mercredi 27 mars 2019

L’Optimalité du Brexit




J’ai bien observé les commentaires médiatico-politiques sur le Brexit depuis l’annonce de la victoire du « Leave » en juin 2016. Les européistes restent désespérément prévisibles. Ils n’ont jamais, pas une heure, admis que le vote populaire pouvait devenir une réalité institutionnelle. L’Union européenne ne s’est-elle d’ailleurs pas toujours construite contre la démocratie ? [R1] Des événements aussi inacceptables devraient être arrêtés. C’est donc de manière bien peu étonnante qu’ont été systématiquement relayées en France toutes les tentatives d’empêcher –ou de retarder- la libération du Royaume-Uni.

Le rêve humide de ces belles personnes qui nous gouvernent ou nous « informent » (œuvrent à essayer de déterminer notre forme d’existence, en l’occurrence la servitude) est bien évidemment que la classe politique britannique finisse –via un changement de gouvernement, lassitude de la guerre d’usure des « négociations » avec la Commission aidant- par trahir le vote populaire de juin 2016 en abandonnant le Brexit, ou en organisant un nouveau référendum sur l’appartenance à l’UE. Il faut souhaiter, pour le Royaume-Uni mais aussi pour le reste de l’Europe, que cela n’advienne pas. Mais je suis pour une fois assez optimiste là-dessus. On pourra d’ailleurs jeter un œil à l’ouvrage du journaliste  Marc Roche (Le Brexit va réussir, Albin Michel, 12 Septembre 2018).

Le Brexit est presque toujours présenté comme une décision irrationnelle plongeant gratuitement le Royaume-Uni dans une transition difficile. C’est oublier ce qui a conduit le peuple britannique à comprendre que ses hypothétiques malheurs à venir ne pourraient guère être pires que les maux déjà à l’œuvre à cause de l’UE.

L’ouvrage de Christopher Booker & Richard North, outre une exposition édifiante des mensonges par lesquels les européistes ont réussi à encastrer si longtemps le Royaume-Uni dans l’UE, apporte des éléments précis sur les nombreux maux qu’a engendrée l’adhésion. Citons un exemple bien utile pour comprendre la colère des classes populaires britanniques (les gros bataillons du Brexit), celui des dégâts économiques consécutifs à l’européanisation des zones de pêche : « Il y eut également une nouvelle preuve des dégâts infligées par la Pac à l'industrie de pèche britannique. Le 30 avril [1998], une réponse au Parlement révéla qu'en l'espace de quatre ans, entre 1993 et 1997, le nombre de bateaux de pêche sur les registres anglais avait fondu de près d'un tiers, passant de 11 108 à 7809. Le tonnage des "bateaux sous pavillon" possédés par des investisseurs espagnols ou hollandais avait quant à lui augmenté, alors que 3300 navires britanniques plus petits furent mis hors service, avec leur équipage. » (Christopher Booker & Richard North, La Grande Dissimulation, L'Artilleur, coll. "Interventions", 2016 (2003 pour la première édition anglaise), 832 pages, p.516).

Ou encore celui des dégâts de la Politique agricole commune pour un Etat pourtant contributeur net au budget de l’UE : « L'industrie agricole britannique, jadis la plus efficace et la plus prospère dans l'UE, avait déjà été plongée dans la pire dépression de son histoire. La quasi-totalité des secteurs de l'élevage anglais luttaient pour survivre. Le problème principal venait de ce que les agriculteurs britanniques étaient incapables de concurrencer des agriculteurs de pays bénéficiant de subventions bien plus généreuses, comme la France et l'Irlande, dont les Gouvernements avaient utilisé la PAC avec plus d'adresse pour la défense de leurs intérêts nationaux. La subvention moyenne que recevaient les agriculteurs irlandais était deux fois supérieure à celle payée à leurs collègues britanniques, et la France à elle seule exportait deux fois plus de nourriture en Angleterre que l'Angleterre n'en vendait à la France. Par conséquent, 25 000 agriculteurs britanniques quittaient désormais le métier chaque année. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l'année où les revenus agricoles au Royaume-Uni avaient été les plus hauts remontait à 1973, date de l'adhésion à la PAC. A présent, il fallait payer le prix de décennies de dilapidation de sommes gigantesques pour donner deux fois plus de subventions aux paysans d'autres parties de l'UE qu'aux paysans britanniques. » (p.595-596)

Bref, on le voit, l’UE est décidément (pour le dire en paraphrasant Frédéric Bastiat) la grande fiction au travers de laquelle chaque Etat membre essaye de vivre aux dépends de tous les autres. Le Royaume-Uni s’étant aperçu qu’il perdait beaucoup plus nettement que les autres à demeurer dans ce tout plus faible que la somme de ses parties, il y a en tiré les conclusions qui s’imposent rationnellement.

Il est vrai que certains imbéciles européistes (c’est là un pléonasme) s’obstinent [R2] à diffuser l’idée que la sortie de l’UE aurait mis le Royaume-Uni dans une situation économique difficile. Les économistes ayant travaillé montrent pourtant que : « Le Brexit n'a pas déclenché la tempête sur les marchés financiers et immobiliers que certains avaient annoncée, même si la livre sterling a perdu 10 à 15% de sa valeur par rapport à l'euro. » (Sébastien Jean, "Vue d'ensemble: le printemps... ou une hirondelle ?", chapitre I in CEPII L'économie mondiale 2018, Paris, La Découverte, coll. Repères, 2017, 127 pages, p.7-21, p.15).

La réalité –cette empêcheuse de faire indéfiniment tourner l’esprit dans le cercle étriqué de l’idéologie- irritante est que l’économie britannique, à la veille de quitter l’Union, se porte en fait bien.

Tout ceci doit nous inviter à comprendre la sagesse profonde que recèle la décision de nos voisins britanniques. Et pour comprendre le sens historique du Brexit, rien de mieux que de se tourner à nouveau vers l’économiste Jean-Jacques Rosa. Il est vraiment l’un de ceux dont on pourra dire, dans quelques décennies (années ?), lorsque l’UE aura disparu, qu’il avait tout compris avant les autres.

Aussi je vous propose une traduction de son billetdu 26 juin 2016, intitulé : 
« L’Optimalité du Brexit : Le modèle fédéraliste est voué à l'échec et le déficit démocratique se creuse. »

« Quelle est la cause fondamentale du Brexit ? Qu'est-ce qui a incité les électeurs britanniques à choisir sans ambiguïté, et une fois encore, le 23 juin [2016], la haute mer, plutôt qu'une participation prolongée à l'entreprise de construction de l'État continental ?

La réponse courte est : La loi de Moore –le doublement des capacités des micro-puces informatiques tous les dix-huit mois environ- qui n'a cessé de se poursuivre depuis le début de la révolution de l'information au début des années 80, sans montrer aucun signe de ralentissement.

Permettez-moi de développer un peu. De nombreux commentateurs ont souligné l'importance du problème -renforcé par Schengen- de l'immigration, laissant entendre que les Britanniques sont xénophobes, ce qui est clairement faux [R3] étant donné le nombre d'immigrants provenant d'un large échantillon de pays qui y vivent déjà. Londres est une ville beaucoup plus cosmopolite que la plupart des autres villes du continent. Certains prétendent que les électeurs britanniques ont désiré ardemment un retour à un empire aujourd'hui disparu [R4] et à ses marchés protégés. Mais il serait difficile de trouver une revendication fondamentalement protectionniste dans l'opinion publique. Au contraire, l'économie britannique est de plus en plus intégrée dans le commerce et la production au niveau mondial, hors d'Europe. Elle échange moins avec l'UE et davantage avec le reste du monde que par le passé.

Peu d'économistes, je suppose, s'opposeraient à ce que l'on examine les avantages et les coûts de l'engagement britannique dans l'Union européenne. Le ratio ici a beaucoup changé depuis les années 80. Surtout depuis 1986, date à laquelle l'"Acte unique" promu par Jacques Delors et d'autres socialistes français a transformé le Marché commun, qui constituait essentiellement un dispositif d'ouverture de marchés nationaux autrefois fermés après la Seconde Guerre mondiale, en marché unique intégré qui, ont-ils affirmé, devrait être agrémenté par une monnaie unique et un système réglementaire unique pour renforcer la compétitivité et devenir pleinement efficace. Cet Acte unique a changé la nature de l'entreprise européenne, qui est passée d'un dispositif économique compétitif à un projet de construction d'un État à motivation politique préjudiciable à la concurrence.

Rien dans la théorie économique ne prouve qu'une monnaie unique soit nécessaire au libre-échange ou que la concurrence devrait être renforcée par l'unification réglementaire. Au contraire, une monnaie unique consiste à supprimer des marchés, c'est-à-dire les marchés monétaires, et le mécanisme des prix, la libre variation des taux de change entre monnaies nationales. Par conséquent, la concurrence est réduite, et non augmentée, par l'unification monétaire. Les dirigeants politiques britanniques ont compris cela parfaitement et ont rapidement décidé de sortir du SME [Serpent Monétaire Européen, ndT] en septembre 1992, tout en refusant de participer à la création de l'euro, malgré la pression exercée par la City en faveur de l'entrée de la zone euro.

D'autre part, la centralisation réglementaire est un beau cadeau accordé aux grandes entreprises car au lieu de négocier 27 accès à 27 marchés, une grande entreprise peut concentrer ses efforts sur une seule autorité réglementaire à Bruxelles, pour un budget global similaire qui devient donc énorme pour chaque négociation (environ 27 fois plus important au niveau de Bruxelles, par rapport au budget de lobbying disponible pour chaque processus réglementaire national avant centralisation réglementaire au niveau européen). L'autorité de régulation de Bruxelles voit également son pouvoir de négociation et ses avantages potentiels multipliés par 27, ce qui incite à entretenir des relations "amicales" avec les lobbies d'affaires [R5].

Tous ces changements favorisent les entreprises qui peuvent le mieux s'entendre les unes avec les autres et avec l'autorité réglementaire unique, et pénalisent les consommateurs et la concurrence. Il s'ensuit que les grandes entreprises, en Grande-Bretagne comme ailleurs, étaient fortement en faveur de la participation à la centralisation de l'Union européenne [R6].

L'inconvénient, cependant, était que la centralisation monétaire et réglementaire ayant été mise en place sans la création d'un super-État unique, le contrôle démocratique des décisions politiques a été considérablement réduit. Les eurocrates régnaient et pouvaient créer des avantages et des coûts sans une représentation adéquate des citoyens. Au lieu que les électeurs nationaux contrôlent 100 % des lois et règlements qui leur sont applicables, ce sont désormais des coalitions de représentants étrangers qui décident. Le meilleur exemple est la récente décision de Mme Merkel d'autoriser des immigrants en Allemagne qui pourraient ensuite migrer vers n'importe quel pays de l'UE de leur choix.  Il s'ensuit que pour les citoyens des Etats membres, il existe désormais une législation sans représentation adéquate.

Une solution à ce problème inhérent au processus d'unification européenne serait de créer un gouvernement élu directement par l'ensemble des électeurs de l'Union, et/ou un président également élu démocratiquement. Un super État, en d'autres termes.

Mais ça n'arrivera pas. Et c'est le résultat de la loi de Moore. En effet, suite à l'analyse par Coase de la raison d'être des structures hiérarchiques, c'est-à-dire des entreprises, ce type d'organisation de la production de biens et de services se développe lorsque les coûts de transaction élevés excluent l'utilisation d'une organisation décentralisée de la production, c'est-à-dire la production par les échanges commerciaux entre hiérarchies plus petites et plus nombreuses. Et comme les coûts de transaction sont essentiellement des coûts d'information, il s'ensuit que lorsque l'information devient abondante et extraordinairement bon marché, comme c'est le cas depuis le début de la révolution de l'information des années 80, l'utilisation des marchés décentralisés devient moins coûteuse que celle des entreprises hiérarchiquement intégrées. Les petites entreprises deviennent plus efficaces que les grandes.

C'est également le cas de la plus grande entreprise de nos économies, l'État. L'Etat est comme les autres entreprises, une équipe organisée pour la production de divers services (police, justice, transferts) et de certains biens industriels et privés. Sa taille optimale se rétrécit avec la nouvelle abondance d'informations.

Il y a donc eu un complet renversement de tendance par rapport à la période du "premier XXe siècle" (disons 1900-1975) où la production augmentait beaucoup plus rapidement que l'information, une période de centralisation générale de la production commerciale et politique, et la période du "deuxième XXe siècle" (depuis 1974) caractérisée par une réduction générale des structures hiérarchiques optimales due à la baisse verticale du coût des informations et des communications.

Ces structures hiérarchiques qui existent et qui étaient optimales dans le passé tendent cependant à résister à cette tendance pour des raisons évidentes (essentiellement les intérêts des gestionnaires et des employés). C'est particulièrement vrai dans les sociétés où la démocratie est imparfaite parce que les intérêts des consommateurs et des électeurs ne sont pas bien respectés et que les producteurs (entreprises et gestionnaires) gouvernent. Il s'ensuit aussi que les entreprises européennes sont trop grandes et que les Etats européens ont pour l'essentiel continué à croître alors que leur taille théorique optimale se rétrécissait. C'est la cause de la sous-performance des économies européennes, en particulier depuis la crise de 2008, qui est une crise de transformation structurelle, de suppression des marchés (marchés des changes) et de surréglementation des marchés, qui pèse principalement sur les petites entreprises et offre une couverture concurrentielle aux plus grandes. Ce qui a pour effet d'étouffer la productivité et le dynamisme de l'économie.

Cette deuxième tendance à la réduction des effectifs du XXe siècle, qui se poursuit au XXIe siècle (parce que la loi de Moore continue sans relâche), explique pourquoi le super-État européen, dont toutes les élites à travers le continent veulent croire qu'il sera la clé de la croissance future, mais qui serait le problème et non la solution, ne se concrétisera pas.

Après avoir refusé de participer au projet de monnaie unique et quitté le SME en septembre 1992, les électeurs britanniques, dans une décision parfaitement cohérente bien que tardive, ont choisi de quitter l'appareil réglementaire et fiscal que les Européens essaient de construire, mais beaucoup trop tard. L'ère des grands États et des grands empires se referme rapidement.

Le modèle de centralisation de la production et de la politique, adapté aux conditions de rareté de l'information et d'abondance de la production de la fin du XIXe siècle et des trois premiers quarts du XXe, ce que j'appelle le modèle américano-allemand de construction d'empire par la guerre et l'intégration politique (la guerre civile aux États-Unis et la centralisation monétaire par la construction de la Fed en 1913 ; la centralisation allemande sous Bismarck, menée par la guerre avec beaucoup de nations européennes dans les années 1860 et obtenue par la défaite française en 1871) est maintenant obsolète depuis les années 80. Malgré trois "guerres civiles européennes" (1870, 1914, 1939), la construction d'un empire germano-européen imitant l'empire américain [R7] s'avéra impossible à réaliser. Mais nos politiciens ne s'en sont pas rendu compte jusqu'à présent, et croient toujours que la façon d'obtenir plus de pouvoir et une croissance plus rapide est encore d'imiter Lincoln et Bismarck. Leur prétention est hélas notre fardeau.

Les Britanniques, qui ont une tradition de commerce et de démocratie beaucoup plus forte que les autres Européens, ont compris [cela].

Comme ils l'ont fait après 1992, ils seront justifiés dans les années à venir. D'autres Européens prévoyaient des conséquences désastreuses à la sortie du SME en 1992 : inflation, chômage et absence de croissance. Le contraire s'est produit, et la Grande-Bretagne a profité de sa "clairvoyance" politique.

Il en sera de même dans les mois et les années à venir. Le projet de construction de l'État européen est mort, et l'euro suivra. Dans l'intervalle, la "sclérose organisationnelle" continuera d'entraver la croissance et le dynamisme sur le continent. »

[Remarque 1] : « L'Europe ne procède pas d'un mouvement démocratique. Elle procède d'une méthode que l'on pourrait définir du terme de despotisme éclairé. » (Tommaso Padoa-Schioppa, Les enseignements de l'aventure européenne, Commentaire, n°87, automne 1999).

« Je savais que je ne pourrais jamais gagner un référendum en Allemagne. Nous aurions perdu un référendum sur l'introduction de l'euro. C'est tout à fait clair. J'aurais perdu avec 70% d'opposition. [J'ai dû agir comme un dictateur] ». (Helmut Kohl, "Helmut Kohl : il dit avoir agi comme "un dictateur" pour installer l'euro", www.atlantico.fr, Avril 2013) 

« Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. » (Jean-Claude Juncker, président de la Commission Européenne, entretien pour Le Figaro, 29 janvier 2015).

[R2] : « Le marasme économique, politique et géopolitique dans lequel plonge le Royaume-Uni, et finalement son incapacité à quitter véritablement la zone d’influence européenne a refroidi, si elles existaient, toutes velléités de sortie de l’Union. » -Antoine Picron, Élections européennes : être pour l’Europe ne sera pas suffisant, 18 décembre 2018)

[R3] : Sur ce point, les choses sont hélas bien moins claires que M. Rosa ne le pense. Il est incontestable que nombre de partisans du Brexit l’ont soutenu pour de mauvaises raisons, dans un contexte de montée de la xénophobie, y compris contre les étrangers issus de l’Union européenne.

Certains libéraux sont tentés d’en déduire que l’opposition radicale au supranationalisme européiste serait intrinsèquement entachée de nationalisme. Ce serait oublier que le versant économique du nationalisme est étatiste et protectionniste ; or, certains défenseurs du Brexit étaient incontestablement des libéraux soulignant que la construction européenne empêche le Royaume-Uni d’échanger librement en dehors de l’UE, en particulier avec l’Inde.

L’hésitation de certains libéraux à attaquer la même cible que les « populistes » d’extrême-droite ou d’extrême-gauche n’a pas lieu d’être. Une fois saisie l’incompatibilité entre le projet de construction européenne et les propres prémisses morales et politiques du libéralisme, le fait de s’accorder sur certains buts partiels qui sont aussi ceux de mouvements dont nous contestons les principes n’a rien de déconcertant. Il en va de la nature même de la lutte politique et de la lutte pour la liberté. Comme le disait l’une des grandes figures du libéralisme britannique, l’historien John Emerich Edward Dalberg-Acton : « Les vrais amis de la liberté ont toujours été rares, et l'on ne doit ses triomphes qu'à des minorités qui l'ont emporté en se donnant des alliés dont les objectifs différaient souvent des leurs. » (Lord Acton, Histoire de la liberté dans l'Antiquité, Conférence prononcée devant les membres du Bridgnorth Institute, 26 février 1877).

[R4] : Il y a réellement quelque chose d’historiquement profond, et donc quelque chose à méditer, dans cette absence –ou peut-être ce dépassement dialectique- de la nostalgie en Grande-Bretagne, cette intrépidité, cette capacité à anticiper et à rejoindre avant les autres le monde d’après, tandis que tant de penseurs ou d’hommes politiques français nous chantent les complaintes d’un retour vers les racines d’un modèle social et économique à la fois injuste et à bout de souffle. Ce sera du reste le thème de nos prochains billets.

[R5] : C’est une tendance bien connue que, plus le pouvoir politique est étendu, concentré, « lointain » (y compris du point de vue linguistique, la langue de travail de la Commission était l’anglais) et soustrait à toute procédure démocratique, plus il est perméable à la corruption ou du moins à des formes d’influence permettant aux plus grandes entreprises d’obtenir des privilèges. Le phénomène est depuis longtemps connu et dénoncé par les libéraux sous le nom de « capitalisme de connivence ». La libéralisation de l’économie française demeurera impossible dans le cadre réglementaire rigide que déploie la bureaucratie bruxelloise.

[R6] : Dans un précédent ouvrage, le professeur Rosa avait déjà indiqué que le soutien des milieux financiers à la construction européenne relevait d’une conception étriquée de leurs intérêts : « L'intérêt des institutions financières n'est que celui d'un secteur de l'économie. Il ne se confond pas avec l'intérêt de l'ensemble du pays. Si une monnaie forte et largement utilisée dans le monde est bonne pour les comptes d'exploitation des banques, elle peut être désavantageuse pour ceux des producteurs d'automobiles ou de produits chimiques, voire pour les industries agro-alimentaires. [...] Il se trouve que les promoteurs de la monnaie unique étaient plutôt des financiers et banquiers publics que des industriels ou des exportateurs. Se pourrait-il que leurs vues aient été étroitement corporatistes ? » (Jean-Jacques Rosa, L'erreur européenne, 1998).

[R7] : Sur l’imaginaire impérial de la construction européenne, outre cette déclaration édifiante de José Manuel Barroso, on peut aussi consulter ce billet. Sur la nostalgie allemande pour le modèle du Saint-Empire romain germanique –détruit par les armées françaises de la Révolution et de l’Empire-, voir Alexis Dirakis, « Les Ressorts du consensus allemand sur l’Europe », Le Débat, nov-déc. 2017.

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