Le Discours
sur l'esprit positif d'Auguste Comte constitue vraisemblablement l'un des
textes les plus rasoirs de toute l'histoire de la philosophie. Pire, il n'est
même pas original. Ses idées maîtresses (rationalisme, antagonisme de la raison
et de la foi, mouvement ascendant de l'espèce humaine) sont, depuis la
Renaissance, inscrites au cœur même de la modernité. Au moins l'auteur a-t-il
l'honnêteté intellectuelle de saluer les esprits, moins laborieux que lui-même,
à l'origine de son système. Quant au style, pompeux et parfois grandiloquent,
il est vicié d'un défaut visible partout: les phrases sentencieuses de Comte ne
forment presque jamais une unité, il faut continuellement les associer à celles
qui les précèdent ou les suivent pour en comprendre le sens, qui n'appartient
qu'au paragraphe. D'où le sentiment d'oppression et d'obscurité d'un contenu en
réalité assez borné.
L'oubli relatif dans lequel est tombé Comte tient
sans doute à ce que son étrange socialisme technocratique et élitiste
d'inspiration saint-simonienne n'était pas en mesure de se faire passer pour
l'idéologie de combat d'une classe spécifique, comme l'a été son rival jumeau,
le marxisme.
Malgré sa faiblesse, le positivisme fut significatif ; il marquait l’entrée dans un âge de sciences et de découvertes (celui de Darwin, Pasteur, Kropotkine ou encore Marie Curie) cette époque de foi dans l’Avenir et le Progrès à laquelle pensait Foucault lorsqu’il écrivait : « Le marxisme est dans le 19ème siècle comme un poisson dans l’eau » (Foucault, Les mots et les choses).
Malgré sa faiblesse, le positivisme fut significatif ; il marquait l’entrée dans un âge de sciences et de découvertes (celui de Darwin, Pasteur, Kropotkine ou encore Marie Curie) cette époque de foi dans l’Avenir et le Progrès à laquelle pensait Foucault lorsqu’il écrivait : « Le marxisme est dans le 19ème siècle comme un poisson dans l’eau » (Foucault, Les mots et les choses).
Pour éviter au lecteur d'endurer ce discours pesant
et fastidieux, voici quelques extraits significatifs.
« Comme
la théologie, en effet, la métaphysique tente surtout d’expliquer la nature
intime des êtres, l’origine et la destination de toutes choses, le mode
essentiel de production de tous les phénomènes ; mais au lieu d’y employer les
agents surnaturels proprement dits, elle les remplace de plus en plus par ces
entités ou abstractions personnifiées, dont l’usage, vraiment caractéristique,
a souvent permis de la désigner sous le nom d’ontologie. Il n’est que trop
facile aujourd’hui d’observer aisément une telle manière de philosopher, qui,
encore prépondérante envers les phénomènes les plus compliqués, offre
journellement, même dans les théories les plus simples et les moins arriérées,
tant de traces appréciables de sa longue domination. [...] D’après son caractère
contradictoire, le régime métaphysique ou ontologique est toujours placé dans
cette inévitable alternative de tendre à une vaine restauration de l’état
théologique pour satisfaire aux conditions d’ordre, ou de pousser à une
situation purement négative afin d’échapper à l’empire oppressif de la
théologie. [...] On peut donc finalement envisager l’état métaphysique comme
une sorte de maladie chronique, naturellement inhérente à notre évolution
mentale, individuelle ou collective, entre l’enfance et la virilité. »
« La
révolution fondamentale qui caractérise la virilité de notre intelligence
consiste essentiellement à substituer partout, à l’inaccessible détermination
des causes proprement dites, la simple recherche des lois, c’est-à-dire des
relations constantes qui existent entre les phénomènes observés. »
« Non
seulement nos recherches positives doivent essentiellement se réduire, en tous
genres, à l’appréciation systématique de ce qui est, en renonçant à en
découvrir la première origine et la destination finale ; mais il importe, en
outre, de sentir que cette étude des phénomènes, au lien de pouvoir devenir
aucunement absolue, doit toujours rester relative à notre organisation et à
notre situation. »
« Il
importe de sentir, en outre, du point de vue le plus philosophique, que, si nos
conceptions quelconques doivent être considérées elles-mêmes comme autant de
phénomènes humains, de tels phénomènes ne sont pas simplement individuels, mais
aussi et surtout sociaux, puisqu’ils résultent, en effet d’une évolution
collective et continue, dont tous les éléments et toutes les phases sont
essentiellement connexes. Si donc, sous le premier aspect, on reconnaît que nos
spéculations doivent toujours dépendre des diverses conditions essentielles de
notre existence individuelle, il faut également admettre, sous le second,
qu’elles ne sont pas moins subordonnées à l’ensemble de la progression sociale,
de manière à ne pouvoir jamais comporter cette fixité absolue que les
métaphysiciens ont supposée. »
« Le
véritable esprit positif n’est pas moins éloigné, au fond, de l’empirisme que
du mysticisme ; c’est entre ces deux aberrations, également funestes, qu’il doit
toujours cheminer. »
« Dans
son aveugle instinct de liaison, notre intelligence aspire presque à pouvoir
toujours lier entre eux deux phénomènes quelconques, simultanés ou successifs ;
mais l’étude du monde extérieur démontre, au contraire, que beaucoup de ces
rapprochements seraient purement chimériques, et qu’une foule d’événements
s’accomplissent continuellement sans aucune vraie dépendance mutuelle ; en
sorte que ce penchant indispensable a autant besoin qu’aucun autre d’être réglé
d’après une saine appréciation générale. »
« La
philosophie positive peut seule réaliser graduellement ce noble projet
d’association universelle que le catholicisme avait, au moyen âge,
prématurément ébauché, mais qui était, au fond, nécessairement incompatible,
comme l’expérience l’a pleinement constaté, avec la nature théologique de sa
philosophie, laquelle instituait une trop faible cohérence logique pour
comporter une telle efficacité sociale. »
« L’ordre
naturel résulté, en chaque cas pratique, de l’ensemble des lois des phénomènes
correspondants, doit évidemment nous être d’abord bien connu pour que nous
puissions ou le modifier à notre avantage, ou du moins y adapter notre conduite. »
« Nos
lois ne peuvent jamais représenter les phénomènes qu’avec une certaine
approximation, au-delà de laquelle il serait aussi dangereux qu’inutile de
pousser nos recherches. »
« En
faisant de plus en plus prévaloir la vie industrielle, la sociabilité moderne
doit donc puissamment seconder la grande révolution mentale qui aujourd’hui
élève définitivement notre intelligence du régime théologique au régime
positif. Non seulement cette active tendance journalière à l’amélioration
pratique de la condition humaine est nécessairement peu compatible avec les
préoccupations religieuses, toujours relatives, surtout sous le monothéisme, à
une tout autre destination. Mais en outre, une telle activité est de nature à
susciter finalement une opposition universelle, aussi radicale que spontanée, à
toute philosophie théologique. D’une part, en effet, la vie industrielle est,
au fond, directement contraire à tout optimisme providentiel, puisqu’elle
suppose nécessairement que l’ordre naturel est assez imparfait pour exiger sans
cesse l’intervention humaine, tandis que la théologie n’admet logiquement
d’autre moyen de la modifier que de solliciter un appui surnaturel. En second
lieu, cette opposition, inhérente à l’ensemble de nos conceptions
industrielles, se reproduit continuellement, sous formes très variées, dans
l’accomplissement spécial de nos opérations, où nous devons envisager le monde
extérieur, non comme dirigé par des volontés quelconques, mais comme soumis à
des lois, susceptibles de nous permettre une suffisante prévoyance, sans
laquelle notre activité pratique ne comporterait aucune base rationnelle.
Ainsi, la même corrélation fondamentale qui rend la vie industrielle si
favorable à l’ascendant philosophique de l’esprit positif lui imprime, sous un
autre aspect, une tendance anti-théologique, plus on moins prononcée, mais tôt
ou tard inévitable, quels qu’aient pu être les efforts continus de la sagesse
sacerdotale pour contenir ou tempérer le caractère anti-industriel de la
philosophie initiale, avec laquelle la vie guerrière était seule suffisamment
conciliable. Telle est l’intime solidarité qui fait involontairement participer
depuis longtemps tous les esprits modernes, même les plus grossiers et les plus
rebelles, au remplacement graduel de l’antique philosophie théologique par une
philosophie pleinement positive, seule susceptible désormais d’un véritable
ascendant social. »
« Plusieurs
siècles avant que l’essor scientifique permît d’apprécier directement cette
opposition radicale, la transition métaphysique avait tenté, sous sa secrète
impulsion, de restreindre, au sein même du monothéisme, l’ascendant de la
théologie, en faisant abstraitement prévaloir, dans la dernière période du
moyen âge, la célèbre doctrine scolastique qui assujettit l’action effective du
moteur suprême à des lois invariables, qu’il aurait primitivement établies en
s’interdisant de jamais les changer. Mais cette sorte de transaction spontanée
entre le principe théologique et le principe positif ne comportait, évidemment,
qu’une existence passagère, propre à faciliter davantage le déclin continu de
l’un et le triomphe graduel de l’autre. Son empire était même essentiellement
borné aux esprits cultivés ; car, tant que la foi subsista réellement, l’instinct
populaire dut toujours repousser avec énergie une conception qui, au fond,
tendait à annuler le pouvoir providentiel, en le condamnant à une sublime
inertie, qui laissait toute l’activité habituelle à la grande entité
métaphysique, la Nature étant ainsi régulièrement associée au gouvernement
universel, à titre de ministre obligé et responsable, auquel devaient
s’adresser désormais la plupart des plaintes et des vœux. On voit que, sous
tous les aspects essentiels, cette conception ressemble beaucoup à celle que la
situation moderne a fait de plus en plus prévaloir au sujet de la royauté
constitutionnelle ; et cette analogie n’est nullement fortuite, puisque le type
théologique a fourni, en effet, la base rationnelle du type politique. Cette
doctrine contradictoire, qui ruine l’efficacité sociale du principe
théologique, sans consacrer l’ascendant fondamental du principe positif, ne
saurait correspondre à aucun état vraiment normal et durable : elle constitue
seulement le plus puissant des moyens de transition propres au dernier office
nécessaire de l’esprit métaphysique. »
« Considéré
d’abord dans son acception la plus ancienne et la plus commune, le mot positif
désigne le réel, par opposition au chimérique : sous ce rapport, il convient
pleinement au nouvel esprit philosophique, ainsi caractérisé d’après sa
constante consécration aux recherches vraiment accessibles à notre
intelligence, à l’exclusion permanente des impénétrables mystères dont
s’occupait surtout son enfance. En un second sens, très voisin du précédent,
mais pourtant distinct, ce terme fondamental indique le contraste de l’utile à
l’oiseux : alors il rappelle, en philosophie, la destination nécessaire de
toutes nos saines spéculations pour l’amélioration continue de notre vraie
condition, individuelle et collective, au lieu de la vaine satisfaction d’une
stérile curiosité. Suivant une troisième signification usuelle, cette heureuse
expression est fréquemment employée à qualifier l’opposition entre la certitude
et l’indécision : elle indique aussi l’aptitude caractéristique d’une telle
philosophie à constituer spontanément l’harmonie logique dans l’individu et la
communion spirituelle dans l’espèce entière, au lieu de ces doutes indéfinis et
de ces débats interminables que devait susciter l’antique régime mental. Une
quatrième acception ordinaire, trop souvent confondue avec la précédente,
consiste à opposer le précis au vague : ce sens rappelle la tendance constante
du véritable esprit philosophique à obtenir partout le degré de précision compatible
avec la nature des phénomènes et conforme à l’exigence de nos vrais besoins ;
tandis que l’ancienne manière de philosopher conduisait nécessairement à des
opinions vagues, ne comportant une indispensable discipline que d’après une
compression permanente, appuyée sur une autorité surnaturelle.
Il
faut enfin remarquer spécialement une cinquième application, moins usitée que
les autres, quoique d’ailleurs pareillement universelle, quand on emploie le
mot positif comme le contraire de négatif. Sous cet aspect, il indique l’une
des plus éminentes propriétés de la vraie philosophie moderne, en la montrant
destinée surtout, par sa nature, non à détruire, mais à organiser. Les quatre
caractères généraux que nous venons de rappeler la distinguent à la fois de
tous les modes possibles, soit théologiques, soit métaphysiques, propres à la
philosophie initiale. Cette dernière signification, en indiquant d’ailleurs une
tendance continue du nouvel esprit philosophique, offre aujourd’hui une
importance spéciale pour caractériser directement l’une de ses principales
différences, non plus avec l’esprit théologique, qui fut longtemps organique,
mais avec l’esprit métaphysique proprement dit, qui n’a jamais pu être que
critique. Quelle qu’ait été, en effet, l’action dissolvante de la science
réelle, cette influence fut toujours en elle purement indirecte et secondaire :
son défaut même de systématisation empêchait jusqu’ici qu’il en pût être
autrement ; et le grand office organique qui lui est maintenant échu
s’opposerait désormais à une telle attribution accessoire, qu’il tend
d’ailleurs à rendre superflue. La saine philosophie écarte radicalement, il est
vrai, toutes les questions nécessairement insolubles : mais, en motivant leur
rejet, elle évite de rien nier à leur égard, ce qui serait contradictoire à
cette désuétude systématique, par laquelle seule doivent s’éteindre toutes les
opinions vraiment indiscutables. Plus impartiale et plus tolérante envers
chacune d’elles, vu, sa commune indifférence, que ne peuvent l’être leurs
partisans opposés, elle s’attache à apprécier historiquement leur influence
respective, les conditions de leur durée et les motifs de leur décadence, sans
prononcer jamais aucune négation absolue, même quand il s’agit des doctrines
les plus antipathiques à l’état présent de la raison humaine chez les
populations d’élite. C’est ainsi qu’elle rend une scrupuleuse justice, non
seulement aux divers systèmes de monothéisme autres que celui qui expire
aujourd’hui parmi nous, mais aussi aux croyances polythéiques, ou même
fétichiques, en les rapportant toujours aux phases correspondantes, de
l’évolution fondamentale. Sous l’aspect dogmatique, elle professe d’ailleurs
que les conceptions quelconques de notre imagination, quand leur nature les
rend nécessairement inaccessibles à toute observation, ne sont pas plus
susceptibles dès lors de négation que d’affirmation vraiment décisives.
Personne, sans doute, n’a jamais démontré logiquement la non existence
d’Apollon, de Minerve, etc., ni celle des fées orientales ou des diverses
créations poétiques ; ce qui n’a nullement empêché l’esprit humain d’abandonner
irrévocablement les dogmes antiques, quand ils ont enfin cessé de convenir à
l’ensemble de sa situation. »
« La première fondation systématique de la
philosophie positive ne saurait remonter au-delà de la mémorable crise où
l’ensemble du régime ontologique a commencé à succomber, dans tout l’occident
européen, sous le concours spontané de deux admirables impulsions mentales,
l’une, scientifique, émanée de Kepler et Galilée, l’autre, philosophique, due à
Bacon et à Descartes. »
« Les
principales difficultés sociales ne sont pas aujourd’hui essentiellement
politiques, mais surtout morales, en sorte que leur solution possible dépend
réellement des opinions et des mœurs beaucoup plus que des institutions. »
« Les
phénomènes humains, individuels ou collectifs, étant de tous, les plus
modifiables, c’est envers eux que notre intervention rationnelle comporte
naturellement la plus vaste efficacité. »
« La réorganisation totale, qui peut seule
terminer la grande crise moderne, consiste, en effet, sous l’aspect mental qui
doit d’abord prévaloir, à constituer une théorie sociologique propre à
expliquer convenablement l’ensemble du passé humain : tel est le mode le plus
rationnel de poser la question essentielle, afin d’y mieux écarter toute
passion perturbatrice. »
« Bien
loin que l’assistance théologique soit à jamais indispensable aux préceptes
moraux, l’expérience démontre, au contraire, qu’elle leur est devenue, chez les
modernes, de plus en plus nuisible, en les faisant inévitablement participer,
par suite de cette funeste adhérence, à la décomposition croissante du régime
monothéique, surtout pendant les trois derniers siècles. »
« Les utopies subversives que nous voyons
s’accréditer aujourd’hui, soit contre la propriété, soit même quant à la
famille, etc., ne sont presque jamais émanées ni accueillies des intelligences
pleinement émancipées, malgré leurs lacunes fondamentales, mais bien plutôt de
celles qui poursuivent activement une sorte de restauration théologique, fondée
sur un vague et stérile déisme ou sur un protestantisme équivalent. »
« Cette
antique adhérence à la théologie est aussi devenue nécessairement funeste à la
morale, sous un troisième aspect général, en s’opposant à sa solide
reconstruction sur des bases purement humaines. »
« Il
demeure incontestable que la pensée théologique est, de sa nature,
essentiellement individuelle, et jamais directement collective. Aux yeux de la
foi, surtout monothéique, la vie sociale n’existe pas, à défaut d’un but qui
lui soit propre ; la société humaine ne peut alors offrir immédiatement qu’une
simple agglomération d’individus, dont la réunion est presque aussi fortuite
que passagère et qui, occupés chacun de son seul salut, ne conçoivent la
participation à celui d’autrui que comme un puissant moyen de mieux mériter le
leur en obéissant aux prescriptions suprêmes qui en ont imposé l’obligation. »
« L’esprit positif, au contraire, est
directement social, autant que possible, et sans aucun effort par suite de sa
réalité caractéristique. Pour lui, l’homme proprement dit n’existe pas, il ne
peut exister que l’Humanité, puisque tout notre développement est dû à la
société, sous quelque rapport qu’on l’envisage. Si l’idée de société semble
encore une abstraction de notre intelligence, c’est surtout en vertu de
l’ancien régime philosophique ; car, à vrai dire, c’est à l’idée d’individu
qu’appartient un tel caractère, du moins chez notre espèce. L’ensemble de la
nouvelle philosophie tendra toujours à faire ressortir, aussi bien dans la vie
active que dans la vie spéculative, la liaison de chacun à tous, sous une foule
d’aspects divers, de manière à rendre involontairement familier le sentiment
intime de la solidarité sociale, convenablement étendue à tous les temps et à
tous les lieux. »
« L'école
positive tend, d’un côté, à consolider tous les pouvoirs actuels chez leurs
possesseurs quelconques, et, de l’autre, à leur imposer des obligations morales
de plus en plus conformes aux vrais besoins des peuples. »
« De toutes les portions de la société
actuelle, le peuple proprement dit doit être, au fond, la mieux disposée, par
les tendances et les besoins qui résultent de sa situation caractéristique, à
accueillir favorablement la nouvelle philosophie, qui finalement doit trouver
là son principal appui, aussi bien mental que social. [...] Si la célèbre table
rase de Bacon et de Descartes était jamais pleinement réalisable, ce serait
assurément chez les prolétaires actuels, qui, principalement en France, sont
bien plus rapprochés qu’aucune classe quelconque du type idéal de cette
disposition préparatoire à la positivité rationnelle. »
-Auguste Comte, Discours
sur l’esprit positif (1844).
On peut sans doute reprocher beaucoup de choses à Auguste Comte, mais force est de reconnaître qu’il était animé par une conviction et une foi en sa propre doctrine assez remarquables. Je n’ai jamais lu son œuvre, rebuté par son style assez pâteux, comme c’est le cas de celui de beaucoup de philosophes. Votre petite introduction critique liminaire est d’ailleurs fort réussie, et vous définissez bien la place de Comte dans l’histoire de la pensée, ainsi que les causes de son – relatif – échec. Selon moi, cela tient à l’angle qu’il a choisi. Tous ceux qui ont attaqué la religion frontalement s’y sont cassé les dents – Comte, Feuerbach, etc. – tout simplement parce que la foi et la raison ne se situent pas sur le même plan, et qu’il est vain de vouloir démolir la première à l’aide de la seconde. Seul Nietzsche a surnagé, mais parce qu’il est aussi poète et écrivain de génie. Le bon angle a été trouvé par Marx et par Freud : ignorer superbement la religion, et placer un élément matériel au centre du questionnement existentiel : l’économie pour l’un, les pulsions pour le second.
RépondreSupprimerLes extraits que vous citez proposent une réflexion d’ordre diachronique sur l’évolution de la métaphysique à travers les âges, avec une vision parfois contestable de l’idéal chrétien. Il me semble par exemple tout à fait abusif de soutenir que « la pensée théologique est, de sa nature, essentiellement individuelle, et jamais directement collective », que les croyants seraient « occupés chacun de leur propre salut », alors que l’idéal chrétien est au contraire la communion de tous en un seul corps mystique, communion dont l’Eglise constitue la manifestation terrestre. Ce que je perçois de l’idéal positiviste dans ces quelques lignes, ce n’est rien d’autre que la reprise de l’idéal chrétien, mais débarrassé de tous ses éléments spirituels, ramené à sa seule dimension matérielle et tangible, c’est-à-dire au fond singulièrement appauvri.
Enfin, l’entreprise positiviste, bien qu’ayant rencontré bien moins de succès que le marxisme, n’a pas totalement échoué. On trouve encore quelques « Temples de l’Humanité » en activité, dont un à Paris et plusieurs au Brésil, dont la devise – Ordre et Progrès – est d’ailleurs directement tirée de la doctrine positiviste.
"Il me semble par exemple tout à fait abusif de soutenir que « la pensée théologique est, de sa nature, essentiellement individuelle, et jamais directement collective », que les croyants seraient « occupés chacun de leur propre salut », alors que l’idéal chrétien est au contraire la communion de tous en un seul corps mystique, communion dont l’Eglise constitue la manifestation terrestre."
SupprimerDisons que la vision de Comte correspond sans doute beaucoup plus au protestantisme qu'au catholicisme. Notez qu'il était indispensable pour lui de décrire le christianisme en général comme facteur d'anomie et d'isolement, pour que sa propre doctrine socialisante puisse proposer une réunion spirituelle et communautaire. Une vision qui s'explique aussi par le contexte du dix-neuvième siècle, celui d'un "individualisme" croissant causé par le passage de la société féodale à la société industrielle, évolution majeure qui fascina des penseurs aussi différents que Marx, Durkheim ou Tocqueville.
Greeat post thank you
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