Comme disent les Britanniques : « politics make strange bedfellows » [N1]. Le vieux puritanisme sexuel de droite est de nos jours épaulé par les « bonnes » intentions de gauche -celles-là même qui pavent la route vers l’Enfer. La « décence » pour les uns, la libération de la femme éternellement « opprimée » pour les autres, motivent la persistance ou la multiplication des lois pénales frappant la pornographie et la prostitution.
On a beau leur dire que des adultes consentants doivent pouvoir choisir ce qu’ils veulent faire de leurs propres corps ; on a beau leur rappeler encore et toujours que les vices ne sont pas des crimes ; c’est littéralement plus fort qu’eux : ils ne veulent pas calmer les pulsions liberticides engendrées par leur aversion morale vis-à-vis des comportements sexuels qu’ils n’aiment pas. Que des prostituées puissent décrire leur profession avec délicatesse et poésie ; qu’en France, 98 % d’entre elles s’opposent à la pénalisation de leurs clients et ne veulent pas être « libérées » de force, tous ces faits n’existent pas à leurs yeux.
L’approche des prohibitionnistes est en général toute faite d’une pensée-slogan qui consiste à se plaindre du fait que : « ne pas interdire ces activités envoie un mauvais signal à la société ». Même si on admettait qu’elles soient par nature mauvaises, cette théorie de l’encouragement des activités non-interdites repose sur une compréhension désespérément simpliste de la psychologie humaine. C’est une banalité de le rappeler, mais un comportement légal n’est pas la même chose qu’un comportement encouragé ou valorisé par la société. En outre, la légalisation d’une consommation ou d’une pratique n’a pas nécessairement pour effet d’accroître le nombre de gens qui recourent à ladite consommation ou activité. C’est par exemple ce que montre cette étude sur la consommation de cannabis en Australie : 5 ans après la dépénalisation, la consommation n’a pas connu de variations significatives. En somme, ce n’est pas parce que je ne serais plus puni, demain, de faire telle chose, que cela va créer chez moi une motivation à faire ladite chose.
Les paniques morales sur ces sujets paraissent donc bien à côté de la plaque. Et pourtant, rien de semble pouvoir faire entendre raison aux prohibitionnistes. Faut-il alors se résigner à échanger avec eux jusqu’à la fin des temps des quolibets rageurs par réseaux sociaux interposés ? Ou bien peut-on, à force de créativité philosophique, produire des arguments susceptibles de leur faire admettre que, tout compte fait, la criminalisation n’est pas la situation la plus conforme au bien de la société ?
Il me semble avoir enfin mis au point un argument de ce genre.
Je crois que toute personne raisonnable admettra que, toutes choses égales par ailleurs, nous vivrions dans un monde meilleur si moins d’hommes, de femmes et d’enfants étaient victimes d’agressions sexuelles et de viols.
Je crois que nous admettrions encore, même un peu à contrecœur, qu’il demeure préférable de supprimer certaines institutions dressées contre des maux de moindre importance, si cela pouvait permettre d’éviter ces maux majeurs que sont les agressions et les viols.
Or, la légalisation de la consultation de pornographie, comme celle de la prostitution, sont exactement conformes à ce schéma.
Des études citées par le journaliste américain Michael Castleman ont montré que, dans de nombreux pays, la légalisation de l’accès à la pornographie avait eu pour effet de réduire le nombre de viols et d’agressions sexuelles. Des études américaines et hollandaises montrent le même type de lien causal dans les zones où la prostitution a été dépénalisée. Le mécanisme explicatif est simple à comprendre: lorsque les individus disposent de possibilités de satisfaire leurs besoins sexuels de façon non-violente, ils sont moins tentés d’agresser autrui. La légalisation de l’accès à la pornographie et de la prostitution ont donc des vertus démontrées en matière de réduction de la criminalité.
Si les prohibitionnistes ne veulent pas se rendre à un argument aussi fort, cela signifie que non seulement ils sont prêts à « libérer » autrui de ses « vices » par la violence de la répression étatique, mais qu’en plus, ils préfèrent un monde dans lequel davantage d’hommes, de femmes et d’enfants seront violés. Il est évident qu’une telle préférence est totalement immorale et contraire au bien public.
Les conservateurs autoritaires, traînant un puritanisme qui n’a même plus le charme désuet de la bienséance victorienne, nuisent à des choses qui importent bien davantage que la « décence » : la sécurité, la préservation de l’intégrité physique et morale des personnes, le maintien de la responsabilité individuelle (c’est-à-dire le fait de supporter les conséquences de ses propres choix).
Les néo-féministes gauchistes, égalitaristes et misandriques, qui soutiennent la prohibition, sont elles aussi les ennemies objectives, non seulement de la liberté, mais encore du progrès de la condition féminine [N2]. C’est qu’il y a toujours des férocités cachées sous les mirages humanitaires de la gauche.
S'il est de douces folies, il en est aussi qui sont criminelles. Une fois de plus, la prohibition est un échec. La perpétuer est une faute politique. La prohibition ne protège personne. Pire: elle ne met pas seulement en danger les personnes qui se prostituent, mais aussi d’autres individus qui finiront par être victimes de crimes qui auraient pu être prévenus avant même qu’ils ne naissent dans l’esprit de leurs auteurs. Si les prohibitionnistes sont vraiment attachés à la dignité des plus faibles, comme ils le prétendent, alors la raison leur impose de préférer ce qui évite les atteintes les plus irréparables à l’intégrité d’autrui. Ils doivent donc renoncer à la prohibition, au profit du strict respect de la liberté individuelle.
« Certains activistes anti-pornographie ont prétendu que les média classés X incitent les hommes à commettre des agressions sexuelles. Au contraire, les résultats de ce que les chercheurs appellent des "expériences naturelles" -des preuves reposant sur des comparaisons avant et après des changements sociaux- montrent que ce n'est pas le cas.
L'arrivée d'Internet : Plus de porno, moins de viols.
Avant la fin des années 1990, lorsque Internet a révolutionné l'accès à l'information, le porno était disponible dans des livres, des magazines de charme, des cassettes vidéo louées et dans le nombre limité de salles de cinéma miteuses qui diffusaient des films classés X. Mais avec l'arrivée d'Internet, des millions d'images et de vidéos pornographiques ont soudain été accessibles gratuitement en quelques clics. En conséquence, le porno est rapidement devenu l'une des principales destinations des hommes sur Internet et la consommation de porno a grimpé en flèche.
Si les militants anti-pornographie avaient raison, si le porno contribuait réellement à l'accroissement du taux de viols, alors à partir de 1999 environ, Internet l'ayant rendu beaucoup plus facilement accessible, le taux d'agressions sexuelles aurait dû augmenter. Que s'est-il donc réellement passé ? Selon l'enquête nationale sur les victimes des crimes, faite par le ministère de la justice, et qui fait autorité, le taux d'agressions sexuelles aux États-Unis a chuté de 44 % depuis 1995. Pour en savoir plus, voir mon article précédent : Le porno cause-t-il des dommages sociaux ?
Il est donc clair que les militants anti-porno ont tort. Le porno n'incite pas les hommes à la violence sexuelle. Il ressemble plus à une soupape de sécurité qui donne aux hommes une alternative pour évacuer une énergie potentiellement violente. Au lieu de s'attaquer aux femmes, les hommes qui pourraient commettre ce crime peuvent se masturber sur des quantités illimitées de porno sur Internet.
La République tchèque : Plus de porno, moins de viols.
Une autre "expérience naturelle" concerne les changements politiques en Europe de l'Est. De 1948 à 1989, l'État policier communiste, alors connu sous le nom de Tchécoslovaquie, a fait de la possession de matériel pornographique (y compris de publications relativement insipides comme Playboy) un délit pénal passible de prison. En conséquence, les hommes tchèques n'avaient pratiquement pas accès à la pornographie. Mais lorsque le communisme s'est effondré et que la République tchèque démocratique a émergé, elle a légalisé la pornographie, qui est devenue facilement et largement disponible. Qu'est-il arrivé s'agissant du risque d'agression sexuelle des femmes ?
En utilisant les dossiers de la police tchèque, des chercheurs américains et tchèques ont comparé les taux de viols en République tchèque pendant les 17 années précédant la légalisation du porno avec les taux des 18 années suivantes. Les viols ont baissé de 800 par an à 500 par an. Plus de porno, moins de viols.
De plus, la légalisation du porno a été associée à une diminution d'un autre crime sexuel ignoble : la pédophilie. Sous le régime communiste, les arrestations pour abus sexuels d'enfants s'élevaient en moyenne à 2 000 par an. Après la légalisation du porno, ce chiffre a diminué de plus de la moitié pour atteindre moins de 1 000. Plus de porno, moins de crimes sexuels.
Le Danemark : Plus de porno, moins de viols.
Dans les années 1970, le Danemark a assoupli les restrictions sur la pornographie, et le pays est rapidement devenu un centre de production de pornographie. Les chercheurs ont comparé les taux d'arrestation pour agression sexuelle avant et après ce changement. Lorsque la pornographie est devenue plus facilement accessible, les allégations de viol ont diminué.
Japon, Chine, Hong Kong : Plus de porno, moins de viols.
Vers l'an 2000, en partie en réponse à la disponibilité du porno sur Internet, le Japon, la Chine et Hong Kong ont assoupli les lois qui limitaient sa disponibilité. Dans ces trois pays, la pornographie devenant plus facilement accessible, les crimes sexuels ont diminué.
Par rapport à la majorité des hommes, les violeurs consomment moins de porno.
Des chercheurs de l'UCLA [Université de Californie à Los Angeles] ont étudié les souvenirs d'utilisation de matériel pornographique chez des hommes respectueux de la loi d'un côté, et dans un grand panel de violeurs et de pédophiles condamnés de l'autre. Tout au long de leur vie, les criminels sexuels se sont souvenus d'avoir consommé, comparativement, moins de porno. Une preuve supplémentaire que le porno est une soupape de sécurité. Au lieu de commettre des viols et de la pédophilie, les auteurs potentiels trouvent un exutoire moins nocif, en se masturbant sur du porno.
La pornographie n'isole pas les hommes.
Alors que les preuves s'accumulaient pour démontrer que le porno aide à prévenir les agressions sexuelles, les critiques du porno ont changé de ton. Au lieu de reprocher aux media du X de faire du mal aux femmes, ils ont prétendu qu'il faisait du mal aux hommes en les enfermant dans une sombre prison d'isolement masturbatoire qui détruit leurs relations interpersonnelles avec les autres.
Des chercheurs anglais ont fait passer à 164 hommes des tests psychologiques standard de relations interpersonnelles afin de déterminer leur proximité émotionnelle avec les personnes importantes dans leur vie (conjoints, famille, amis) ou leur distance par rapport à elles. Ensuite, les chercheurs ont enquêté sur la consommation de pornographie des hommes.
Contrairement aux affirmations des critiques, plus la consommation de porno augmentait, plus la proximité émotionnelle avec les autres augmentait. Loin de permettre d'échapper aux relations intimes, les chercheurs ont suggéré que la consommation de porno pouvait signifier une "envie d'intimité".
Ceux qui se sentent offensés ou dégoûtés par la pornographie ont le droit d'avoir leur opinion. Mais ils n'ont pas le droit de présenter de manière inexacte ses effets sur les hommes et la société. La pornographie n'isole pas les hommes des autres personnes qui leur sont chères, et ne contribue pas non plus au viol et aux autres crimes sexuels. »
-Michael Castleman, "Evidence Mounts: More Porn, LESS Sexual Assault", 14 janvier 2016.
« Il y a quelques années, des chercheurs de l'UCLA et de l'université Baylor ont fait une découverte étonnante : lorsque la législation de l'Etat du Rhode Island a, pendant plusieurs années, décriminalisé par inadvertance la prostitution dans l'espace privé, cet État a enregistré une baisse de 31 % des viols signalés et une baisse similaire des cas de gonorrhée.
Une nouvelle étude néerlandaise établit à présent une relation causale similaire entre la dépénalisation de la prostitution et la réduction de la criminalité. Des chercheurs d'un institut de recherche public aux Pays-Bas ont découvert que lorsque les grandes villes de ce pays ont ouvert des zones de tolérance, ou des zones où les prostituées de rue pouvaient travailler légalement, les rapports de viols et d'abus sexuels ont diminué de 30 à 40 % au cours des deux premières années suivant l'ouverture de ces zones. Dans les villes qui ont autorisé les prostituées à travailler dans ces zones, les viols et les abus sexuels ont diminué de 40 %, tandis que la réduction des violences sexuelles a été légèrement plus faible dans les zones qui n'ont pas permis aux travailleurs du sexe d'obtenir une licence.
Bien que les chercheurs n'aient pas été en mesure de déterminer exactement quelles femmes ont été épargnées par l'ouverture des zones de tolérance, ils ont conclu que la légalisation de la prostitution dans ces zones a conduit "à une diminution de la violence sexuelle sur les femmes en général en fournissant un exutoire anonyme, attrayant et facilement accessible pour les relations sexuelles à des individus autrement violents".
C'est, bien sûr, ce que j'ai soutenu dans mon livre, Getting Screwed : Les travailleurs du sexe et la loi, et ce que les défenseurs du travail du sexe disent depuis des années. Lorsque la prostitution est décriminalisée et réglementée dans une certaine mesure, comme c'est le cas dans les zones de tolérance néerlandaises, les criminels sexuels sont moins susceptibles d'agresser des femmes. […]
Comme le dit Maddy, une escorte de Washington, D.C. que j'ai interviewée pour mon livre, "le travail du sexe peut être un véritable moyen de prévention des agressions sexuelles - les clients peuvent s'adonner à leurs fantasmes avec nous plutôt qu'avec d'autres femmes [non-consentantes] ou des enfants". […]
Comme le notent les défenseurs du travail du sexe, lorsque les lieux légaux de prostitution sont fermés, les travailleurs du sexe se déplacent simplement dans d'autres quartiers de la ville et la prostitution et la criminalité deviennent moins gérables.
En effet, comme le font remarquer les chercheurs néerlandais, "95 % des prostituées interrogées déclarent se sentir plus en sécurité dans la zone de tolérance". »
-Alison Bass, "Legal prostitution zones reduce incidents of rape and sexual abuse", 03/14/2017.
Note 1 : Ce qui signifie à peu près : « la politique fait des compagnons de lits improbables. »
Note 2 : A l’échelle mondiale, 80 % des personnes qui se prostituent seraient des femmes.
Post-scriptum du 16 juin: billet aimablement repris par le blog du Parti libertarien.
Bonjour,
RépondreSupprimerC’est un sujet intéressant. Comme vous ne semblez pas vouloir faire de cet endroit un lieu d’échange, du moins avec moi – et vous en avez tout à fait le droit – je vais essayer d’être assez bref. Deux ou trois points cependant.
1. La pornographie n’est pas neutre. C’est une conduite addictive et nocive en termes de concentration et d’estime de soi. D’où l’apparition du mouvement No Fap, dont vous ne parlez pas. Pas plus que de l’impact de la pornographie sur la jeunesse d’ailleurs.
2. Vous parlez d’une solution éventuelle mais à aucun moment vous n’évoquez la cause du problème. Pourquoi ces choses sont-elles de plus en plus compliquées pour les hommes ? Pour en venir à commettre des crimes pour assouvir ses pulsions, c’est que la frustration doit être immense. C’est en effet ce qu’on observe, et vous ne vous demandez pas d’où ça vient. Vous ne parlez pas de l’hypergamie féminine. La prohibition de la prostitution n’est pas d’ordre moral. Tout le monde se fiche de la morale. Dans nos sociétés féminisées, les femmes disposent d’un pouvoir considérable sur les hommes en termes de couple et de sexualité, légaliser la prostitution serait remettre en cause ce pouvoir, voilà une des raisons. Vous n’avez pas de vision globale, historique. Vous préconisez une société technique et libérale, c’est-à-dire foncièrement féminisée, dans laquelle les hordes d’hommes exclus du sexe du fait d’un retour à l’hypergamie naturelle (chez tous les mammifères une minorité de mâles a accès à la reproduction) n’auraient d’autre option que le recours à une prostitution de masse. Des gens ont réfléchi là-dessus, penchez-vous sur le mouvement MGTOW, regardez une chaîne comme celle de l’Observateur. Analysez aussi le phénomène incels. Vous qui voyez la guerre partout, vous n’envisagez pas du tout la guerre des sexes, les rapports de force entre eux, etc. Vous vous rabattez sur la solution technique immédiate. C’est un peu court.