I :
« En un
monde de mouvements amples et généraux, la questions du possible s'impose à
nous, et surtout celle de la part que peut revendiquer une volonté libre.
S'emparer, devant cette question, d'un point sûr, ou même d'une conviction
suffisamment fondée, c'est se rendre capable de rendre des arrêts aux
conséquences multiples. »
-Ernst Jünger, L'État
universel (1960).
« Ce n’est pas
sans y avoir mûrement réfléchi que je me suis déterminé à écrire […]. Je ne me
dissimule point ce qu’il y a de fâcheux dans ma position : elle ne doit
m’attirer les sympathies vives de personne. »
-Alexis de Tocqueville, Lettre à Kergolay, janvier 1831.
II :
« Quelque
intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément
qu’elles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines
pour nous qu’au moment où nous pouvons en débattre avec nos semblables. »
-Hannah Arendt, « De l’humanité dans de ‘‘sombres temps’’ » (1968).
« Notre
objectif le plus clair est de nous insérer dans la vie politique de notre pays,
d'en améliorer les coutumes et les idées, d'en comprendre les secrets. [...] Il
se peut que pour certains d'entre nous la politique, avec ses imprévus et son
initiation diplomatique, constitue réellement une forme d'expérience artistique
de l'homme tout entier. »
-Piero Gobetti, La
Révolution Libérale (1924).
III :
« L'expérience
prouve que jamais les peuples n'ont accru leur richesse et leur puissance sauf
sous un gouvernement libre. »
-Nicolas Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live (1512-1517).
« Pour
préserver la paix civile le libéralisme tend au gouvernement démocratique. »
-Ludwig Von Mises, L’Action Humaine (1949)
« La
République est la seule forme de gouvernement compatible avec les droits du
Peuple et le développement régulier et libre de la société. »
-La Commune de Paris, Déclaration au peuple français (1871).
« Dans notre
France moderne, qu’est-ce donc que la République ? C’est un grand acte de
confiance. Instituer la République, c’est proclamer que des millions d’hommes
sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; qu’ils sauront
concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre ; qu’ils sauront se
combattre sans se déchirer ; que leurs divisions n’iront pas jusqu’à une fureur
chronique de guerre civile, et qu’ils ne chercheront jamais dans une dictature
même passagère une trêve funeste et un lâche repos. La République, c’est
proclamer que les citoyens des grandes nations modernes, obligés de suffire par
un travail constant aux nécessités de la vie privée et domestique, auront cependant
assez de temps et de liberté d’esprit pour s’occuper de la chose commune. »
-Jean Jaurès, Discours
à la jeunesse (1903).
IV :
A l’heure où la passive contemplation du Spectacle
cède enfin la place à l’Action, il m’a semblé nécessaire de fixer un point de
repère, qui n’est pas pour autant un point de départ mais plutôt une étape, pour éclairer le lecteur sur la
teneur des chroniques politiques et culturelles que ce blog se destine à
accueillir.
Tous ceux qui ne sont pas des imbéciles le
perçoivent à des degrés divers : jamais la France n’a été aussi bloquée de
son histoire. La Restauration royaliste postnapoléonienne était synonyme de
l’industrialisme et du romantisme ; les lendemains de la Libération
dissipèrent la crainte de l’apocalypse atomique dans la reconstruction et les
plus diverses utopies. Aujourd’hui, nous courons partout et nous n’allons nulle
part. Nous souffrons, nous tombons. Les réactionnaires s’en délectent (même s’ils
le nient), les progressistes en tremblent (ou du moins devraient). Nul ne sait
quoi faire et même le langage semble en être affecté. Le pays se change en un
théâtre d’ombres d’où la morale a fui. Ce mal, saurons-nous l’endurer et le
surmonter ?
En vérité, et depuis un certain temps déjà,
l’Assombrissement que nous sentons dans les idées et les attitudes a dépassé le
simple regard porté sur les êtres et les choses, pour devenir une propriété concrète des choses.
C’est donc la crainte des heures sombres, de l’Oratio Obscura, et le fragile espoir
d’en prévenir le retour, qui nous décide à descendre dans l’Arène, de sortir de
considérations par trop inactuelles, pour avancer, le visage encore masqué,
dans cette obscurité entre Chiens et Loups. Sans le confort des certitudes,
sans la tranquillité d’une vérité définitive. Priant pour que le réveil de la
Raison mette en fuite les monstres. La main posée sur un fil fragile.
Le Fil d’Ariane.
V :
Quatre adjectifs –politiques et plus encore– dansent
sur ce fil, augurant du Futur.
Républicain, libéral, eurocritique, humaniste.
Républicain d’abord. Nous ne sommes pas de ceux qui
en appellent aux despotes éclairés, aux philosophes-rois, aux tribuns de la
plèbe et aux avant-gardes révolutionnaires. Pas plus que nous ne croyons à
l’infaillibilité démocratique. La Démocratie est le pire des régimes, à l’exception
de tous les autres. Mais la Démocratie, en dépit de tous ses périls,
qu’est-elle sinon la meilleure tentative de ce qu’ont su faire les hommes de
tous les pays et de tous les temps ? Et c’est sur ce terrain que nous
devons construire, dans le refus du désespoir, car la seule vraie satisfaction
est d’aller de l’avant et de s’améliorer. Notre destin reste à conquérir.
Libéral ensuite. Nous croyons à la politique. Parce
que l’engagement civique ne s’oppose pas simplement aux abus de pouvoir, mais au
Pouvoir, qui par nature abuse. Et n’en déplaise aux anarchistes, on a encore
jamais trouvé d’armes plus efficaces contre l’Etat que les droits naturels.
Nous voulons redevenir maîtres de nos vies, libres et responsables. Il s’agit
de dégraissez le Léviathan et d’abattre la Social-Démocratie autoritaire, cette
hydre qui fait le bonheur des Hommes de l’Etat de « droite » et de « gauche ».
Il s’agit de rendre le scandaleux libéralisme plus scandaleux encore, en
montrant qu’il fait chuter les puissants d’un moment de leur piédestal,
récompense les méritants et améliore la condition des plus pauvres. Contre les
privilèges obtenus par la capture de l’État, nous défendons la méritocratie du
marché libre. Contre le capitalisme de connivence, nous annonçons la Révolution
Libérale.
Eurocritique également. Les espoirs généreux et
naïfs que les apologistes de la construction européenne ont cyniquement utilisés
à leurs fins arrivent à terme. Les européens se sont endormis dans la
croissance et la démocratie, ils émergent aujourd’hui dans la récession et le
chômage, à l’ombre d’un nouvel Empire ayant assujetti leurs nations. Le réveil est brutal, mais salutaire. A notre
modeste échelle, nous sonnons le tocsin de la révolte contre la technostructure
sans âme que d’autres ont voulu pour nous. L’URSS du « monde libre »
n’en a plus pour très longtemps. Un jour viendra, un Printemps des Peuples la
renversera. Un Mur, quelque part, sera brisé. L’Espoir renaîtra.
Humaniste enfin. Aux déserteurs de toutes les
chapelles, aux prophètes des heures sombres, nous rétorquons que l’Homme n’est
pas fini, et au grand dam de tous les Napoléon, que l’on ne peut pas faire
n’importe quoi avec lui. Aux mauvais théologiens, aux cyniques, nous disons
avec Lautréamont et Tocqueville que l’Humanité est le couronnement de la
création visible. A l’alliance objective des pessimismes réactionnaires et postmodernistes,
nous opposons notre volonté de vivre au nom d’une espérance immanente :
que les hommes soient demains meilleurs qu’ils ne sont aujourd’hui.
« Il faudrait
préciser, mais le temps manque, et l’on n’est pas sûr d’avoir été compris.
Avant d’avoir su faire, ou dire ce qu’il fallait, on s’est déjà éloigné. On a
traversé la rue, on est allé outre-mer. On ne peut se reprendre. »
-Guy Debord, Critique de la séparation (1961).
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerEh bien, cher M. Razorback, vous m’épatez ! Je savais que vous étiez doué, et j’attendais le jour où vous prendriez la plume, fort des références que vous mettez à l’honneur par ailleurs. Je ne suis pas déçu, et voilà un texte dense, parcouru de frissons lyriques, rempli de vues pénétrantes et prémonitoires. Je ne peux que vous rejoindre sur le diagnostic, à savoir un désarroi sans précédent dans notre pays depuis, je dirais, plus d’un demi-siècle. Je partage vos vues sur l’effondrement du langage même des responsables politiques, or le verbe, c’est l’homme, et le dirigeant, c’est l’image de la destinée de son peuple. Je partage vos oracles sur l’effondrement politique imminent (même si j’ai ma petite idée sur les deux personnes auquel ce renouvellement va nécessairement aboutir, et que je doute que nous nous rejoignions jusque là). Non, vraiment je ne peux que saluer votre démarche, probe, droite et inspirée.
RépondreSupprimerVous pensez bien qu’il serait un peu fastidieux, pour moi comme vos lecteurs, d’énumérer ici toutes les réflexions que votre long texte m’inspire. L’avenir éclairera les zones d’incertitude que vous laissez planer. Inutile de souligner la pertinence de vos citations. Je me bornerai à émettre un désaccord idéologique avec vous, et à pointer une ambiguïté de votre discours.
Je ne suis pas d’accord avec vous sur l’eurocriticisme. Outre que je trouve qu’il se concilie mal avec le libéralisme (politique j’entends bien) que vous revendiquez, je suis convaincu que l’Europe politique est une nécessité vitale pour les Etats européens, et qu’elle est irréversible. Certes, il y a trop de technocratie, et celle-ci est appelée à disparaître ; certes, des remous sont en vue (la Grèce, le Royaume-Uni), et des tempêtes approchent. Mais sur le moyen terme, je pense que l’Europe politique est un idéal viable, et que nous ne retournerons pas à vingt-sept pays isolés, ayant chacun leur monnaie propre. Ou alors, le prix à payer sera très lourd.
Enfin, si brillant et stimulant que soit votre texte, il laisse planer une ambiguïté. Vous revendiquez l’action. Mais votre sphère de mouvement semble se situer dans le domaine de la réflexion, et de la réflexion globale, des grands principes, assez éloignés en fin de compte de la boue du quotidien. Un engagement vraiment concret passe nécessairement, me semble-t-il, soit par la création d’un mouvement politique, soit par le soutien affiché à un mouvement déjà existant. Là on se mouille, là on prend des coups. S’il m’est permis de parler de moi-même, lorsque je m’aventure sur le terrain politique, je dis clairement qui je soutiens. Autrement, on est un intellectuel (et c’est très noble, et vous en êtes assurément un), mais on ne revendique pas l’action. Car, en fin de compte, qu’est-ce qui change vraiment la destinée des peuples, sinon les choix politiques, lesquels s’effectuent toujours, au bout du compte, après les remous de la rue (et ils viendront), dans les urnes ?
Voilà ce que m’inspire votre texte, en espérant que je ne serai pas censuré, et dans l’attente d’en lire plus, sur le long terme je l’espère !
Il n’y a aucune raison que vous soyez censuré, cher Laconique. Le post qui vous précède a été supprimé de la propre initiative de son auteur (je le sais pour en avoir discuté avec elle).
SupprimerMerci pour vos compliments et vos critiques ! Je manque de temps, je vous répond donc rapidement.
Sur l’Union Européenne, il est évident que nous sommes au milieu du guet, et qu’il n’y a que deux alternatives possibles : une intégration croissante ou une dislocation soudaine. La zone euro n’étant pas une zone monétaire optimale, sa capacité à se maintenir dépend de facteurs passionnels et politiques qui, à l’heure actuelle, n’existent guère, et si on juge par l’euroscepticisme croissant (hélas surtout porté par des mouvements à droite de l’échiquier politique), les choses ne vont pas aller mieux pour les partisans de l’UE. Quoi qu’il en soit, j’aurais l’occasion d’expliquer en détail les raisons de cet eurocriticisme.
Vous avez d’ailleurs raison de dire que l’adhésion au projet européen et le libéralisme sont parfaitement compatible, mais le contraire est vrai, tout simplement parce que le libéralisme discute beaucoup moins la source et la forme du pouvoir que les limites qui doivent lui être imposé.
Sur l’Action, vous avez parfaitement raison, et mon engagement dans la vie de la Cité se limite pour le moment à quelques manifestations sans grandes conséquences…Cela changera peut-être. En tout cas j’en viendrai à exprimer un soutien plus direct au moment opportun, même si je peux vous avouer qu’à ce jour je ne vois aucun parti ou homme politique avec lequel je pourrai me sentir complètement en phase. Mais l’histoire n’est pas finie !