jeudi 2 juin 2016

Le fascisme vu de gauche : Analyse du cas Alain Soral


C’est en 1964 que le théoricien traditionnaliste et pro-mussolinien Julius Evola faisait paraître son essai, Le Fascisme vu de droite. Introduit en France notamment par la Nouvelle Droite d’Alain de Benoist, le fasciste italien alimente désormais la propagande idéologique de M. Alain Soral, par l’intermédiaire de son site internet.

Quoi de plus pertinent que de détourner le titre d’origine pour baptiser l’analyse du discours soralien, lorsque celle-ci provient de son ancienne famille politique, je veux dire le camp communiste ?


Ce choix de publication n’est bien sûr pas sans ironie, et on n’attendra pas du lecteur qu’il suive M. Arnaud Staquet dans son désir de « sauver » quelque chose de l’expérience du « socialisme réel » (soviétique). Il n’en reste pas moins que sa description de l’idéologie soralienne vise souvent juste, et qu’elle la révèle pour ce qu’elle est, un néo-fascisme français, une hostilité viscérale à la démocratie libérale qui ne se traduit pas, au grand regret de M. Staquet, par une adhésion à l’antilibéralisme de type marxiste (bolchevik).

Post-scriptum: les notes de l'article d'origine ont été supprimées.

« Alain Soral est un essayiste français proche du FN, sans en être membre. Il soutient la candidature de Marine Le Pen pour la campagne présidentielle. Son dernier livre s’est vendu à 28 000 exemplaires, ce qui constitue un succès modéré. Ses lecteurs sont des jeunes et beaucoup sont d’origine immigrée. Il suffit pour s’en convaincre d’aller voir les commentaires sur ses sites.
Avec l’aide de Dieudonné, Soral tente de rallier aux idées d’extrême droite un public qui ne lui est traditionnellement pas attaché : de jeunes Français issus de l’immigration qui aspirent à bac + 3.
La croissance basée sur l’endettement des années 1990 et 2000 a fait place, depuis la crise de 2008, à une précarité accrue touchant les plus démunis, mais aussi, et c’est nouveau, les classes moyennes. Et notamment une partie des jeunes salariés issus de milieux populaires qui ayant fait des études plus poussées que leurs parents, pouvaient prétendre à des emplois mieux rémunérés et protégés. Soral s’adresse à ces jeunes qui, ayant terminé leurs études ou non, voient leur avenir en berne. L’ascenseur social est en panne et la colère gronde. Pour ceux dont les parents sont immigrés, la situation est pire encore, car ils doivent aussi faire face à la discrimination raciste.
Cette légitime colère ne sera payante qu’en ciblant les vrais responsables de la crise : le grand capital. Elle ne sera efficace que si elle se lie au mouvement ouvrier. Mais c’est là que le bât blesse… Les partis de gauche en France, comme le PS, ne remettent pas en question la domination des financiers. En politique étrangère, il y a unanimité à gauche pour le soutien à l’impérialisme français en Libye et en Syrie.
Le PS ne dénonce pas la politique d’apartheid de l’État d’Israël contre les Palestiniens. Et pour couronner le tout, nombreux sont ceux, à gauche, qui s’associent au discours stigmatisant l’islam au nom de la défense de la laïcité républicaine.
L’objectif de Soral est de rallier un électorat jeune, déçu de la gauche et d’origine immigrée. Pour l’heure, il travaille sur le terrain idéologique afin de former de futurs cadres de la droite extrême, capables d’encadrer les quartiers des banlieues populaires. Il se présente d’ailleurs lui-même comme un « producteur de concept », un idéologue en somme.
Mais comment réussir le tour de force de rapprocher du FN des petits enfants français des premiers immigrés algériens qui ont connu le FLN et la décolonisation ? Le FN est dirigé par Marine Le Pen, soit la fille spirituelle et biologique du père, lieutenant parachutiste, engagé volontaire en Algérie pendant la guerre d’indépendance pour maintenir l’empire colonial français ! Soral est d’ailleurs, quoiqu’il s’en défende, un nostalgique de la grandeur coloniale de la France : « Plus je vois la merde noire (corruption, intégrisme, généraux…) dans laquelle l’Algérie s’enfonce un peu plus chaque jour, plus je découvre en images que les seules choses qui tiennent encore debout là-bas (infrastructures, urbanisme…) sont celles que la France coloniale y a construites, plus je me dis que leur seul espoir, c’est qu’on y retourne. » Ce n’est certes pas un tel discours qui peut convaincre…
Mais il est beaucoup plus séduisant chez Ardisson lorsqu’il dénonce le discours des médias sur les « islamo-violeurs des banlieues » à propos des tournantes au bas des immeubles. Il y affirme que « les musulmans violeurs ça n’existe pas, soit on est un violeur et on est un délinquant, un sous-prolétaire américain d’imitation […] soit on est un mec qui est dans la religion et on ne viole pas ».
Soral est un adepte du discours sur la perte des valeurs dans la société : « les films pornos qui ne leur donnent pas une image très respectable de la femme occidentale […] la misère sexuelle, elle est pour les garçons de banlieue […] il y a toujours la possibilité pour la jolie beurette de se sortir de la banlieue en allant proposer ses fesses dans les boîtes de nuit. »
Il apparaît comme un défenseur de l’islam lorsqu’il répond à une interview du plus important site Internet musulman d’expression française Oumma.com : « Oui, le piège du rap, tendu par les médias du pouvoir pour pousser le Franco-Maghrébin à s'identifier au noir américain du ghetto […] la culture musulmane produit des hommes élevés dans des valeurs. »
Il se présente comme un rebelle « antisystème », dénonçant un complot des élites, toujours en des termes vagues d’ailleurs. Morceau choisi : « Tout le pouvoir, c’est les réseaux […] c’est l’oligarchie bancaire qui coopte des gens en leur faisant comprendre qu’ils auront leur part du gâteau s’ils participent au projet de domination […] on voit bien qu’au Siècle il y a tout ce monde-là, c’est les gens qui participent au pouvoir, c’est-à-dire les élites […] on est dans le monde de l’hyperclasse mondialiste. »
Il veut dénoncer la domination des banques et de la finance internationale tout en sauvegardant le capitalisme. Il n’attaque jamais la mondialisation capitaliste, mais bien le mondialisme : « Le mondialisme n’est pas la mondialisation. […] Le mondialisme est un projet idéologique […] qui travaille à la mise en place d’un gouvernement mondial et à la dissolution de toutes les nations du globe en une seule humanité. […] la mondialisation – processus d’échanges dus au progrès technique — pourrait tout aussi bien se satisfaire d’un monde multipolaire fait de nations pratiquant un protectionnisme réciproque et raisonné."
Soral s’en prend toujours à l’impérialisme américain et à son allié sioniste, ce qui plaît : « on cherche à obtenir des gens dans les médias un soutien inconditionnel à Israël […] si t’es antisioniste ou judéocritique, tu dégages. » Pourtant, il ne parle jamais de l’impérialisme français. Il veut d’ailleurs occulter tout bilan, toute réflexion sur le passé colonial français : « la culpabilisation du peuple de France qui n’a rien à voir avec la Collaboration […] l’antisémitisme », ni avec l’esclavage et la colonisation. Il ne faut plus en parler, car ça entretient la « haine de la France ».
Lorsqu’il condamne l’hypocrisie du PS et de l’UMP qui tiennent un discours de défense des droits de l’homme tout en soutenant Israël et les interventions en Libye et en Syrie, il fait mouche : « Le droit-de-l’hommisme est, aujourd’hui, le bras armé idéologique du mondialisme. »
Il présente l’élite au pouvoir en France comme étant au service du sionisme : « Bernard-Henri Lévy, qui défend les intérêts israéliens, a donné l’ordre à l’armée française, au-dessus de Juppé, qui n’était pas très chaud pour y aller, de déclarer la guerre à la Libye sans recourir à un vote du parlement. » Selon lui, il fallait pour Israël avoir une « présence militaire impériale proche des frontières de l’Égypte […], car si les frères musulmans et l’armée égyptienne s’entendent, le blocus de Gaza c’est fini ». En attendant, les entreprises françaises, surtout Total, ont de beaux jours devant elles en Libye, les frères musulmans ont gagné les élections, quant à Gaza…
Il faut lire l’allocution de Soral prononcée à Villepreux le 2 novembre 2008 sur « Le politiquement incorrect comme idéologie de résistance au mondialisme » pour bien comprendre comment il s’intègre dans ce vaste courant de la critique d’extrême droite qui substitue au discours anticapitaliste et anti-impérialiste, un discours sur les valeurs : « Le politiquement incorrect n’est en rien un inutile jeu de provocations. C’est, même […] la doctrine de résistance au mondialisme. […] nous pouvons, nous nationaux, en tant que seuls critiques efficients […] devenir les maîtres à penser de demain et incarner, nous et nous seuls, le renouveau du Génie français ! ». Cette nouvelle élite, nourrie au biberon de la pensée Nouvelle droite pour diriger la France de demain en occupant le terrain déserté par la gauche.
Tout comme Marine Le Pen, Soral aime entretenir la confusion politique en parlant alternativement du système UMPS et de la résistance au mondialisme. « J’aime certains gars de banlieues pour ça, j’aime Le Pen pour ça […] Ce sont encore des hommes […] toutes ces merdes du système UMPS […] J’aimerais bien voir le jour où ça va péter dans la rue, comment ils vont se comporter […] moi je suis prêt déjà à ça, pas eux. » Cette saillie provocatrice, mêlée de fanatisme et de culte du surhomme pourrait prêter à sourire. Elle est néanmoins typique du personnage et du fond de ses idées politiques. Lorsque ça va « péter » comme il dit, on peut se demander si lui et ses copains du FN seront du bon côté, ou s’ils joueront, comme toute l’histoire l’a montré, le rôle de gardiens du capitalisme, de bourreaux du mouvement ouvrier. En attendant, ce côté rebelle contestataire et prêt à en découdre plaît à des jeunes qui se trompent de colère.
Alain Bonnet de Soral est né le 2 octobre 1958 à Aix-les-Bains. Il se présente comme suit : « Je suis donc un atypique, fils de bourgeois déclassé, ayant passé son enfance au milieu des communistes dans une cité-dortoir, mais allant au collège Stanislas […] comme la plupart des marginaux que je croise dans les squats et autres lieux alternatifs qui me permettent de survivre et d’échapper au salariat. […] J’ai toujours été un fervent patriote […]. Mon virage vers le communisme et le PCF […] je m’essaierai, toujours pour survivre, au journalisme et à la publicité. […] nous faisons campagne pour le “non” à Maastricht… Une campagne pour le non où PCF et FN se retrouvent dans le même camp… […]. »
Nous sommes alors en 1993, après la chute du socialisme en URSS. Le PCF, comme nombre de partis communistes européens, est en pleine débâcle. Soral, estimant sans doute qu’il a misé sur le mauvais cheval, entame un tournant qui l’amènera en 2005 à adhérer au Front national de Jean-Marie Le Pen. En novembre 2007, il devient un cadre du parti d’extrême droite en intégrant le comité central du FN.
Au début des années 1990, il est donc au PCF, mais participe à l’appel de Jean-Paul Cruse pour créer un large front ni droite, ni gauche rassemblant « Pasqua, Chevènement, les communistes et les ultranationalistes […] la civilisation contre la marchandise — et la grandeur des nations contre la balkanisation du monde [… contre] Wall Street, le sionisme international, la bourse de Francfort et les nains de Tokyo. » Le PCF condamna promptement ce projet de rapprochement « rougebrun » qui tourna court. Pour Alain Soral, ce fut une école. C’est à l’Idiot international de Jean-Edern Hallier, un journal pamphlétaire et anarchiste de droite, que s’opère ce rapprochement entre déçus de la gauche communiste et électrons libres de la droite extrême. L’initiative est soutenue par Alain de Benoist, qui fut l’un des plus influents penseurs de la Nouvelle Droite. Il fonde le GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne) en 1969 pour lutter contre Mai 68 et la domination des idées de gauche dans la société moderne. Une bonne partie des jeunes cadres du FN et de l’UMP ont été fortement influencés par ce courant qui a joué un rôle de catalyseur du rapprochement actuel entre la droite dure et la droite extrême.
« Il me paraît clair que, depuis la ratification du traité de Maastricht, l’ennemi est le capitalisme financier mondialiste, dont l’Europe est le cheval de Troie. […] Il me paraît clair aussi que le seul homme politique qui peut combattre ce système ne peut être qu’un nationaliste. » Soral écrit ceci en 2007, en parfaite continuité avec ses débuts en politique en 1993. Mais s’il y a continuité idéologique, la fidélité des engagements n’est pas son fort. Il claque la porte du FN en 2009, déçu de ne pas avoir été choisi comme tête de liste en Île-de-France. Il anime alors avec l’humoriste Dieudonné une liste antisioniste aux élections européennes de 2009 qui connaît un échec cuisant. Il fonde ensuite le collectif Égalité et Réconciliation afin « de créer l’union sacrée de la gauche patriote et de la droite anti-financière, afin d’atteindre le pourcentage électoral qui permettra au peuple de France de reprendre le pouvoir par les urnes ». Aujourd’hui, il se sert de cette association comme tremplin pour faire sa publicité et peut-être gagner son retour au FN en soutenant Marine Le Pen lors de la campagne présidentielle de 2012, mais cette fois en restant à l’extérieur du FN.
Essayons maintenant de déceler ce qui est constant dans ses écrits, ce sur quoi il insiste. Voyons ce qui se cache derrière la rhétorique droite des valeurs, gauche du travail.
Mais il doit pour cela pratiquer un double discours sur le danger de la montée du FN et dénoncer tous ceux qui veulent maintenir le cordon sanitaire. « En fait, pour qu’il y ait fascisme, il faut qu’il y ait démocratie — et pour pousser la précision plus loin, qu’il y ait démocratie en crise et risque de prise du pouvoir par les communistes […]. Dès lors, parler de menace fasciste dans le monde unipolaire d’aujourd’hui a très peu de sens. » « Les mêmes qui avaient sponsorisé le fascisme des années 30 ont mis en place, dans les années 60, un système infiniment moins coûteux et bien plus efficace pour enlever au peuple toute volonté séditieuse… Et ce système s’appelle société de consommation. » Nous sommes d’ailleurs en train d’en sortir avec le démantèlement des conquêtes sociales depuis les années 90. Une vérité pour deux gros mensonges :
La bourgeoisie ne renonce jamais à la possibilité de la répression des masses par l’État à son service. Le fascisme n’est pas assimilable à une simple dictature militaire, il allie le terrorisme d’État à un mouvement de masse basé sur les éléments déclassés et sur les classes moyennes fragilisées par la crise, il fait suite à un échec majeur du mouvement ouvrier.
Le fascisme n’est pas un phénomène qui émerge du jour au lendemain, il a besoin de temps et d’un climat propice pour apparaître. Aujourd’hui, les capitalistes veulent faire porter aux travailleurs le poids de la crise économique qui a commencé en 2008. En France, les luttes contre la réforme des retraites du ministre Woerth n’ont pas réussi à la stopper. D’autres luttes viendront. Face à la résistance croissante des masses populaires, une alliance FN-UMP brisant le cordon sanitaire est possible. Elle inaugurerait une période de restriction stricte des droits démocratiques donc des possibilités pour les forces de gauche, y compris les syndicats, de résister aux attaques du Capital contre le Travail. Cette alliance existe déjà en Françafrique où beaucoup de cadres du FN font leurs premières armes. Elle existe déjà dans les médias, où le discours du FN est de plus en plus banalisé grâce aux « intellectuels médiatiques » proches de Sarkozy comme Éric Zemmour ou Pascal Bruckner.
Son discours soi-disant réconciliateur masque d’ailleurs assez mal sa haine viscérale contre ceux qui ont efficacement combattu la domination fasciste : « Un antifascisme désormais sans fascistes » issu de l’alliance entre gaullistes et PCF pour masquer la « domination du Capital dans sa forme la plus parasitaire — anti-industrielle et financière. »
À la fin de son livre, Comprendre l’Empire, Soral compare fascisme et communisme pour mieux défendre les expériences fascistes : « Les opposants sérieux à la démocratie moderne : du nationalisme intégral de Charles Maurras à la République islamique d’Iran, en passant par l’Ordre noir de la SS cher à Heinrich Himmler, cette même tentative de juguler le pouvoir de l’argent par le retour au pouvoir absolu d’un ordre à la fois militaire et religieux. La seule puissance militaire, sans le secours du sacré face aux forces de l’argent, conduisant inéluctablement à la défaite, comme en témoignent les expériences communistes et fascistes européennes, le panarabisme, le baasisme. » Mais ce genre de citation révélatrice est noyé dans un flot de diatribes contre le pouvoir des banques, contre Israël, contre l’impérialisme américain, jamais contre l’impérialisme français, cela s’entend.
« Pour ceux qui n’auraient pas compris le raisonnement : il n’existe pas de lobby juif en France, puisque c’est interdit ! » Pour ceux qui n’auraient pas encore compris Soral : le lobby judéo-maçonnique domine le monde puisque tous les présentateurs télé juifs français veulent sa peau. Ce qui lui permet d’affirmer qu’il suffirait de changer d’élite dirigeante (en balayant les juifs pour commencer) pour que tout rentre dans l’ordre, puisque le système ne fonctionnait pas si mal du temps de l’âge d’or, à l’époque de De Gaulle. « Il faut que les élites légitimes, patriotes, françaises reprennent le pouvoir sur ce pays […] refaire une Constitution […] sortir de l’Europe […] arrêter avec l’euro […] reposer la question nationale et identitaire intelligemment […] échapper à la dictature du mondialisme financier » en soutenant l’impérialisme et les bons capitalistes patriotes français…
« Je me souviens de la banlieue populaire des années 60 […] les travailleurs y vivaient en bonne intelligence, et dans le plein emploi […] Aucun racisme contre les anciens immigrés […] les seuls qui posaient problème, déjà, c’étaient les Algériens qui se tenaient à l’écart dans la solitude, la peur, l’islam. » Il fait comme si cette cohésion, cette harmonie supposée des quartiers populaires étaient organiques au « bon peuple français » : « Une communauté française dans les faits, la moins raciste du monde puisque peuplée majoritairement, et jusque-là sans trop de problèmes, d’anciens étrangers. » Les peuples ont des caractéristiques politiques qui sont comme inscrites dans leurs gènes : « Le Français a toujours tendance à prendre le parti du plus faible et de l’humilié. » En bref, la France est la patrie des droits de l’Homme inscrite dans les gènes des Français et non dans l’histoire des luttes de classes acharnées pour les droits sociaux et démocratiques. Quid de la colonisation française, une des plus féroces pourtant (Indochine, Algérie, etc.) ? Quid de la néo-colonisation en Françafrique ? Quid du travail du PCF dans les banlieues après 1945 ; peut-être est-ce là qu’il faut trouver quelque réalité au mythe du « bon peuple français » ? Quid du massacre du 17 octobre 1961 ? Quid des bidonvilles de Nanterre ?
Toute analyse sérieuse d’un discours politique doit tenir compte de ses références historiques : la Commune de Paris ou le mouvement boulangiste visant à instaurer une dictature en France en 1888 ? Le Front populaire ou l’État français du maréchal Pétain ? Le FN, quant à lui, prétend : « nous ne rejetons rien de ce qui appartient à l’histoire de France », dixit Le Pen sur France 2 en 1990, pour pouvoir réhabiliter ses vieux mythes racistes et élitistes, battus en brèche lors de la défaite des nazis en 1945. Ce discours ne prospère que sur le mensonge et la manipulation des masses. Il se croit permis de tout revoir : la traite des noirs, la colonisation, les chambres à gaz, la résistance et la collaboration, etc. Tout revoir, car il veut faire tourner à l’envers la roue de l’histoire.
Aujourd’hui, prétendre vouloir restaurer l’Ancien Régime le couvrirait de ridicule, voilà pourquoi Soral met tellement en avant le modèle gaulliste : un pouvoir présidentiel fort et nationaliste (une France forte et impérialiste).
« On peut globalement considérer la période d’après-guerre 1945-1973 comme une période de prospérité et de consensus social […]. Un régime d’économie mixte, libéral et social, résultant du programme du Conseil national de la résistance. » Et pourtant, il a quelques critiques : « le mythe de la trahison pétainiste et de la Résistance de gauche, profitable aux deux contractants […] [De Gaulle] avait pactisé par deux fois avec l’Empire : en 1940, en rejoignant le camp des alliés contre Pétain, puis en 1958, en achevant de liquider l’Empire français dans l’affaire algérienne. » Soral reprend là deux griefs reprochés à De Gaulle par quasi toute l’extrême droite française après la Deuxième Guerre. Selon lui, De Gaulle n’a pas été écarté par le peuple suite aux actions de Mai 68 et du référendum de 1969, mais parce qu’il s’est opposé à l’Empire qui a manipulé (encore un complot, dont il ne nous dira rien d’ailleurs) pour l’évincer, car il avait la « volonté de retourner à l’étalon-or » et parce qu’il a condamné très mollement l’invasion de la Cisjordanie par Israël en 1967. Rappelons tout de même que la 4e République était le meilleur allié d’Israël et que De Gaulle a continué la politique de livraison massive d’armes à ce pays, en dépit de son double jeu vis-à-vis du monde arabe.
Sarkozy, l’homme des réseaux, traître à la France, car l’ayant réintégré dans l’Otan sous domination américaine (c’est uniquement cela qui dérange Soral). Traître, car ayant ratifié le traité de Lisbonne au mépris du projet d’Europe des Nations de De Gaulle, « l’abandon de la souveraineté nationale », contre l’Europe multinationale de la Constitution européenne. Mais qu’elle soit surtout ultralibérale [sic], Soral n’en dit pas un mot. Traître à la France, car ayant fait entrer des gens que Soral considère comme étant de gauche (Kouchner) et des juifs sionistes (Attali et Klarsfeld) : « Soit en réalité l’union sacrée libérale, atlantiste et sioniste. » Traître, car il n’a pas assez passé les banlieues au karcher : « Un régime sécuritaire envers le peuple du travail sans jamais toucher à la délinquance des prédateurs sous-prolétaires et des prédateurs de l’élite. » Il faut bien lire l’Abécédaire de Soral, afin de se rendre compte que le modèle gaulliste est une référence pour lui depuis dix ans.
« Notre intérêt, désormais solidaire de celui de l’Allemagne, n’étant pas non plus de rembourser une deuxième fois – via l’ONU — 80 % du coût de la guerre du Golfe aux Américains, pour nous avoir fait perdre tous nos marchés dans la Péninsule arabique. D’autant plus que le but ultime de cette nouvelle guerre impérialiste est de contrer la suprématie économique européenne, par la mainmise sur ses futures sources d’approvisionnement en énergies fossiles. » Soral représente aux côtés des Le Pen, De Gaulle, De Benoist et autres réactionnaires une tendance de la grande bourgeoise française qui veut briser l’alliance avec les États-Unis.
Ils sont nombreux aujourd’hui à droite à minimiser l’impérialisme français au moment même où il redevient agressif : les événements en Libye, en Côte d’Ivoire et plus récemment en Syrie en sont la preuve. Tandis qu’à gauche, on fait semblant de ne pas le voir, on dénonce Sarkozy, qui serait au service de l’impérialisme américain.
Or, l’impérialisme français est loin d’être enterré, et le grand capital français est tout sauf inféodé aux États-Unis, n’en déplaise à Soral : « En 1980, parmi les 500 plus grands groupes industriels du monde, 217 provenaient des États-Unis, 66 du Japon et 168 d’Europe… » En 2008, la liste du magazine Fortune est la suivante : 140 groupes industriels américains, 68 du Japon, 37 de Chine et 179 de 18 pays européens. Quel est l’impérialisme qui se renforce le plus ? De ces 179, 39 sont français et 37 sont allemands. Fortune vient de publier le classement pour 2010 : États-Unis 139, Japon 71, Chine 46, France 39, Allemagne 37, Grande-Bretagne 29, Suisse 15, Pays-Bas 13, Italie 11, Canada 11, Corée du Sud 10, Espagne 10, etc. Cette liste est essentielle pour voir les vrais rapports de force dans le monde ! L’impérialisme français est loin d’être mort et en Europe, allié bon an mal an à l’Allemagne, il se renforce. En fait, à deux (malgré des désaccords bien sûr, la rivalité ne s’interrompt jamais), ils se complètent pour dominer la politique européenne. L’axe Paris-Berlin voulu par Mitterrand et Kohl, initié par De Gaulle, est toujours vivace. Que l’on pense par exemple aux coups de force du couple Sarkozy-Merkel pour imposer l’austérité à tous les pays européens.
« Grâce à Zemmour, on a à nouveau le droit d’aimer son pays […] je l’aime bien […] il y avait des juifs à l’Action française qui montraient leur amour de la France en se convertissant au catholicisme, pour montrer qu’il n’est pas dans la double allégeance […] être juif, c’est pas seulement une religion, c’est aussi un peuple, une nation avec Israël […] si on aime la France comme il l’aime, on doit faire comme Marcel Dassault, comme Michel Debré, on doit se convertir au catholicisme […] qu’il aille jusqu’au bout de son assimilation, puisque lui aussi est un métis, un immigré, faut pas oublier, il vient du Maghreb, il est issu d’une double culture. » Vous avez bien lu, l’important c’est de soutenir l’impérialisme français. Le but de Soral c’est de remplacer les élites mondialistes donc amorales et antifrançaises par de vrais Français nationalistes et catholiques. Pour rappel, Debré était ministre sous De Gaulle et Dassault, un puissant capitaliste du complexe militaro-industriel français. Alain Soral demandera-t-il la même chose aux jeunes musulmans qu’il fait semblant de chérir ? L’Islam ou la France, il faut choisir !
Soral essaie de manipuler les sympathies pro-palestiniennes et anti-israéliennes pour défendre un renouveau de l’impérialisme français nationaliste et conquérant. Lorsque Soral s’en prend au sionisme, nombreux sont ceux qui pensent qu’il attaque Israël, ce qui n’est pas tout à fait vrai : il en veut aux élites juives apatrides et cosmopolites : « Finalement, les sionistes essaient d’exister : une nation comme les autres […] je préfère cent fois les sionistes à ce genre d’antisioniste juif [comme Chomsky] ce qui les gène dans le sionisme [israélien] c’est que ça rabaisse le cosmopolitisme juif d’élite qui est chez lui partout comme le dit bien Attali […] si on était resté au projet de Herzl où les juifs pourraient vivre en tant que nation sans renouer avec le projet biblique qui est un projet de domination mondiale et mondialiste, je serais le premier des sionistes, car j’estime tout à fait sain qu’un juif veuille exister en tant que nation. »
On comprend mieux pour qui roulent vraiment Alain Soral et Marine Le Pen. Le FN fait en quelque sorte une offre aux grands patrons : « Nous sommes forts, lâchez l’UMPS pour une France forte, alliée à l’Allemagne, protectionniste et impérialiste, choisissez le FN, allié à la droite de l’UMP. » D’où les appels du pied en direction de la droite de l’UMP et la droitisation de l’opinion savamment orchestrée par les médias. Les grands patrons font leur marché quand ils choisissent de soutenir telle ou telle tendance politique en fonction de leurs besoins du moment. Et aujourd’hui, ils ont de plus en plus besoin de museler les syndicats pour faire passer des réformes antisociales dont l’ampleur est inégalée. La social-démocratie et la droite classique manquent d’efficacité pour réprimer le mouvement ouvrier : la droite dure, décomplexée n’aura pas peur de s’attaquer aux droits démocratiques.
Soral : « seul le retour aux vieilles valeurs morales : respect des anciens, de la hiérarchie et de la parole donnée, sens de l’honneur et du beau, goût du rituel… peuvent produire une politique sociale. […] Une alliance de l’honneur et du producteur. » Comme Sarkozy, Soral ne veut pas en finir avec le capitalisme, il veut le moraliser : il y aurait un « bon » et un « mauvais » capitalisme, à savoir, les capitalistes industriels patriotes contre les capitalistes financiers mondialistes. Encore un mythe… Soral ne dénonce pas le capitalisme en tant que tel, mais le capitalisme usuraire, le prêt à intérêts. Il suffirait donc de remettre les banquiers à leur place en réinvestissant l’État de ses droits entre autres régaliens comme le droit de battre monnaie, ainsi que le suggère Marine Le Pen.
Selon Soral, « La Banque devient ainsi propriétaire de tout, sans jamais rien produire, et avec de la fausse monnaie pour seule mise de fonds ! Nous touchons là à ce que nous pouvons appeler à la fois le génie et le vrai secret bancaire. » Qui n’a été un secret que pour lui, il se révèle donc n’être qu’un vulgaire keynésien (Hitler aussi, tout comme Roosevelt, était keynésien). Cette analyse n’a donc rien de neuf, ni de marxiste, encore moins de révolutionnaire. Ah ! Nostalgie des temps glorieux où l’État pouvait se prêter à lui-même à taux zéro (et donc faire grimper l’inflation qui ruine le bon petit peuple et engraisse les banques… Soral lui-même reconnaît que le pouvoir politique a plus d’une fois fait un usage abusif de la planche à billets). Pas une seule fois d’ailleurs, il ne pose la question essentielle du caractère de classe de l’État. [...]
Soral aime mettre en exergue le club du Siècle comme preuve du grand complot de la « Banque ». Mais un examen attentif de la liste des participants aux dîners du Siècle de janvier 2011 montre que sur les 131 hommes d’affaires présents, il y a autant de représentants des banques que d’entreprises industrielles ou de services. Il y a surtout ceux issus de grands groupes d’investissements financiers dont les activités sont multisectorielles, tels Lagardère, Aforge, le groupe Arnault (la société holding de Bernard Arnault, le quatrième homme le plus riche de la planète) ou encore LBO France. Qui n’a pas entendu parler du dîner du Fouquet’s du 7 mai 2007, le lendemain de l’élection de Sarkozy ? On pouvait y voir le gratin des capitalistes français venus féliciter leur poulain qu’ils avaient réussi à faire élire : les Arnault, Bolloré, Bouygues, Dassault, Decaux, Frère et bien d’autres. Ce sont ces hommes qui dirigent la politique française dans l’ombre du gouvernement. Les portefeuilles d’actions de ces capitalistes montrent plutôt une imbrication complète entre capital financier et industriel et non la domination de l’un sur l’autre.
Voilà pour le sérieux de la « méthode » Soral. Après ça, il lui est aisé de nous faire prendre des vessies pour des lanternes… de différencier les « bons » capitalistes des « mauvais ».
Toute tentative de mettre fin à l’exploitation de l’homme par l’homme serait-elle illusoire ? « Criminelle ! » répond Soral : « Des deux révolutions du 20e siècle, la surréaliste et la communiste, que reste-t-il ? L’une a changé les objets de décoration sur les murs des bourgeois, l’autre notre arrogance quant à la possibilité de changer le monde autrement que sur le plan esthétique. Révolution futile selon l’ordre du désir, révolution ratée selon l’ordre de la production, deux échecs qui nous forcent à réfléchir sur les pièges jonchant le dur chemin qui mène à l’homme nouveau. »
Soral défend une dialectique des équilibres entre dominants et dominés, ponctuellement rompus, mais toujours restaurés par une nécessité hissée au rang de loi de la nature. On est chez lui confronté à une vision cyclique et fataliste de l’histoire : il n’y a pas de progrès, c’est l’éternel retour de la domination. Rien de nouveau sous le soleil, il y a toujours eu des riches et des pauvres : « Les hommes ont des idées et ils sont obligés de vivre ensemble. Doués d’imagination par la fonction symbolique, mais aussi d’expression par le langage, ils sont portés par leur nature à discuter la Loi […] quelle que soit la puissance de la révélation, toute religion […] est-elle contrainte de justifier la Loi par la logique. Introduisant de fait, comme le ver dans le fruit, la raison dans la foi… C’est ce moment de basculement » qui de manière répétée renverserait les anciennes élites pour en instaurer de nouvelles, portées par une foi tout aussi nouvelle, jusqu’à ce que le cycle recommence. Pas de progrès donc : éternelle domination des élites sur les masses, éternelle, car naturelle.
Soral ne veut donc pas mettre fin à l’exploitation. Cette dernière serait dans l’ordre naturel des choses. « La démocratie n’a jamais existé […] Seule différence avec l’ancienne version antidémocratique d’avant 1789 ? Le privilège de pouvoir être exploité par un ancien pauvre. » « Esclaves noirs, serfs blancs, prolétaires… Le mensonge que les Afro-Américains ont subi en passant du sud au nord après la guerre de Sécession est à peu près le même que celui que subirent les serfs en passant du servage au prolétariat, après la Révolution. Mensonge démocratique recouvrant l’éternelle exploitation des humbles. »
Il ne s’agit pas non plus de transformer la société, puisque c’est impossible : « il est intéressant de remarquer que de tout temps, sous tous les régimes : Égypte pharaonique, démocratie grecque, brahmanisme hindou, monarchie catholique… une oligarchie d’à peine 1 % de la population a toujours commandé à la masse des 99 % restants ; comme une meute de loups dominant un troupeau de moutons. »
Pour Soral, il n’y a que des élites qui se battent entre elles (par petit peuple interposé et qui prend les coups) pour s’emparer de la machine de l’État, des médias, de l’appareil industriel, etc. Tout ça n’a pas grand-chose à voir avec Marx, car il n’y a pas de classes pour Soral, il n’y a que les élites et les masses ; l’occasionnelle référence à des luttes de classes n’est qu’un artifice de langage pour défendre la théorie du grand complot, des intrigues entre les élites pour la conquête du pouvoir. Des pouvoirs pour être précis : économique, étatique, médiatique, etc. La prise du pouvoir n’est qu’un remplacement par des élites plus jeunes, plus vertueuses et spartiates (c’est ce qu’il admire dans la combativité des sionistes…) des plus anciennes, dégénérées, empêtrées dans leurs contradictions.
Il n’a que mépris pour les ouvriers. À leur propos, il tient le même discours que le MEDEF : « Les 35 heures ne sont pas seulement un symbole de gauche, c’est-à-dire une mesure de gauche inefficace […] l’application des 35 heures pénalise systématiquement les PME au profit des multinationales […]. Pour les minables qui font forcément un travail de merde, les petits salariés pour qui aucune perspective ni aucun épanouissement ne peut plus venir d’un travail aliéné à l’extrême, moins de travail et toujours aussi peu d’argent ; soit l’espoir de rester de plus en plus longtemps à la maison devant la télé. »
Ils sont les éternels perdants. « Je les respecte parce qu’ils font tout le boulot », dit-il, mais il tient surtout qu’ils restent à leur place : bosser pour entretenir les « producteurs de concepts », les parasites comme Alain Soral (comme il se définit lui-même d’ailleurs) : « Adolescent […] j’avais pour projet de ne rien faire, juste échapper le plus possible à l’impératif de production pour passer ma vie au café, à discuter et à regarder les filles. » « En contemplant l’Histoire avec un peu de sérieux, on constate que le but permanent du genre humain fut toujours d’échapper au travail. »
Sa conception du travail est celle de toutes les classes d’exploiteurs avant la Révolution industrielle : une conception de parasites, le travail vu uniquement et toujours comme avilissant, comme une déchéance. Conception aristocratique héritée de l’Antiquité grecque, selon laquelle l’homme libre est par définition un combattant ou un intellectuel, libéré de l’obligation de travailler parce qu’il possède des esclaves pour le faire à sa place. Pas étonnant qu’il estime un pouvoir fort nécessaire, sinon comment faire bosser ces fainéants de prolétaires ? « Le goût du travail bien fait, c’est la dignité de l’Homme. Un sens de l’excellence et du devoir gangrené par un détournement de la lutte des classes devenue alibi de la paresse et du sabotage. Un certain parasitisme syndical. »
L’abolition de l’esclavage et du servage grâce aux luttes des paysans contre leurs seigneurs ; la Déclaration des droits de l’Homme en 1789 ; les conquêtes du mouvement ouvrier comme la fin du travail des enfants, le suffrage universel, les contrats de travail, la loi sur les huit heures, les libertés syndicales, la sécurité sociale ; la révolution d’Octobre, les États socialistes ; les indépendances des pays colonisés : tout ça n’existe pas dans le discours de Soral.
Pour Soral, le rôle des masses devrait donc se limiter à soutenir de nouvelles élites plus vertueuses et plus solides face à la « Banque, [contre] l’Empire. Leur triomphe [des grands hommes] passant toujours et nécessairement par l’appui, la constitution de réseaux ». D’où les intrigues et les complots qui, à la mesure du renforcement de la cohésion et de l’influence de ceux-ci, donnent la victoire. Ils sont « la condition sine qua non de toute prise de pouvoir… » Ceux qui rêvent que Soral voudrait faire un patient travail d’organisation, de conscientisation et de mobilisation des travailleurs pour rendre cette société plus juste en seront pour leurs frais. Non, lui et ses semblables veulent être califes à la place du calife : virer BHL et DSK car ce sont des juifs sans morale, parce que juifs. Tandis que lui et Le Pen seraient vertueux, parce que chrétiens et français authentiques…
Soral remet au goût du jour les théories organicistes sur la société de Maistre, Bonald et Burke, inventées au début du 19e pour s’opposer à l’universalisme républicain, enfant de la Révolution française. La société moderne serait absurde, elle rompt les équilibres naturels. Elle est donc vouée à disparaître « par un châtiment du sens. C’est juste une question de temps… Car tout système de domination [doit posséder] sa justification transcendante dans l’ordre symbolique […] aucun ordre absurde ne saurait être durable. » Ou pour le dire autrement : toutes les sociétés complexes ont besoin d’ordre, donc de hiérarchie. Et qui dit hiérarchie, dit inégalité. Mais cette inégalité doit être fondée sur un discours qui semble légitime et basé sur une relation de réciprocité. Soral aime prendre à ce propos l’exemple de l’Ancien Régime basé sur trois ordres : ceux qui travaillent, ceux qui prient et ceux qui combattent et protègent. Il ne dit rien évidemment des impôts et corvées exorbitants exigés des paysans par l’Église et les seigneurs, ni que ces derniers décidaient seuls des lois et maintenaient le peuple dans une ignorance crasse. Ce n’est pas plus un « châtiment du sens » qui a mis fin à ce système, mais bien les soulèvements paysans et la Révolution française.
Lorsque Soral fait semblant de dénoncer le discours stigmatisant des médias à l’encontre des musulmans, il ne prône pas l’unité des travailleurs contre l’exploitation capitaliste. Non, tout progressiste se réduit à ce qu’il appelle « Des antiracistes gauchistes toujours immigrationnistes, par haine des peuples enracinés. Mais, désormais antiislamistes, au nom de la défense de la laïcité. Tout cela voulu bien sûr par la toute-puissance de plus en plus visible du lobby sioniste […] une obscénité communautaire parfaitement illustrée par la prosternation générale du personnel médiatique et des instances républicaines, président de la République en tête, à l’annuel dîner du CRIF… » L’enjeu n’est donc pas d’unir les travailleurs, mais tous les vrais Français contre les dangers plus ou moins fantasmés du « mondialisme ». Bref, tout comme le FN, il vend aux capitalistes un discours et des méthodes de défense de l’ordre capitaliste qui seraient plus efficaces contre les mouvements sociaux que ceux de l’UMP et du PS.
Il veut nous resservir le vieux rêve fasciste d’un État fort et ultranationaliste afin d’abolir la lutte des classes sans mettre fin à la division de la société en classes et à l’exploitation : « Un luttisme de classe ne pouvant être contré, dans notre société bourgeoise de l’immanence et du profit, que par la solidarité nationale en remplacement de l’ordre divin. »

Soral développe une théorie du grand complot comme moteur de l’histoire, l’action des réseaux de pouvoir en lieu et place de la lutte de classes : « La lutte du grand capital mondialiste, manipulant et finançant les révolutionnaires professionnels issus de la bourgeoisie cosmopolite […] pour empêcher la jonction populaire, elle authentiquement révolutionnaire de la petite bourgeoisie et du prolétariat national […] étant l’histoire cachée du mouvement ouvrier. » Sa preuve ? Le ralliement au libéralisme de toute la gauche à partir des années 1970, qui coïnciderait avec la fin de la bourgeoisie nationale.

Résultat ? « La destruction finale de la classe moyenne – productive, lucide et enracinée — correspondant au projet impérial de liquidation de toute insoumission au Capital, par essence apatride. » Les compromissions répétées des sociaux-démocrates avec l’ordre bourgeois, la désertion du combat anticapitaliste par le PCF : tout cela ne serait que le produit d’un grand complot de la « Banque », concocté il y a plus d’un siècle et dont les « maîtres du monde » auraient prévu toutes les étapes. La révolution d’Octobre en Russie et la chute du mur de Berlin ; tout aurait donc été goupillé à l’avance ? Tous les enchaînements de l’histoire devraient donc aboutir au « règne de la finance américaine sur le reste du monde, à travers la création de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. L’Empire. » Il y avait donc un plan de domination au départ…
Toute cette longue, pénible et délirante démonstration, pour en arriver finalement à prôner comme alternative : le ralliement du monde du travail à l’impérialisme français contre le grand complot mondialiste américano-atlanto-judéo-maçonnique.
Tout le discours de Soral sur la réconciliation de la droite des valeurs et de la gauche du travail masque mal que son véritable objectif est de réhabiliter le fascisme. Son rôle dans le jeu politique français : ratisser large, rallier un électorat d’origine immigrée, et ce, malgré la campagne anti-islam de Marine Le Pen, rallier des jeunes déçus des inconséquences d’une gauche qui se renie et est toujours plus libérale [sic]. L’objectif ? Un succès électoral pour le FN en 2012, ce qui accélèrerait le rapprochement UMP-FN. Le tout afin d’aboutir à une fascisation de l’État français qui fortifierait l’impérialisme franco-allemand, libéré de son alliance et de sa sujétion à l’impérialisme étasunien.
Le prolétariat se constitue de ceux qui survivent en vendant leur force de travail aux capitalistes possesseurs des moyens de production. Ils sont les producteurs de toutes les richesses et n’ont pourtant le droit de rien dire sur comment faire tourner la société. Le marxisme donne justement les clés pour sortir de cette soumission, il offre une perspective aux luttes éparpillées.
Que pense Soral du mouvement ouvrier ? « Classe potentiellement révolutionnaire de petits salariés incarnant le pouvoir réel, mais dénués de toute subjectivité subversive d’un côté ; classe traditionnellement révoltée, mais sortie de l’Histoire en même temps que de la production concurrentielle ou de la production tout court, de l’autre… »
Que pense-t-il du marxisme ? « Le marxisme a rencontré le problème de toutes les sciences humaines, qui est de ne pas être tout à fait exactes. […] Quoi qu’il en soit, les 10 % qui séparaient au départ Dieu de Marx (le second après Dieu) se mesurent à l’arrivée par l’écart entre le “socialisme réel” et le paradis ! » Assez tôt dans son livre Contre l’Empire, il doit quand même évoquer l’expérience de la construction du socialisme en URSS pour mieux pouvoir évacuer la seule tentative réussie d’une alternative anticapitaliste : « Le communisme soviétique étant, en théorie, la tentative de mettre hors d’état de nuire la domination oligarchique et privée de l’argent, par la socialisation intégrale des moyens de production sous contrôle public de l’État ». Une épopée qu’il qualifie de « juive en haut pour la volonté de domination, chrétienne en bas pour l’espoir de partage ». Il réhabilite la vieille rengaine fasciste du complot judéo-bolchevique de domination mondiale. Encore une fois, le bon petit peuple (russe orthodoxe) a été manipulé par des élites (juives).
Il s’agit bien d’une attaque en règle contre le mouvement ouvrier révolutionnaire et les expériences des pays socialistes. Il lui faut dénigrer les expériences de construction du socialisme, tentatives de réaliser une société sans classes, pour pouvoir mieux défendre son modèle fasciste d’une société qui maintiendrait l’exploitation, mais avec la maigre consolation d’être dominée par une nouvelle élite autoproclamée plus vertueuse que l’ancienne. Avec un tel discours, il est donc tout à fait « politiquement correct » ! Il hurle en chœur avec tous les anticommunistes de la gauche sociale-démocrate à la droite UMP qu’il n’y a rien à tirer de l’expérience des pays socialistes.

Contre Marx, Soral défend Proudhon, Bakounine et Sorel, « Une société mutualiste de petits producteurs […] Une société aux antipodes aussi bien du socialisme marxiste-léniniste que du capitalisme bourgeois, tous deux fondés sur la fuite en avant technicienne, l’extrême division du travail et le salariat généralisé au service d’un État-patron (pour le socialisme) et d’un Patron-État (pour le capitalisme), ce qui revient au même… » Soit le socialisme utopique contre le socialisme scientifique. Nous avons vu qu’il repousse l’utilisation de la méthode scientifique pour l’étude des sociétés. C’est la volonté contre la science, les mythes sont censés remplacer les faits, car l’histoire ne serait qu’une construction idéologique de l’élite des vainqueurs, de ceux qui ont le pouvoir. Tous les fascistes sont antimodernes, Mussolini aussi citait Proudhon et Sorel. Les nazis aussi ont flatté la paysannerie et le petit-bourgeois allemand avant de donner tout le pouvoir aux géants industriels.

Le prolétariat est sans volonté propre ; toute tentative d’émancipation est illusoire ; l’exploitation et la division en classes ont toujours existé ; les masses sont toujours manipulées ; il n’est pas possible d’être objectif et scientifique en étudiant l’histoire… Qui donc est servi par un tel discours ?

Aujourd’hui, il n’y aurait plus de danger fasciste ; il y a des élites perverses et des élites vertueuses ; il y a des bons et des mauvais capitalistes ; ce qu’il nous faut c’est un État fort ; nous devons tous nous rassembler derrière la bannière tricolore… Quelle classe un tel programme défend-il ? Oui, c’est vrai, le fascisme s’est toujours posé en alternative au libéralisme. Mais il n’ambitionne nullement la fin de l’exploitation capitaliste.
L’impérialisme allemand et français est provisoirement allié à l’impérialisme américain pour faire face à la montée en puissance de la Chine, perçue comme une menace contre l’hégémonie étasunienne. Certains fascistes comme Soral estiment que l’Allemagne et la France doivent se détacher du lien atlantique et se constituer en superpuissance : c’était le projet de De Gaulle. Une telle option ne pourra se faire qu’au prix de lourds sacrifices payés par les travailleurs. Mais cela importe peu aux fascistes comme Soral, seule compte la grandeur de la France des capitalistes.
Les fascistes ont toujours vendu leurs services aux capitalistes, prétendant qu’ils étaient plus efficaces que les partis démocratiques pour mater le mouvement ouvrier : « J’aime Le Pen pour ça […] Ce sont encore des hommes […] toutes ces merdes du système UMPS […] J’aimerais bien voir le jour où ça va péter dans la rue, comment ils vont se comporter […] moi je suis prêt déjà à ça, pas eux. » Alors que de grandes luttes sociales s’annoncent pour contrer l’austérité voulue par l’Europe des patrons, Soral et ses semblables sentent que leur temps est venu.
La réponse de la vraie gauche à la crise générale du capitalisme qui s’abat contre le monde du travail doit combattre le fatalisme entretenu par les médias bourgeois. Les soi-disant vérités sur les pays socialistes, sur les révolutions et les luttes qui ne changent rien, sur les boucs émissaires de la crise, tout cela est une construction idéologique empruntée par Soral au discours dominant de la bourgeoisie. Il prospère sur le fumier de La barbarie à visage humain de Bernard-Henri Lévy, sur les provocations racistes d’Éric Zemmour, sur le discours au karcher de Sarkozy.
Soral refuse aux opprimés toute initiative propre, toute velléité de sortir de leur condition d’exploités, tout rôle dans l’histoire. Or, Marx a démontré que c’est la lutte des classes qui est un des principaux moteurs de l’histoire. Et les faits ont démontré que les ouvriers étaient capables de prendre leur sort en main : pour sortir les enfants des mines, pour augmenter les salaires, pour ne plus travailler comme des forçats, pour se syndiquer et même prendre le pouvoir et tenter de construire le socialisme en URSS.

« Tout indique qu’un long processus initié au 18e siècle par une oligarchie bancaire mue par l’hybris de la domination approche de son épilogue. Ce Nouvel ordre mondial […] un gouvernement mondial sur les décombres des Nations. Cette oligarchie spoliatrice […] nomade aux procédés sataniques menant le monde à cet “âge sombre” décrit par la Tradition. 2012 : soit la dictature de l’Empire ou le début du soulèvement des peuples. La gouvernance globale ou la révolte des nations. » 2012, échéance de l’élection présidentielle en France, voilà le moment où tout peut basculer. Les capitalistes n’ont qu’à bien se tenir, ils en tremblent déjà…

« Révolte des nations » contre l’ « Empire de la Banque » ? Ce qui se cache derrière cette fumisterie, c’est le projet fasciste de restaurer la « grandeur » de la France, alliée à l’Allemagne pour défier les États-Unis et soumettre les pays du tiers monde. Ce projet impérialiste sert les intérêts du grand capital français et leur propose la constitution d’un État fort et militariste sur les ruines de la sécurité sociale. Les travailleurs n’ont rien à gagner à suivre un tel programme. C’est ici qu’il faut être clair sur ce que l’on veut : soutenir l’impérialisme européen contre l’impérialisme américain ? Ou soutenir les luttes des travailleurs et des peuples opprimés contre tous les impérialismes ?
Ne laissons pas des Soral falsifier encore plus l’histoire que la bourgeoisie ne l’a déjà fait. La constitution d’un large front anticapitaliste et antifasciste nécessite pour être efficace que les organisations ouvrières en prennent la tête. Cela passe aussi par la lutte idéologique contre la pensée unique et contre cette fausse alternative qu’est le fascisme, car elle est le plan B de la bourgeoisie pour soumettre par la force le mouvement ouvrier. Si elle s’imagine qu’on va la laisser faire… »
-Arnaud Staquet, La « pensée » d’Alain Soral :Révolution ou réaction ?, Études marxistes, Revue n° 97, date de publication: 2012-06-16.


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