lundi 22 juin 2015

Origine égyptienne de la philosophie, de Grégoire Biyogo

Lu Origine égyptienne de la philosophie, de Grégoire Biyogo (Éditions Menaibuc, 2002). Une déception, par ailleurs prévisible [R1]. L’auteur prétend surmonter « une amnésie millénaire », l’invention de la philosophie dans l’Ancienne Égypte. Invention occultée par l’orgueil occidental, et plus précisément, la volonté des philosophes grecs de « tuer le père égyptien ». Le caractère neuf de cette « révélation » est d’autant plus incompréhensible que les sources de sa thèse sont en réalité biens connues [R2].

Grégoire Biyogo rappelle à juste titre que l’espace égyptien était un lieu de formation intellectuelle des élites helléniques [R3]. Platon, à la suite de Solon, Thalès, Démocrite ou encore Pythagore, a séjourné pas moins de 9 ans en Égypte, étudiant auprès des prêtres [R4]. Période d’apprentissage décisive que la plupart des philosophes grecs passèrent sous silence dans leurs écrits (à l’exception notable de Pythagore).
Si l’énumération des écoles égyptienne à laquelle Biyogo procède est rafraîchissante [R5], l’absence quasi-complète d’informations (a fortiori de textes écrits) sur leurs enseignements ne peut que frustrer le lecteur (ou le convaincre que la sagesse égyptienne fut définitivement perdue avec l’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie). L’auteur échoue surtout, selon moi, à démontrer le fond de sa thèse : l’émergence en Égypte de la philosophie, c’est-à-dire d’un savoir spécifique, autonomisé du mythe et de la religion. Le fait que la philosophie égyptienne aurait été confinée dans les temples par des « prêtres-philosophes » n’incite pas à croire que nous avons affaire à un discours authentiquement philosophique [R6].
Par ailleurs, le dernier tiers du livre est une litanie de phrases grandiloquentes et creuses, d’inspiration néo-heideggérienne [R7] (les égyptiens étant crédité d’une pensée échappant à l’« oubli de l’Etre » qu’Heidegger perçoit dans l’histoire de la philosophie depuis les présocratiques), absolument indigestes, comme le montre l’extrait suivant :
« Mais l’à-venir de la philosophie se joue, en son point de départ. Le retour à l’Egypte s’ouvre alors à nous comme devenir. Précisément comme le re-venir. Comme le geste d’un être qui, s’étant égaré dans la nuit, revient lentement sur ses pas…Encore que le re-venir lui-même soit l’essence de l’Etre. L’oubli ne serait plus intrinsèque à l’Etre mais son revenir, son Retour vers lui-même. Le revenir est l’essence de l’Etre. Car il est dans l’essence de l’Etre de retourner à lui-même » (p.75)
Une déception, vous disais-je. 

[Remarque 1] : A sa réception, je mettais fait la réflexion que cet ouvrage d’à peine une centaine de page ne pouvait pas être à la hauteur de son sujet.
[Remarque 2] : Plutarque, Champollion, etc.
[Remarque 3] : Tout comme la Grèce devint, à son tour, le lieu initiatique pour l’élite des conquérants romains.
[Remarque 4] : Notamment du sage Knuphis, un haut prêtre de Memphis.
[Remarque 5] : A savoir : l’école de Thèbes ; l’école de Memphis ; l’école d’Héliopolis ; l’école de Saïs, et enfin l’école amarnienne, lié au monothéisme solaire introduit par Akhenaton.
[Remarque 6] : Contrairement à ce que semble croire l’auteur, la cosmologie ne relève pas de la philosophie. L’existence d’une ontologie égyptienne ne prouve pas autre chose que le stade embryonnaire de la philosophie ancienne.
[Remarque 7] : Ce qui n’est pas sans entretenir ma désaffection instinctive vis-à-vis d’Heidegger.

1 commentaire:

  1. Je ne peux que me réjouir de vous voir prendre la plume, cher Johnathan Razorback ! Vous nous livrez là un compte-rendu de lecture très précieux, à la fois informatif et engagé (et solidement argumenté). En plus sur un sujet passionnant, à savoir la philosophie antique. Que demander de plus, « you made my day », comme disent les Américains.

    Je ne suis pas expert sur la question que soulève cet ouvrage, mais c’est un fait, comme vous le rappelez, que l’Egypte occupe une place prestigieuse dans le monde intellectuel grec. Platon y fait référence à deux endroits très marquants de son œuvre, dans le « Timée » à propos de Solon et de l’Atlantide, et à la fin du « Phèdre » à propos de l’invention de l’écriture. Vous mettez parfaitement le doigt sur l’incorrection qui consiste à parler de philosophie à propos de l’Egypte : 1 L’absence de textes. 2 La présence d’une pensée non affranchie du culte, alors que c’est le propre de la pensée philosophique. Il n’en reste pas moins que l’influence de l’Egypte a été immense (vous auriez également pu citer Hérodote) et difficilement mesurable. Quand on voit le degré de civilisation atteint par les Egyptiens vingt-cinq siècles avant notre ère, quand on voit qu’on se pose toujours des questions pour savoir comment on été bâties les pyramides de Gizeh, quand on compare ça avec les civilisations européennes de la même époque, quand on se dit qu’en plus le peuple hébreux vient d’Egypte et que la Torah en a gardé l’empreinte, on se dit qu’il devait y avoir une conception de l’univers particulièrement cohérente et brillante autour du Nil, conception dont la plus grande partie nous échappe et dont il ne reste que des vestiges...

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