirs pour être précis : économique,
étatique, médiatique, etc. La prise du pouvoir n’est qu’un remplacement par des
élites plus jeunes, plus vertueuses et spartiates (c’est ce qu’il admire dans
la combativité des sionistes…) des plus anciennes, dégénérées, empêtrées dans
leurs contradictions.
Il n’a que mépris pour les ouvriers. À leur propos,
il tient le même discours que le MEDEF : « Les 35 heures ne sont pas seulement
un symbole de gauche, c’est-à-dire une mesure de gauche inefficace […]
l’application des 35 heures pénalise systématiquement les PME au profit des
multinationales […]. Pour les minables qui font forcément un travail de merde,
les petits salariés pour qui aucune perspective ni aucun épanouissement ne peut
plus venir d’un travail aliéné à l’extrême, moins de travail et toujours aussi
peu d’argent ; soit l’espoir de rester de plus en plus longtemps à la maison
devant la télé. »
Ils sont les éternels perdants. « Je les respecte
parce qu’ils font tout le boulot », dit-il, mais il tient surtout qu’ils
restent à leur place : bosser pour entretenir les « producteurs de concepts »,
les parasites comme Alain Soral (comme il se définit lui-même d’ailleurs) : «
Adolescent […] j’avais pour projet de ne rien faire, juste échapper le plus
possible à l’impératif de production pour passer ma vie au café, à discuter et
à regarder les filles. » « En contemplant l’Histoire avec un peu de sérieux, on
constate que le but permanent du genre humain fut toujours d’échapper au
travail. »
Sa
conception du travail est celle de toutes les classes d’exploiteurs avant la
Révolution industrielle : une conception de parasites, le travail vu uniquement
et toujours comme avilissant, comme une déchéance. Conception aristocratique
héritée de l’Antiquité grecque, selon laquelle l’homme libre est par définition
un combattant ou un intellectuel, libéré de l’obligation de travailler parce
qu’il possède des esclaves pour le faire à sa place. Pas étonnant qu’il estime
un pouvoir fort nécessaire, sinon comment faire bosser ces fainéants de
prolétaires ? « Le goût du travail bien fait, c’est
la dignité de l’Homme. Un sens de l’excellence et du devoir gangrené par un
détournement de la lutte des classes devenue alibi de la paresse et du
sabotage. Un certain parasitisme syndical. »
L’abolition de l’esclavage et du servage grâce aux
luttes des paysans contre leurs seigneurs ; la Déclaration des droits de
l’Homme en 1789 ; les conquêtes du mouvement ouvrier comme la fin du travail
des enfants, le suffrage universel, les contrats de travail, la loi sur les
huit heures, les libertés syndicales, la sécurité sociale ; la révolution
d’Octobre, les États socialistes ; les indépendances des pays colonisés : tout
ça n’existe pas dans le discours de Soral.
Pour Soral, le rôle des masses devrait donc se limiter à soutenir de nouvelles élites plus vertueuses et plus solides face à
la « Banque, [contre] l’Empire. Leur triomphe [des grands hommes] passant
toujours et nécessairement par l’appui, la constitution de réseaux ». D’où les
intrigues et les complots qui, à la mesure du renforcement de la cohésion et de
l’influence de ceux-ci, donnent la victoire. Ils sont « la condition sine qua
non de toute prise de pouvoir… » Ceux qui rêvent que Soral voudrait faire un
patient travail d’organisation, de conscientisation et de mobilisation des
travailleurs pour rendre cette société plus juste en seront pour leurs frais.
Non, lui et ses semblables veulent être
califes à la place du calife : virer BHL et DSK car ce sont des juifs sans
morale, parce que juifs. Tandis que lui et Le Pen seraient vertueux, parce que
chrétiens et français authentiques…
Soral
remet au goût du jour les théories organicistes sur la société de Maistre,
Bonald et Burke, inventées au début du 19e pour s’opposer à l’universalisme
républicain, enfant de la Révolution française.
La société moderne serait absurde, elle rompt les équilibres naturels. Elle est
donc vouée à disparaître « par un châtiment du sens. C’est juste une question
de temps… Car tout système de domination [doit posséder] sa justification
transcendante dans l’ordre symbolique […] aucun ordre absurde ne saurait être
durable. » Ou pour le dire autrement : toutes les sociétés complexes ont besoin
d’ordre, donc de hiérarchie. Et qui dit hiérarchie, dit inégalité. Mais cette
inégalité doit être fondée sur un discours qui semble légitime et basé sur une
relation de réciprocité. Soral aime prendre à ce propos l’exemple de l’Ancien
Régime basé sur trois ordres : ceux qui travaillent, ceux qui prient et ceux
qui combattent et protègent. Il ne dit rien évidemment des impôts et corvées
exorbitants exigés des paysans par l’Église et les seigneurs, ni que ces
derniers décidaient seuls des lois et maintenaient le peuple dans une ignorance
crasse. Ce n’est pas plus un « châtiment du sens » qui a mis fin à ce système,
mais bien les soulèvements paysans et la Révolution française.
Lorsque Soral fait semblant de dénoncer le discours
stigmatisant des médias à l’encontre des musulmans, il ne prône pas l’unité des
travailleurs contre l’exploitation capitaliste. Non, tout progressiste se
réduit à ce qu’il appelle « Des antiracistes gauchistes toujours
immigrationnistes, par haine des peuples enracinés. Mais, désormais
antiislamistes, au nom de la défense de la laïcité. Tout cela voulu bien sûr
par la toute-puissance de plus en plus visible du lobby sioniste […] une
obscénité communautaire parfaitement illustrée par la prosternation générale du
personnel médiatique et des instances républicaines, président de la République
en tête, à l’annuel dîner du CRIF… » L’enjeu n’est donc pas d’unir les
travailleurs, mais tous les vrais Français contre les dangers plus ou moins
fantasmés du « mondialisme ». Bref, tout comme le FN, il vend aux capitalistes
un discours et des méthodes de défense de l’ordre capitaliste qui seraient plus
efficaces contre les mouvements sociaux que ceux de l’UMP et du PS.
Il veut nous resservir le vieux rêve fasciste d’un
État fort et ultranationaliste afin d’abolir la lutte des classes sans mettre fin
à la division de la société en classes et à l’exploitation : « Un luttisme de
classe ne pouvant être contré, dans notre société bourgeoise de l’immanence et
du profit, que par la solidarité nationale en remplacement de l’ordre divin.
»
Soral développe une théorie du grand complot comme
moteur de l’histoire, l’action des réseaux de pouvoir en lieu et place de la
lutte de classes : « La lutte du grand capital mondialiste, manipulant et finançant
les révolutionnaires professionnels issus de la bourgeoisie cosmopolite […]
pour empêcher la jonction populaire, elle authentiquement révolutionnaire de la
petite bourgeoisie et du prolétariat national […] étant l’histoire cachée du
mouvement ouvrier. » Sa preuve ? Le ralliement au libéralisme de toute la
gauche à partir des années 1970, qui coïnciderait avec la fin de la bourgeoisie
nationale.
Résultat ? « La destruction finale de la classe
moyenne – productive, lucide et enracinée — correspondant au projet impérial de
liquidation de toute insoumission au Capital, par essence apatride. » Les
compromissions répétées des sociaux-démocrates avec l’ordre bourgeois, la
désertion du combat anticapitaliste par le PCF : tout cela ne serait que le
produit d’un grand complot de la « Banque », concocté il y a plus d’un siècle
et dont les « maîtres du monde » auraient prévu toutes les étapes. La
révolution d’Octobre en Russie et la chute du mur de Berlin ; tout aurait donc
été goupillé à l’avance ? Tous les enchaînements de l’histoire devraient donc
aboutir au « règne de la finance américaine sur le reste du monde, à travers la
création de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. L’Empire. »
Il y avait donc un plan de domination au départ…
Toute cette longue, pénible et délirante
démonstration, pour en arriver finalement à prôner comme alternative : le
ralliement du monde du travail à l’impérialisme français contre le grand
complot mondialiste américano-atlanto-judéo-maçonnique.
Tout le discours de Soral sur la réconciliation de
la droite des valeurs et de la gauche du travail masque mal que son véritable objectif est de réhabiliter
le fascisme. Son rôle dans le jeu politique français : ratisser large,
rallier un électorat d’origine immigrée, et ce, malgré la campagne anti-islam
de Marine Le Pen, rallier des jeunes déçus des inconséquences d’une gauche qui
se renie et est toujours plus libérale [sic]. L’objectif ? Un succès électoral
pour le FN en 2012, ce qui accélèrerait le rapprochement UMP-FN. Le tout afin
d’aboutir à une fascisation de l’État français qui fortifierait l’impérialisme
franco-allemand, libéré de son alliance et de sa sujétion à l’impérialisme
étasunien.
Le prolétariat se constitue de ceux qui survivent en
vendant leur force de travail aux capitalistes possesseurs des moyens de
production. Ils sont les producteurs de toutes les richesses et n’ont pourtant
le droit de rien dire sur comment faire tourner la société. Le marxisme donne
justement les clés pour sortir de cette soumission, il offre une perspective
aux luttes éparpillées.
Que pense Soral du mouvement ouvrier ? « Classe
potentiellement révolutionnaire de petits salariés incarnant le pouvoir réel,
mais dénués de toute subjectivité subversive d’un côté ; classe
traditionnellement révoltée, mais sortie de l’Histoire en même temps que de la
production concurrentielle ou de la production tout court, de l’autre… »
Que pense-t-il du marxisme ? « Le marxisme a
rencontré le problème de toutes les sciences humaines, qui est de ne pas être
tout à fait exactes. […] Quoi qu’il en soit, les 10 % qui séparaient au départ
Dieu de Marx (le second après Dieu) se mesurent à l’arrivée par l’écart entre
le “socialisme réel” et le paradis ! » Assez tôt dans son livre Contre
l’Empire, il doit quand même évoquer l’expérience de la construction du
socialisme en URSS pour mieux pouvoir évacuer la seule tentative réussie d’une
alternative anticapitaliste : « Le communisme soviétique étant, en théorie, la
tentative de mettre hors d’état de nuire la domination oligarchique et privée
de l’argent, par la socialisation intégrale des moyens de production sous
contrôle public de l’État ». Une épopée qu’il qualifie de « juive en haut pour
la volonté de domination, chrétienne en bas pour l’espoir de partage ». Il réhabilite la vieille rengaine fasciste
du complot judéo-bolchevique de domination mondiale. Encore une fois, le
bon petit peuple (russe orthodoxe) a été manipulé par des élites (juives).
Il s’agit bien d’une attaque en règle contre le
mouvement ouvrier révolutionnaire et les expériences des pays socialistes. Il
lui faut dénigrer les expériences de construction du socialisme, tentatives de
réaliser une société sans classes, pour pouvoir mieux défendre son modèle fasciste d’une société qui maintiendrait
l’exploitation, mais avec la maigre consolation d’être dominée par une nouvelle
élite autoproclamée plus vertueuse que l’ancienne. Avec un tel discours, il
est donc tout à fait « politiquement correct » ! Il hurle en chœur avec tous
les anticommunistes de la gauche sociale-démocrate à la droite UMP qu’il n’y a
rien à tirer de l’expérience des pays socialistes.
Contre
Marx, Soral défend Proudhon, Bakounine et Sorel,
« Une société mutualiste de petits producteurs […] Une société aux antipodes
aussi bien du socialisme marxiste-léniniste que du capitalisme bourgeois, tous
deux fondés sur la fuite en avant technicienne, l’extrême division du travail
et le salariat généralisé au service d’un État-patron (pour le socialisme) et
d’un Patron-État (pour le capitalisme), ce qui revient au même… » Soit le socialisme
utopique contre le socialisme scientifique. Nous avons vu qu’il repousse
l’utilisation de la méthode scientifique pour l’étude des sociétés. C’est la
volonté contre la science, les mythes sont censés remplacer les faits, car
l’histoire ne serait qu’une construction idéologique de l’élite des vainqueurs,
de ceux qui ont le pouvoir. Tous les fascistes sont antimodernes, Mussolini aussi citait Proudhon et Sorel.
Les nazis aussi ont flatté la paysannerie et le petit-bourgeois allemand avant
de donner tout le pouvoir aux géants industriels.
Le prolétariat est sans volonté propre ; toute
tentative d’émancipation est illusoire ; l’exploitation et la division en
classes ont toujours existé ; les masses sont toujours manipulées ; il n’est
pas possible d’être objectif et scientifique en étudiant l’histoire… Qui donc
est servi par un tel discours ?
Aujourd’hui, il n’y aurait plus de danger fasciste ;
il y a des élites perverses et des élites vertueuses ; il y a des bons et des
mauvais capitalistes ; ce qu’il nous faut c’est un État fort ; nous devons tous
nous rassembler derrière la bannière tricolore… Quelle classe un tel programme
défend-il ? Oui, c’est vrai, le fascisme s’est toujours posé en alternative au
libéralisme. Mais il n’ambitionne nullement la fin de l’exploitation
capitaliste.
L’impérialisme allemand et français est
provisoirement allié à l’impérialisme américain pour faire face à la montée en
puissance de la Chine, perçue comme une menace contre l’hégémonie étasunienne.
Certains fascistes comme Soral estiment que l’Allemagne et la France doivent se
détacher du lien atlantique et se constituer en superpuissance : c’était le
projet de De Gaulle. Une telle option ne pourra se faire qu’au prix de lourds sacrifices
payés par les travailleurs. Mais cela importe peu aux fascistes comme Soral,
seule compte la grandeur de la France des capitalistes.
Les fascistes ont toujours vendu leurs services aux
capitalistes, prétendant qu’ils étaient plus efficaces que les partis démocratiques
pour mater le mouvement ouvrier : « J’aime Le Pen pour ça […] Ce sont encore
des hommes […] toutes ces merdes du système UMPS […] J’aimerais bien voir le
jour où ça va péter dans la rue, comment ils vont se comporter […] moi je suis
prêt déjà à ça, pas eux. » Alors que de grandes luttes sociales s’annoncent
pour contrer l’austérité voulue par l’Europe des patrons, Soral et ses
semblables sentent que leur temps est venu.
La réponse de la vraie gauche à la crise générale du
capitalisme qui s’abat contre le monde du travail doit combattre le fatalisme
entretenu par les médias bourgeois. Les soi-disant vérités sur les pays
socialistes, sur les révolutions et les luttes qui ne changent rien, sur les
boucs émissaires de la crise, tout cela est une construction idéologique
empruntée par Soral au discours dominant de la bourgeoisie. Il prospère sur le
fumier de La barbarie à visage humain
de Bernard-Henri Lévy, sur les provocations racistes d’Éric Zemmour, sur le
discours au karcher de Sarkozy.
Soral refuse aux opprimés toute initiative propre,
toute velléité de sortir de leur condition d’exploités, tout rôle dans
l’histoire. Or, Marx a démontré que c’est la lutte des classes qui est un des
principaux moteurs de l’histoire. Et les faits ont démontré que les ouvriers
étaient capables de prendre leur sort en main : pour sortir les enfants des
mines, pour augmenter les salaires, pour ne plus travailler comme des forçats,
pour se syndiquer et même prendre le pouvoir et tenter de construire le
socialisme en URSS.
« Tout indique qu’un long processus initié au 18e
siècle par une oligarchie bancaire mue par l’hybris de la domination approche
de son épilogue. Ce Nouvel ordre mondial […] un gouvernement mondial sur les
décombres des Nations. Cette oligarchie spoliatrice […] nomade aux procédés
sataniques menant le monde à cet “âge sombre” décrit par la Tradition. 2012 :
soit la dictature de l’Empire ou le début du soulèvement des peuples. La
gouvernance globale ou la révolte des nations. » 2012, échéance de l’élection présidentielle
en France, voilà le moment où tout peut basculer. Les capitalistes n’ont qu’à
bien se tenir, ils en tremblent déjà…
« Révolte des nations » contre l’ « Empire de la
Banque » ? Ce qui se cache derrière cette fumisterie, c’est le projet fasciste
de restaurer la « grandeur » de la France, alliée à l’Allemagne pour défier les
États-Unis et soumettre les pays du tiers monde. Ce projet impérialiste sert
les intérêts du grand capital français et leur propose la constitution d’un
État fort et militariste sur les ruines de la sécurité sociale. Les
travailleurs n’ont rien à gagner à suivre un tel programme. C’est ici qu’il
faut être clair sur ce que l’on veut : soutenir l’impérialisme européen contre
l’impérialisme américain ? Ou soutenir les luttes des travailleurs et des
peuples opprimés contre tous les impérialismes ?
Ne laissons pas des Soral falsifier encore plus
l’histoire que la bourgeoisie ne l’a déjà fait. La constitution d’un large
front anticapitaliste et antifasciste nécessite pour être efficace que les
organisations ouvrières en prennent la tête. Cela passe aussi par la lutte
idéologique contre la pensée unique et contre cette fausse alternative qu’est
le fascisme, car elle est le plan B de la bourgeoisie pour soumettre par la
force le mouvement ouvrier. Si elle s’imagine qu’on va la laisser faire… »
-Arnaud Staquet, La « pensée » d’Alain Soral :Révolution ou réaction ?, Études
marxistes, Revue n° 97, date de publication: 2012-06-16.
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